ALLO ï ALLÔ ï
Je faisais depuis trois mois une cour as-
sidue à la petite Mme des Griseries, une
jolie blonde potelée qui ressemble à cette
délicieuse poupée, au visage rond, aux yeux
candides, au sourire malicieux, qu'Abel
Faivre encadre de vieux marcheurs ou de
duègnes.
Mme des Griseries avait accueilli mes
soins avec des demi-promesses et des demi-
abandons. Tantôt, elle semblait prête à ré-
pondre à mes vœux; tantôt, elle me décou-
rageait par des saillies mordantes. L'igno-
rance où elle me laissait de ses intentions,
ces alternatives d'espoir et de détresse ne
faisaient qu'attiser mon désir. Enfin, je pris
un beau jour mon courage à deux mains
et lui représentai qu'en me bernant avec
autant d'insistance, elle outrepassait impu-
demment le droit que les femmes s'arro-
gent de se moquer de nous.
Elle éclata de rire et me répondit :
— Est-ce que vous avez le téléphone?
— Non... Quelle question ! Je tiens trop
à ma tranquillité...
— Eh bien, faites installer le téléphone
chez vous, et, alors... je ne dis pas non...
Je tentai de pénétrer les raisons qui mo- _ n est rien trouble, vot' amer orgeat!
tivaient son étrange désir, mais jen'en pus — Ah!... Ça doit être le verre qui est sale,
tirer autre chose que des petits rires aga- — C'est bon alors, ça va bien.
cants. Dessin de Ricardo Florès.
J'en conclus que Mme des Griseries en-
tendait me signifier tout son dédain gouail- — Non, mais c'est sérieux'1 — Je n'ai qu'une parole !
leur, et je m'efforçai de ne plus penser à elle. — Très sérieux... Faites installer le té- —Mais, au moins, dites-moi pourquoi
Je la rencontrai huit jours plus tard. léphone chez vous, et je vous promets que... vous tenez tant à ce que j'aie le téléphone?...
— Eh bien, me demanda-t-elle, avez-vous oui. je vous le prometsl Je n'obtins d'autre réponse que ses pe-
songé au téléphone? _ Vrai, vrai, vrai? tits rires agaçants.
Cependant, je m'occupai de faire instal-
ler le téléphone. Quand je possédai chez
moi ce moderne instrument de supplice, je
prévins la petite Mrae des Griseries.
— Fort bien, dit-elle. Je tiendrai ma pro-
messe. Attendez-moi, demain, à quatre
heures.
Et le lendemain, à quatre heures, une
petite Mme des Griseries, capiteuse et par-
fumée, sonnait à ma porte.
Jetons un voile sur ce qui se passa alors.
J'admirai sans réserve le mot de Buffon,
qui dit de l'amour : « Dans cette passion, il
n'y a que le physique de bon. »
Il vint un moment où la petite Mm8 des
Griseries me demanda, d'une voix ensom-
meillée :
— Dis donc, chou, quelle heure est-il?
— Six heures et quart...
— Six heures et quart! Mon mari va
quitter son bureau... J'ai juste le temps...
Et elle courut, nu-pieds, dans mon cabi-
net de travail, où l'appareil téléphonique
était placé. Je la suivis. Elle demanda un
numéro, et, en attendant la communication,
s'assit sur mes genoux.
— Allô! C'est toi, Charles? Tu allais sor-
tir?... Je te téléphone du bureau de poste
de la rue Pierre-Charron... Dis donc, avant
de rentrer, passe donc chez Chose, tu sais,
place du Havre... Tu me rapporteras un
pâté de perdreau... J'en ai une envie!...
Merci, mon ami... Tu es un ange...
Mme des Griseries raccrocha les récep-
teurs et me prodigua incontinent des mar-
ques passionnées de sa bienveillance.
Jetons encore un voile sur toute cette
physiologie.
Puis, d'une voix mouillée de caresse
— Ah ! mon chéri ! Tu n'as donc pas com-
pris?... Parler à son mari, tranquillement,
tandis qu'on est assise sur les genoux de
son amant! C'est une sensation, ça!...
^jJ> Elle étira ses beaux bras brodés de fos-
z settes, où le coude est nacré comme un
"J coquillage, puis, après un bâillement de
chatte amoureuse :
le chauffeur. - On a sonné... enfin!... ça doit être le docteur. ' -Seulement, tu sais c'est embêtant de
Baptiste. - Non, monsieur, c'est la préfecture de police qui envoie à monsieur son permis de courir la-bas, pour téléphoner... Tu devrais
conduire! r . ï r faire installer un petit téléphone portatit,
Dessin de Haye, sur la table de nuit... Gaston Derys.
Exquise Digestive
Je faisais depuis trois mois une cour as-
sidue à la petite Mme des Griseries, une
jolie blonde potelée qui ressemble à cette
délicieuse poupée, au visage rond, aux yeux
candides, au sourire malicieux, qu'Abel
Faivre encadre de vieux marcheurs ou de
duègnes.
Mme des Griseries avait accueilli mes
soins avec des demi-promesses et des demi-
abandons. Tantôt, elle semblait prête à ré-
pondre à mes vœux; tantôt, elle me décou-
rageait par des saillies mordantes. L'igno-
rance où elle me laissait de ses intentions,
ces alternatives d'espoir et de détresse ne
faisaient qu'attiser mon désir. Enfin, je pris
un beau jour mon courage à deux mains
et lui représentai qu'en me bernant avec
autant d'insistance, elle outrepassait impu-
demment le droit que les femmes s'arro-
gent de se moquer de nous.
Elle éclata de rire et me répondit :
— Est-ce que vous avez le téléphone?
— Non... Quelle question ! Je tiens trop
à ma tranquillité...
— Eh bien, faites installer le téléphone
chez vous, et, alors... je ne dis pas non...
Je tentai de pénétrer les raisons qui mo- _ n est rien trouble, vot' amer orgeat!
tivaient son étrange désir, mais jen'en pus — Ah!... Ça doit être le verre qui est sale,
tirer autre chose que des petits rires aga- — C'est bon alors, ça va bien.
cants. Dessin de Ricardo Florès.
J'en conclus que Mme des Griseries en-
tendait me signifier tout son dédain gouail- — Non, mais c'est sérieux'1 — Je n'ai qu'une parole !
leur, et je m'efforçai de ne plus penser à elle. — Très sérieux... Faites installer le té- —Mais, au moins, dites-moi pourquoi
Je la rencontrai huit jours plus tard. léphone chez vous, et je vous promets que... vous tenez tant à ce que j'aie le téléphone?...
— Eh bien, me demanda-t-elle, avez-vous oui. je vous le prometsl Je n'obtins d'autre réponse que ses pe-
songé au téléphone? _ Vrai, vrai, vrai? tits rires agaçants.
Cependant, je m'occupai de faire instal-
ler le téléphone. Quand je possédai chez
moi ce moderne instrument de supplice, je
prévins la petite Mrae des Griseries.
— Fort bien, dit-elle. Je tiendrai ma pro-
messe. Attendez-moi, demain, à quatre
heures.
Et le lendemain, à quatre heures, une
petite Mme des Griseries, capiteuse et par-
fumée, sonnait à ma porte.
Jetons un voile sur ce qui se passa alors.
J'admirai sans réserve le mot de Buffon,
qui dit de l'amour : « Dans cette passion, il
n'y a que le physique de bon. »
Il vint un moment où la petite Mm8 des
Griseries me demanda, d'une voix ensom-
meillée :
— Dis donc, chou, quelle heure est-il?
— Six heures et quart...
— Six heures et quart! Mon mari va
quitter son bureau... J'ai juste le temps...
Et elle courut, nu-pieds, dans mon cabi-
net de travail, où l'appareil téléphonique
était placé. Je la suivis. Elle demanda un
numéro, et, en attendant la communication,
s'assit sur mes genoux.
— Allô! C'est toi, Charles? Tu allais sor-
tir?... Je te téléphone du bureau de poste
de la rue Pierre-Charron... Dis donc, avant
de rentrer, passe donc chez Chose, tu sais,
place du Havre... Tu me rapporteras un
pâté de perdreau... J'en ai une envie!...
Merci, mon ami... Tu es un ange...
Mme des Griseries raccrocha les récep-
teurs et me prodigua incontinent des mar-
ques passionnées de sa bienveillance.
Jetons encore un voile sur toute cette
physiologie.
Puis, d'une voix mouillée de caresse
— Ah ! mon chéri ! Tu n'as donc pas com-
pris?... Parler à son mari, tranquillement,
tandis qu'on est assise sur les genoux de
son amant! C'est une sensation, ça!...
^jJ> Elle étira ses beaux bras brodés de fos-
z settes, où le coude est nacré comme un
"J coquillage, puis, après un bâillement de
chatte amoureuse :
le chauffeur. - On a sonné... enfin!... ça doit être le docteur. ' -Seulement, tu sais c'est embêtant de
Baptiste. - Non, monsieur, c'est la préfecture de police qui envoie à monsieur son permis de courir la-bas, pour téléphoner... Tu devrais
conduire! r . ï r faire installer un petit téléphone portatit,
Dessin de Haye, sur la table de nuit... Gaston Derys.
Exquise Digestive