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https://doi.org/10.11588/diglit.19269#0008
I.E CALOMNIATEUR HISTORIQUE
— La conférence de Tha'tamas sur Napoléon a été interdite?
— Qui... On ne veut pas qu’il aille raconter que Napoléon n’était pas
pucelle... »
UNE NOUVELLE LIGUE
Comme la soubrette venait d’apporter le
chocolat, la jeune femme minauda, en me
taquinant la moustache :
■— Tu ne m’as pas dit ce que tu fais?...
Je répondis stupidement ;
— Je fais la grasse matinée...
Elle me fit observer avec justesse que ça
n’était pas une profession. Une nuit copieuse-
ment consacrée à de galantes prouesses pro-
duit sur mes méninges une dépression pro-
fonde. 11 y a des gens qui ont le vin triste.
Moi, j’ai l’amour bête. Et il fallait que je l’eusse
rudement bête, ce matin-là, pour déclarer à
la douce enfant :
— Je suis député des Alpes-Orientales.
— Ah! tu es député... Je me doutais bien
que tu devais être quelque chose dans ce goût-
là...
— Tiens, pourquoi?
— Parce que tu n’as pas la tête du monsieur
qui fait quelque chose de sérieux...
— Non, mais dis donc, faut pas te gêner...
— Te fâche pas, mon loup... C’est pour rire...
D’ailleurs, la question sociale ne me laisse
pas indifférente. Telle que tu me vois, je suis
en train de fonder une ligue...
— Une ligue !... La Ligue pour la Licence
des Grues ?...
— Ce que ,a dis là ost bête et grossier...
— Merci, chère àmi !
— Tu n’es pas à la Chambre, ici !
— Je suis dans la tienne...
— Par conséquent, tu pourrais être plus poli... D’abord, je ne
suis pas une grue, je suis une courtisane...
— La nuance?...
— Il faut être aveugle pour ne pas la distinguer... La courti-
sane est à la grue ce que l’homme d’Etat est au politicien, ce
que la romanée-conti 1894 est au petit bleu d’Argenteuil, ce que
l’or est à l’argent, ce...
— Suspens le cours de ces comparaisons ingénieuses ; j’ai com-
pris, belle enfant, j’ai compris...
— Une courtisane, c’est une femme qui a un intérieur, des
bijoux, un coffre-fort au Crédit Lyonnais, du linge, une manu-
cure, de l’ambition, son brevet supérieur, deux-ou trois amis
sérieux dans la grosse industrie ou la finance, une voiture au
mois, et qui choisit ses amants d’une nuit... Ainsi, toi, si ta tête
ne m’était pas revenue, eh bien, je t’aurais envoyé promener...
— Je suis très flatté...
— Je me suis doutée que tu étais dans les officiels... C’est
pourquoi j’ai accepté ton invitation à souper... Tandis que les
grues, vois-tu, ce sont les chiffonnières de la galanterie... Elles
prennent ce qu’elles trouvent... Mais revenons à ma ligue. Elle
s’appellera le Syndicat de défense des intérêts professionnels
des Marchandes d'Amour.
— Le titre est beau! Et le programme?...
— Nous voulons, mes amies et moi, que la galanterie devienne
une carrière reconnue officiellement, comme la diplomatie, la
médecine ou la littérature.
— Aïe ! aïe ! Ce sera difficile à faire avaler...
— Et pourquoi donc, je te le demande ? Jouons cartes sur
table...
— Transparentes ?
— Voyons, je ne plaisante pas ! Ce que tu es député, tout de
mêmel Tu ne nieras pas que nous remplissons une fonction
sociale profondément utile, et, je dirai plus, incontestablement
nécessaire... Suppose que, par impossible, les courtisanes vien-
nent à disparaître. Tout est bouleversé, ruiné. L’Etat s’effondre.
La société s’anéantit. Les passions, que nous endiguions, se répandent de
toutes parts comme un torrent furieux. On viole les femmes dans les rues.
Les couvents, les pensionnats de demoiselles sont assiégés par des satyres.
Tu vois que c’est
grâce
à nous que tu pourras epouser une vierge, grâce
à nous que ta femme te sera — tout arrive — peut-être fidèle. Nous sommes
SIGNALEMENT
C’est son amant?
Heu!... C’est celui qui est avec elle quand elle n’est pas avec un autre...
Dessins d'Albort Guillacme,
— La conférence de Tha'tamas sur Napoléon a été interdite?
— Qui... On ne veut pas qu’il aille raconter que Napoléon n’était pas
pucelle... »
UNE NOUVELLE LIGUE
Comme la soubrette venait d’apporter le
chocolat, la jeune femme minauda, en me
taquinant la moustache :
■— Tu ne m’as pas dit ce que tu fais?...
Je répondis stupidement ;
— Je fais la grasse matinée...
Elle me fit observer avec justesse que ça
n’était pas une profession. Une nuit copieuse-
ment consacrée à de galantes prouesses pro-
duit sur mes méninges une dépression pro-
fonde. 11 y a des gens qui ont le vin triste.
Moi, j’ai l’amour bête. Et il fallait que je l’eusse
rudement bête, ce matin-là, pour déclarer à
la douce enfant :
— Je suis député des Alpes-Orientales.
— Ah! tu es député... Je me doutais bien
que tu devais être quelque chose dans ce goût-
là...
— Tiens, pourquoi?
— Parce que tu n’as pas la tête du monsieur
qui fait quelque chose de sérieux...
— Non, mais dis donc, faut pas te gêner...
— Te fâche pas, mon loup... C’est pour rire...
D’ailleurs, la question sociale ne me laisse
pas indifférente. Telle que tu me vois, je suis
en train de fonder une ligue...
— Une ligue !... La Ligue pour la Licence
des Grues ?...
— Ce que ,a dis là ost bête et grossier...
— Merci, chère àmi !
— Tu n’es pas à la Chambre, ici !
— Je suis dans la tienne...
— Par conséquent, tu pourrais être plus poli... D’abord, je ne
suis pas une grue, je suis une courtisane...
— La nuance?...
— Il faut être aveugle pour ne pas la distinguer... La courti-
sane est à la grue ce que l’homme d’Etat est au politicien, ce
que la romanée-conti 1894 est au petit bleu d’Argenteuil, ce que
l’or est à l’argent, ce...
— Suspens le cours de ces comparaisons ingénieuses ; j’ai com-
pris, belle enfant, j’ai compris...
— Une courtisane, c’est une femme qui a un intérieur, des
bijoux, un coffre-fort au Crédit Lyonnais, du linge, une manu-
cure, de l’ambition, son brevet supérieur, deux-ou trois amis
sérieux dans la grosse industrie ou la finance, une voiture au
mois, et qui choisit ses amants d’une nuit... Ainsi, toi, si ta tête
ne m’était pas revenue, eh bien, je t’aurais envoyé promener...
— Je suis très flatté...
— Je me suis doutée que tu étais dans les officiels... C’est
pourquoi j’ai accepté ton invitation à souper... Tandis que les
grues, vois-tu, ce sont les chiffonnières de la galanterie... Elles
prennent ce qu’elles trouvent... Mais revenons à ma ligue. Elle
s’appellera le Syndicat de défense des intérêts professionnels
des Marchandes d'Amour.
— Le titre est beau! Et le programme?...
— Nous voulons, mes amies et moi, que la galanterie devienne
une carrière reconnue officiellement, comme la diplomatie, la
médecine ou la littérature.
— Aïe ! aïe ! Ce sera difficile à faire avaler...
— Et pourquoi donc, je te le demande ? Jouons cartes sur
table...
— Transparentes ?
— Voyons, je ne plaisante pas ! Ce que tu es député, tout de
mêmel Tu ne nieras pas que nous remplissons une fonction
sociale profondément utile, et, je dirai plus, incontestablement
nécessaire... Suppose que, par impossible, les courtisanes vien-
nent à disparaître. Tout est bouleversé, ruiné. L’Etat s’effondre.
La société s’anéantit. Les passions, que nous endiguions, se répandent de
toutes parts comme un torrent furieux. On viole les femmes dans les rues.
Les couvents, les pensionnats de demoiselles sont assiégés par des satyres.
Tu vois que c’est
grâce
à nous que tu pourras epouser une vierge, grâce
à nous que ta femme te sera — tout arrive — peut-être fidèle. Nous sommes
SIGNALEMENT
C’est son amant?
Heu!... C’est celui qui est avec elle quand elle n’est pas avec un autre...
Dessins d'Albort Guillacme,