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Le rire: journal humoristique: Le rire: journal humoristique — N.S. 1903 (Nr. 1-47)

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https://doi.org/10.11588/diglit.25439#0673
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HISTOIRES DE RIRE

LE POLYPE ET L’ARAIGNÉE

Quand j’ai appris que Guillaume II, déjà surnommé
« l’Homme à l’oreille gâtée », avait un polype dans la
gorge, je me suis demandé avec anxiété de quoi il retour-
nait. Un polype... Qu’est-ce que c’était que cette affaire-là ?
Etait-ce une chose sans importance, désagréable peut-être,
mais pas autrement dangereuse? Où bien ce vocable mys-
térieux n’était-il pas un euphémisme, servant à désigner
d’une façon vague le début du terrible mal qui a emporté
le père, diablement oublié, du petit-fils de l’inoubliable grand’-
père: de ce mal qui conduit son homme aux Champs-Ely-
séens, parmi les défunts, et qui, pour cette raison, pourrait
s’étiqueter le « cancer des Champs-Elysées »?

Pour me renseigner avec exactitude, j’ai pris le troisième
volume du dictionnaire :

De 1 homme très laid, mais lettré,

Qui s’appelait M. Littré.

J’y ai cherché le mot poltjoe, et voici ce que j’ai trouvé :

« Animal à corps mou, contractile, enroulé ou cylin-
drique, à bouche supérieure et antérieure garnie de tenta-
cules rayonnés... »

Affreux, affreux, en vérité ! Saisi d’horreur, je n’en ai pas
lu davantage. Voilà donc ce qui se promenait sur les cordes
vocales du capricant Ivayzer! Ce que ça devait le gêner! Je
comprends qu’il ait jugé à propos de s’en faire débar-
rasser.

C’est égal, ce Guillaume II est un individu véritablement
phénoménal. Il ne peut pas se tenir un instant tranquille.
Il est empereur : c’est une jolie situation^et, à sa place,
beaucoup s’en contenteraient. Lui, pas. Il faut que chaque
jour il invente quelque chose d’imprévu, d’abracadabrant,
et qu’il se montre à l’Europe ahurie dans un nouvel ava-
tar. Il a été tour à tour musicien, poète, peintre, drama-
turge, chimiste, architecte, aéronaute, photographe, prédi-
cateur, acrobate, que sais-je encore? Il a donné une flûte à
feu Jules Simon, il s’est fait un ami de Coquelin, et il a
inauguré à Kiel un canal bien germanique, le « canal du
reître». A présent,voilà qu’il s’amuse à avaler un animal à
corps mou et contractile et à tentacules rayonnés pou»1
pouvoir ensuite se le faire extirper. Ma parole d’honneur,
il n’y a pas moyen de s’ennuyer une minute avec cet
homme-là. II est la gaîté de l’époque.

Qui pourrait — question profonde ! —

Evaluer ce que perdrait
La rigolade de ce monde,

Le jour où Wilhelm crapserait?

Dessin de Sancha.

Oui, qui pourrait se livrer à un calcul aussi compliqué?
Peut-être M. de Hérédia, le seul académicien qui sache
compter les grains de blé et les grains de millet contenus
dans un litre. Et encore?

Ce qui est certain, c’est que ce Guillaume, qui fait la joie
universelle, est un gaillard plus difficile à remplacer que
celui de l’Opéra. Jusqu’à ces derniers temps même il
paraissait irremplaçable. Mais il a surgi récemment un
autre Empereur, qui ne le cède en rien au monarque teuton,
au point de vue de la cocasserie et des inventions bur-
lesques. Il est vrai que c’est un Empereur in partibus.

J’ai nommé ce Jacques Ier qui gouverne le Sahara du
fond d’une chambre d’hôtel à Londres.

Guillaume et Lebaudy ! Quel dentiste! Et quel type!
Egalement mabouls, notre esprit les confond :

Si le premier possède au larynx un polype,

L’autre a son araignée au milieu du plafond...

Assurément, le jour où le sceptre de la loufoquerie im-
périale s’échapperait de la main défaillante de Wilhelm, il
reviendrait de droit à son confrère Jacques Ier. Ce potentat,
qui s’est sacré — j’allais écrire : sucré — de ses propres
mains, ne vient-il pas — en réponse aux légitimes récla-
mations des pauvres bougres de matelots qu’il avait plaqués
sur les rives inhospitalières de son empire — de faire écrire,
par un personnage qui s’intitule son « officier d’ordon-
nance », une lettre où il discute, le plus sérieusement du
inonde, au sujet de ce litige, la compétence des « tribunaux
sahariens » !

On n’a jamais rien imaginé de plus funambulesque, et
les plus piquantes fantaisies de Racine, dans les Plai-
deurs, sont dépassées par cette épître, d’une hauteur de
cent pains de sucre.

Il paraît probable, en effet, que des demandeurs, qui
espèrent se faire allouer une forte indemnité, préfèrent
s’adresser à la justice de leur pays qu’à la justice chimé-
rique d’un empire qui n’existe pas.

La Chambre, en nommant une commission chargée do
faire, au sujet de l’affaire Humbert, une enquête dont lo
résultat sera aussi négatif que celui de toutes les enquêtes
parlementaires, vient de donner un léger regain d’actualité
à l’illustre Thérèse et à ses acolytes. Quel dommage que
l’effondrement de cette intéressante famille ait eu lieu
avant l’accession de Jacques Ier à son trône d’opéra-bouffe !
Si elle avait pu se maintenir jusque-là, nul doute que
Mme Humbert n’eût trouvé moyen de rendre les siens et
elle-même justiciables des seuls tribunaux sahariens, de-
vant lesquels ses créanciers auraient évidemment éprouvé
quelques difficultés à faire valoir leurs revendications.

Du reste, cette ingénieuse combinaison peut être adoptée
par tous les gens qui, sans avoir accumulé les formidables
poufs de la famille Humbert, ont dans leur quartier quel-
ques dettes criardes, et que ça embête de comparaître de-
vant le juge de paix de l’arrondissement. La seule chose
qui pourrait les empêcher de recourir à cet expédient, ce
serait que l’Allemagne, toujours en quête d’expansion co-
loniale et ayant des visées sur le Sahara, envoyât le polype
de Guillaume attaquer et détruire l’araignée de Jacques Ier;
ce qui, en changeant le cours des idées de celui-ci, met-
trait fin du même coup à son empire et à sa magistrature,
composée de gorilles, de girafes et de chameaux.

— C’est drôle, cette femme géante a une voix de basse taille. Dessin de Dei.aw.

Quilp.
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