LE NOUVEAU JEU DES SALONS
Le bridge est délaissé, on cause de l'affaire Syveton...
i
tout ce que vous croyez : cours du soir, espoir 1 A la séance d'i-
nauguration, Mme de Mongey ne nous apas donné, comme Thala-
mas, son opinion personnelle sur Jeanne d'Arc, mais elle a parlé
sur la résistance en amour, et sur son utilité.
La conférence a été lapidaire : « La résistance est un des
attraits de la possession. Le compotier qui vous offre tousses
fruits ne vous tente pas, tandis que la pomme qui tient fort au.
pommier vous fait envie, »
Ah! comme on sent l'expérience ! Comme cette phrase est vé-
cue : certes, nous aimons les pommes qui se tiennent bien. Les
femmes préfèrent peut-être les poires qui se tiennent mal... Enfin
on doit pouvoir s'entendre, surtout à l'approche du Jour de l'an.
On a tant besoin d'argent. Un journal de sport offre cinq cents
francs à la personne qui abordera, la première, un monsieur,
d'ailleurs pas autrement désigné, qui se promèneraà un jour fixé»
dans l'allée centrale de la nef du Grand-Palais. Ce monsieur aura
dans sa poche une enveloppe contenant un bon billet de cinq
cents francs à toucher ar. bureau du journal. Nous savons que
l'honorabilité du monsieur «st « au-dessus de tout soupçon »,
mais comme signalement, c'est vag'ie. 11 faudra dire textuelle-
ment au monsieur : « Est-ce vous, monsieur, qui avez l'enve-
loppe? » Et en même temps, il faudra présenter un numéro du
journal. Ça a l'air facile, mais le moyen de reconnaître le por-
teur? Il est honorable, bien entendu, mais est-il blond ou brun,
petitou grand, gras ou maigre? Et, si tous ceux qui désirent ga-
gner les bienheureux vingt-cinq louis, interpellent, au petit bon-
heur, tous les promeneurs de l'allée centrale au Grand-Palais,
ce sera gai ! Peut-être, pour éviter la question saugrenue, les
promeneurs honorables préféreront-ils, ce jour-là, ne pas entrer
au Grand-Palais, mais le nombre de ces timorés ne sera jamais
égal à celui des gens espérant le billet bleu. Donc, en somme,
l'affaire doit être bonne pour le Grand-Palais.
*
* *
Elle marche, l'enquête, sur l'incident de Hull. Nous avons déjà
noté l'empressement frénétique avec lequel la commission avait
décidé de se réunir à Paris, le plus rapidement possible. Les
joyeux enquêteurs sont arrivés à un bon moment, alors que no-
tre ville est en joie, que les boutiques étincellent et que les res-
taurants de nuit restent ouverts jusqu'aux heures les plus cré-
pusculaires, à de vaillants soupeurs qui ne craignent ni les huî-
tres, ni le vin de Champagne, ni les truffes sous la serviette-.
Les membres de la commission se sont donc installés au quai
d'Orsay, à cinq minutes du boulevard, dans la partie nord du pre-
mier étage certainement plus confortable que la mer du Nord. Deux
salons décorés de magnifiques tapisseries des Gobelins de Cozette
etd'Audran sont affectés — je comprends ça — aux délibérations ;
les autres pièces ont été transformées en fumoir, buffet, etc.
L'enquête a commencé par un déjeuner exquis. «La table, ornée
avec un goût parfait, de roses et de gui, de dattes fraîches (pas la
date de l'attentat) et de nombreuses variétés de fleurs et de fruits
exotiques, comprenait vingt-huit couverts. »
Ailons, cela commence bien ! J'aime à croire que le poisson
était aussi frais que les dattes, en souvenir des malheureux pê-
cheurs de Hull. Ah! les braves pêcheurs-chalutiers! Chalut!
Chahut ! Le baron de Gondremark, et le baron Gray feront cer-
tainement très bonne figure dans cette armée du chalut et cette
fin d'année dix-neuf-cent-quatre restera comme un des meilleurs
souvenirs de la diplomatie européenne. *
Et pendant ce temps, sous le froid, dans la brume, les marins
Russes continuent à cingler vers Port-Arthur, et dans la nuit de
Noël, les officiers ont songé au « Bercail » où il y a des petits
enfants venus en longue chemise blanche pour chercher des
joujoux au foyer familial, foyer dont le père est absent...
...Noël!... Ce nom tant aimé des bambins, me fait souvenir
d'une anecdote fort connue mais si drôle!... Une maman de nos
amies avait été porter dans la chambre de bébé les joujoux accou-
tumés. Elle les avait placés dans sa chemise diaphane et, accrou-
pie devant le feu qui nuançait son joli corps de teintes roses,
elle remplissait avec amour les petits souliers placés en bataille.
Le lendemain matin, elle entre dans la chambre de bébé et
s'attend à le voir enchanté, ravi. Et, de fait, il s'était déjà levé,
et avait été ramasser son butin, car tous les jouets étaient étalés
sur le lit. Il les tournait et retournait, en paraissant fort per-
plexe.
— Eh bien, bébé, dit la maman, es-tu satisfait de ce qu'a
apporté le petit Noël ?
— Oui, mais j'aurais voulu le bonnet à poil.
— Quel bonnet à poil ?
— Moi, je suis sûr d'avoir vu un bonnet à poil.
La maman resta un instant interloquée ; mais tout à coup ello
répondit à bébé en rougissant un peu ;
— Ça, vois-tu, mon ami, c'est le petit Noël de ton papa.
Le bridge est délaissé, on cause de l'affaire Syveton...
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tout ce que vous croyez : cours du soir, espoir 1 A la séance d'i-
nauguration, Mme de Mongey ne nous apas donné, comme Thala-
mas, son opinion personnelle sur Jeanne d'Arc, mais elle a parlé
sur la résistance en amour, et sur son utilité.
La conférence a été lapidaire : « La résistance est un des
attraits de la possession. Le compotier qui vous offre tousses
fruits ne vous tente pas, tandis que la pomme qui tient fort au.
pommier vous fait envie, »
Ah! comme on sent l'expérience ! Comme cette phrase est vé-
cue : certes, nous aimons les pommes qui se tiennent bien. Les
femmes préfèrent peut-être les poires qui se tiennent mal... Enfin
on doit pouvoir s'entendre, surtout à l'approche du Jour de l'an.
On a tant besoin d'argent. Un journal de sport offre cinq cents
francs à la personne qui abordera, la première, un monsieur,
d'ailleurs pas autrement désigné, qui se promèneraà un jour fixé»
dans l'allée centrale de la nef du Grand-Palais. Ce monsieur aura
dans sa poche une enveloppe contenant un bon billet de cinq
cents francs à toucher ar. bureau du journal. Nous savons que
l'honorabilité du monsieur «st « au-dessus de tout soupçon »,
mais comme signalement, c'est vag'ie. 11 faudra dire textuelle-
ment au monsieur : « Est-ce vous, monsieur, qui avez l'enve-
loppe? » Et en même temps, il faudra présenter un numéro du
journal. Ça a l'air facile, mais le moyen de reconnaître le por-
teur? Il est honorable, bien entendu, mais est-il blond ou brun,
petitou grand, gras ou maigre? Et, si tous ceux qui désirent ga-
gner les bienheureux vingt-cinq louis, interpellent, au petit bon-
heur, tous les promeneurs de l'allée centrale au Grand-Palais,
ce sera gai ! Peut-être, pour éviter la question saugrenue, les
promeneurs honorables préféreront-ils, ce jour-là, ne pas entrer
au Grand-Palais, mais le nombre de ces timorés ne sera jamais
égal à celui des gens espérant le billet bleu. Donc, en somme,
l'affaire doit être bonne pour le Grand-Palais.
*
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Elle marche, l'enquête, sur l'incident de Hull. Nous avons déjà
noté l'empressement frénétique avec lequel la commission avait
décidé de se réunir à Paris, le plus rapidement possible. Les
joyeux enquêteurs sont arrivés à un bon moment, alors que no-
tre ville est en joie, que les boutiques étincellent et que les res-
taurants de nuit restent ouverts jusqu'aux heures les plus cré-
pusculaires, à de vaillants soupeurs qui ne craignent ni les huî-
tres, ni le vin de Champagne, ni les truffes sous la serviette-.
Les membres de la commission se sont donc installés au quai
d'Orsay, à cinq minutes du boulevard, dans la partie nord du pre-
mier étage certainement plus confortable que la mer du Nord. Deux
salons décorés de magnifiques tapisseries des Gobelins de Cozette
etd'Audran sont affectés — je comprends ça — aux délibérations ;
les autres pièces ont été transformées en fumoir, buffet, etc.
L'enquête a commencé par un déjeuner exquis. «La table, ornée
avec un goût parfait, de roses et de gui, de dattes fraîches (pas la
date de l'attentat) et de nombreuses variétés de fleurs et de fruits
exotiques, comprenait vingt-huit couverts. »
Ailons, cela commence bien ! J'aime à croire que le poisson
était aussi frais que les dattes, en souvenir des malheureux pê-
cheurs de Hull. Ah! les braves pêcheurs-chalutiers! Chalut!
Chahut ! Le baron de Gondremark, et le baron Gray feront cer-
tainement très bonne figure dans cette armée du chalut et cette
fin d'année dix-neuf-cent-quatre restera comme un des meilleurs
souvenirs de la diplomatie européenne. *
Et pendant ce temps, sous le froid, dans la brume, les marins
Russes continuent à cingler vers Port-Arthur, et dans la nuit de
Noël, les officiers ont songé au « Bercail » où il y a des petits
enfants venus en longue chemise blanche pour chercher des
joujoux au foyer familial, foyer dont le père est absent...
...Noël!... Ce nom tant aimé des bambins, me fait souvenir
d'une anecdote fort connue mais si drôle!... Une maman de nos
amies avait été porter dans la chambre de bébé les joujoux accou-
tumés. Elle les avait placés dans sa chemise diaphane et, accrou-
pie devant le feu qui nuançait son joli corps de teintes roses,
elle remplissait avec amour les petits souliers placés en bataille.
Le lendemain matin, elle entre dans la chambre de bébé et
s'attend à le voir enchanté, ravi. Et, de fait, il s'était déjà levé,
et avait été ramasser son butin, car tous les jouets étaient étalés
sur le lit. Il les tournait et retournait, en paraissant fort per-
plexe.
— Eh bien, bébé, dit la maman, es-tu satisfait de ce qu'a
apporté le petit Noël ?
— Oui, mais j'aurais voulu le bonnet à poil.
— Quel bonnet à poil ?
— Moi, je suis sûr d'avoir vu un bonnet à poil.
La maman resta un instant interloquée ; mais tout à coup ello
répondit à bébé en rougissant un peu ;
— Ça, vois-tu, mon ami, c'est le petit Noël de ton papa.