Culture physique.

Aurions-nous la chance extraordinaire, enfin, d'être
à la veille d’une seconde décadence après les siècles
d’ennui que nous avons subis? A certains signes pré-
curseurs on le pourrait croire, semble-t-il, et ceci
n’est point pour nous déplaire. En première ligne,

voici la nouvelle direction du Moulin-Rouge qui re-
met en honneur les mœurs de la Rome impériale et
confond ingénieusement les plaisirs de la table avec
les jeux athlétiques : partent et circenses. Couchés
en face de la scène, les spectateurs exercent leurs
muscles maxillaires cependant que dès acrobates
agiles dansent le cake-walk devant le buffet. Les uns

•soulèvefit des; poids tandis que (Vautres en mangent,
et si l’acteur fait des haltères, le spectateur n’en
boit que mieux, (l’est un peu ïnuffle, mais excellent
au point de vue physique pour la digestion.

Tout naturellement, la représentation est intime-
ment liée cà l’or-dre du menu.

Pendant la purée potage, l’orchestre se contente
de jouer un simple pot-pourri que l’on baptise du
nom de; sélection pour ne pas dégoûter les dames.

Au poisson correspond le quadrille traditionnel,
puis on passe tout de suite aux entrées.

C’est alors que, pour les poulets, se place le pre-
mier Cercle de la mort
dont tous nos lecteurs ont
entendu parler. Ce cercle
n’est autre chose qu’une
grande cage k poules dans
laquelle le cuisinier fait
son choix.

L’animal désigné, après
deux ou trois tours est tué
et placé sur la scène de-
vant les milliers de dents
de tous les spectateurs. Ce
sont alors des applaudis-
sements frénétiques, l’en-
thousiasme devient indes-
criptible et le rideau se
baisse.

Il se relève au rôti pour
l’exhibition de Lionel
Strongfort, une pièce ma-
gnifique,mais,hélas! disons-
le franchement, entière-
ment truquée. A l’état nor-
mal, Strongfort n’est, en
effet, pas plus gros ni plus
fort que vous ou moi. Avant d’entrer en scène, il revêt
un simple maillot couleur chair, très ample, dans
lequel on glisse, comme dans un sac, dix à douze
rats de forte taille admirablement bien dressés. Sitôt
enfermés, ces animaux se mettent à courir en tous
sens, donnant ainsi l’illusion de muscles énormes qui
tressaillent et se déplacent sous le maillot. C’est en-
fantin comme supercherie. Quant à l’écrasement par
un automobile, à la veille de Paris-Madrid, cet exer-
cice mal interprété en haut lieu a bien failli faire
interdire la course. Viennent ensuite des clowns po-
chards qui incitent à l’usage des vins et lorsque le
spectateur en est aux fruits, les célèbres Noiset’s font
leur entrée.

Patiemment ils remontent sur la scène la grande
cage à poules, le fameux cercle de la mort mais à

l’envers cette fois et attendent l’heure des émotions
fortes, l’heure du petit verre de raide qui fait passer
tout le repas.

C’est alors qu’avec leurs petites têtes d’oiseaux
ils s’envolent sur la piste et font un instant pla-
ner dans la salle la plus angoissante terreur. Mais le

cuisinier n’est plus là, personne n’a plus faim èt
tout se termine sans accident, le plus tranquille-
ment du monde. En fin de compte, ce sont toujours
les poulets du début qui écopent. Espérons que les
autres ne rencontreront jamais de casse-noisettes.

G. de Pawlowski.

P. S. — En dernière heure on nous annonce que
le cuisinier du Moulin-Rouge, emporté par le ver-

tige général, vient d’aborder le Cercle de la Mort
avec un fourneau à pétrole. 11 y a de beaux jours en
perspective pour les omelettes, les côtelettes brûlées
et la cuisine française. G. P.