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Le rire: journal humoristique: Le rire: journal humoristique — N.S. 1903 (Nr. 1-47)

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https://doi.org/10.11588/diglit.25439#0751
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— Et bien, mon cher missionnaire?

— Vous le voyez; j’initie ces jeunes gens aux divines leçons du Sau-
veur !

— Oui... oui... les messes noires!... Dessin de Delaw.

GRIVÈLERIE

A la suite d’événements qu’il serait trop long de rapporter et
qui, d’ailleurs, ne sont pas de la compétence des lecteurs du
Rire, Tumouche, Jérôme Tumouche, pour dire son nom en
toutes lettres, se trouvait sans argent.

Quand je dis qu’il était sans argent, ceci n’est pas, vous pouvez
m’en croire, une vaine figure de rhétorique. Quand je vais trou-
ver mon oncle d’Amérique, qui habite Bécon-les-Bruyéres, ainsi
qu’il sied, dans le but à peine déguisé de le descendre de quel-
ques dizaines d,e louis, et qu’il me répond qu’il est sans argent,
je sais de quoi il en retourne, et je ne cours point au bureau de
bienfaisance le plus voisin lui quérir un bon de soupe.

Il n’en était point ainsi de Jérôme Tumouche.

Jérôme Tumouche n’avait réellement pas d’argent, et encore
moins de bronze ou de nickel.

Cela pouvait d’autant moins durer que cela durait depuis
trois jours, durant lesquels le pauvre bougre n’avait « tortoré que
du vent », pour me servir de l’expression de Jean Richepin, poète
mort jeune. Car je ne sais pas si l’on a remarqué la difficulté
qu’il y a depuis quelque temps, à Paris, à se procurer quoi que
ce soit, quand on n’a pas le sou !

Mais passons!

Or, comme midi sonnait à toutes les horloges pneumatiques du
boulevard, et bien plus fortement encore dans les entrailles vides
de ce pauvre Jérôme Tumouche, avec le geste énergique de Caïus
Julius César s’apprêtant à franchir le Rubicon, le misérable
affamé franchit le seuil d’un restaurant fameux que je ne dénom-
merai pas plus clairement, car je ne veux pas faire de la réclame
gratuite au café Riche.

C’est que ce bon Jérôme venait de prendre une décision en
guise d’apéritif. Il s’ôtait dit que les entrailles humaines ayant
horreur du vide, et ses moyens ne lui permettant pas de les ali-
menter, il n’y avait que le régime tutélaire des prisons qui
pouvait le sortir des cornes de ce dilemme. Aller en prison,

c’était la pitance assurée, et pour aller en prison, il n’y avait
qu’un moyen : entrer dans un restaurant, se faire servir, puis
avouer qu’il n’avait pas de quoi payer l’addition.

Et voilà pourquoi, en criant : « Et puis des flûtes! » au lieu de
Vaiea jaeta est classique, Jérôme Tumouche franchisait le seuil
du café Riche avec l’aisance de Caïus Julius César franchisant le
Rubicon.

Vous dire ce que Jérôme mangea en ce déjeuner des funé-
railles de son honneur, c’est ce que je ne saurais faire : des choses
extravagantes avec des truffes, du foie gras et des noms qui
avaient l’air de titres de poèmes symboliques; et ce qu’il but...
bref, le dernier cure-dent avalé, quand le garçon lui présenta
l’addition, il y en avait pour centdix-sept francs soixante-quinze!

Jérôme Tumouche fut très fier, et pensant qu’il en avait, pour
le moins, pour deux mois de prison, il regarda le garçon dans
les yeux, et d’une voix joyeuse :

— Eh bien! mon ami, vous pouvez aller chercher les agents,
car je n’ai pas un sou vaillant... ni sur moi, ni chez moi!

Et il s’attendit à être traité comme du poisson pourri.

Mais il n’en fut rien.

Très grave le garçon répondit :

— Permettez-moi d’en référer au gérant!

Et, en effet, il alla quérir ce haut dignitaire, auquel il expliqua
la chose.

Celui-ci, non moins grave, s’avança vers Tumouche, et...

— Monsieur, quand on n’a pas d’argent, on ne vient pas déjeu-
ner ici. Seulement, comme nous ne voulons pas de scandale,
veuillez sortir et allez vous faire pendre ailleurs!

Et, comme s’il se fût agi d’un prince russe, on conduisit ce
brave Tumouche jusqu’à la porte.

Qui est-ce qui fit une tète?

Ce fut Jérôme!

— Oh! elle est bonne! monologua-t-il sur le trottoir. Eh bien!
me voilà joli! Ah! ça, est-ce que je vais être obligé maintenant
d’assassiner un ministre plénipotentiaire pour aller en prison?
Ah! me voilà joli garçon!...

Ce monologue fut interrompu par une grimace. Jérôme venait
de sentir les signes précurseurs d’une révolution intestine. Dame !
quand on a mangé pour cent dix-sept francs soixante-quinze de
comestibles variés, une colique est excusable. Jérôme se trouvait
en plein boulevard; allez donc vous soulager au milieu de ce
flux de promeneurs !

— Ma foi, tant pis ! grommela Jérôme ; et, se tenant le ventre,
tel un trait lancé par un homme d’esprit! il pénétra dans un de
ces chalets de première nécessité où l’on ne paye qu’en sortant.

Seulement, c’était là le hic ! il fallait payer en sortant.

Aussi, quand il eut fini, Jérôme se présenta-t-il devant la pré-
posée, et le sourire sur les lèvres :

— Vous pouvez aller chercher la police! Je n’ai pas les trois
sous que je vous dois pour ma consommation.

— Hein ?... fit la femme stupéfaite.

— Je vous dis que je n’ai pas d’argent!

Oh! ça ne traîna pas! Deux agents empoignèrent Jérôme, le
conduisirent devant le commisaire de police et, le lendemain, un
bon juge le condamnait à deux mois de prison pour grivèlerie.

Cette histoire ne comporte pas de morale! Pourtant, remar-
quez, je vous prie, que Jérôme fut puni pour avoir strictement
rendu à la société ce qu’il avait volé ailleurs! O justice ! ne serais-
tu qu’un vain mot?... Roger.
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