VŒUX DE CHASTETÉ
La nuit comme le jour, nous sommes séquestrés. Ces conditions de vie
nous condamnent au célibat. Nous voulons avoir un foyer, afin de pouvoir
nous créer une famille et sentir autour de nous cette affection sans laquelle
la vie n’est qu’un martyre. (L’affiche des Epiciers-grévistes.)
-* Vous ne pouvez pas l’épouser?... Quoi! monsieur, seriez-vous chevalier de Malte?
— Non, madame; mais c’est bien pire... je suis garçon épicier!... Dessin cl'Aibert Guillaume.
donc les remparts de la vertu bourgeoise, les boucliers de la
pudeur, les soutiens du mariage, les colonnes mêmes de la
société. En échange de tout cela, il me semble que la société
devrait nous protéger mieux qu’elle ne fait. Considère que, pour
accomplir notre mission, nous ne reculons devant aucun danger.
Le courage est notre propre. Enfin, une femme qui ramène tous
les jours, chez elle, une ou plusieurs personnes qu’elle ne con-
naît ni des lèvres ni des dénis, ne commet-elle pas une action
d’une rare intrépidité? Voyons, est-ce vrai?
— Je t’accorde que, pour ma part, je ne voudrais pas laisser
coucher chez moi, chaque soir, un quelconque de mes élec-
teurs.. .
— Tu vois bien... Maintenant, je vais te faire toucher du
doigt...
— Avec plaisir...
Voyons, sois donc sérieux... toucher les bienfaits indirects
que nous répandons sur le monde... Combien d’ouvriers, com-
bien d ouvrières vivent de notre parure! Nous procurons du tra-
vail à tout un peuple. Nous lançons les modes. Nous donnons à
l’étranger des leçons d’élégance; nous soutenons par là le pres-
tige de la France!... Enfin, quand nous ruinons les fils à papa,
nous remettons dans la circulation, de l’argent souvent mal
acquis... Quand je demande la reconnaissance officielle de notre
profession, je demande donc une chose absolument équitable-
Toi qui es député, tu vas t’occuper de ma ligue... Tu me le pro-
mets?... Je serai bien gentille... Gros passionné, va!... Tu me le
promets ?...
— Ah ! voui, va I
(La décence m’oblige à interrompre ce dialogue par une ligne
de points. Je laisse à l’imagination de mes lecteurs le soin de la
remplacer par tout ce qu’ils voudront.)
— Aloi\s, c’est entendu, mon gros chéri, tu nous feras admettre
à la Bourse du Travail. Nous participerons aux retraites pour la
vieillesse. Tu comprends, il est bien naturel que, lorsqu’on a
consumé ses plus belles années à faire le bonheur des autres, on
ait une vieillesse assurée. Il faudra nous faire bâtir une maison
de retraite ; on pourrait arranger quelque chose dans le genre
des Trente ans de Théâtre...
— Les Trente ans de Chaise-Longue...
— Non, les Trente ans de Sourires !... C’est plus chic... Tu
nous feras établir un tarif minimum... Calculé d’après le loyer
de chacune de nous... Le lapin devra être assimilé à l’escro-
querie et entraîner des pénalités sévères... Il faudra endiguer la
concurrence étrangère par des droits d’entrée, des impôts très
élevés... On pourrait instituer une Ecole d’Amour... On en sor-
tirait avec un diplôme...
— « Licencieuse ès sciences galantes », ça ferait très bien sur
une carte de visite.
— Et, au bout de dix ans d’exercice, il me semble qu’un petit
bout de ruban...
— En sautoir... Officière de belle académie...
— Ah ! tu me comprends, toi !
Sedry
La nuit comme le jour, nous sommes séquestrés. Ces conditions de vie
nous condamnent au célibat. Nous voulons avoir un foyer, afin de pouvoir
nous créer une famille et sentir autour de nous cette affection sans laquelle
la vie n’est qu’un martyre. (L’affiche des Epiciers-grévistes.)
-* Vous ne pouvez pas l’épouser?... Quoi! monsieur, seriez-vous chevalier de Malte?
— Non, madame; mais c’est bien pire... je suis garçon épicier!... Dessin cl'Aibert Guillaume.
donc les remparts de la vertu bourgeoise, les boucliers de la
pudeur, les soutiens du mariage, les colonnes mêmes de la
société. En échange de tout cela, il me semble que la société
devrait nous protéger mieux qu’elle ne fait. Considère que, pour
accomplir notre mission, nous ne reculons devant aucun danger.
Le courage est notre propre. Enfin, une femme qui ramène tous
les jours, chez elle, une ou plusieurs personnes qu’elle ne con-
naît ni des lèvres ni des dénis, ne commet-elle pas une action
d’une rare intrépidité? Voyons, est-ce vrai?
— Je t’accorde que, pour ma part, je ne voudrais pas laisser
coucher chez moi, chaque soir, un quelconque de mes élec-
teurs.. .
— Tu vois bien... Maintenant, je vais te faire toucher du
doigt...
— Avec plaisir...
Voyons, sois donc sérieux... toucher les bienfaits indirects
que nous répandons sur le monde... Combien d’ouvriers, com-
bien d ouvrières vivent de notre parure! Nous procurons du tra-
vail à tout un peuple. Nous lançons les modes. Nous donnons à
l’étranger des leçons d’élégance; nous soutenons par là le pres-
tige de la France!... Enfin, quand nous ruinons les fils à papa,
nous remettons dans la circulation, de l’argent souvent mal
acquis... Quand je demande la reconnaissance officielle de notre
profession, je demande donc une chose absolument équitable-
Toi qui es député, tu vas t’occuper de ma ligue... Tu me le pro-
mets?... Je serai bien gentille... Gros passionné, va!... Tu me le
promets ?...
— Ah ! voui, va I
(La décence m’oblige à interrompre ce dialogue par une ligne
de points. Je laisse à l’imagination de mes lecteurs le soin de la
remplacer par tout ce qu’ils voudront.)
— Aloi\s, c’est entendu, mon gros chéri, tu nous feras admettre
à la Bourse du Travail. Nous participerons aux retraites pour la
vieillesse. Tu comprends, il est bien naturel que, lorsqu’on a
consumé ses plus belles années à faire le bonheur des autres, on
ait une vieillesse assurée. Il faudra nous faire bâtir une maison
de retraite ; on pourrait arranger quelque chose dans le genre
des Trente ans de Théâtre...
— Les Trente ans de Chaise-Longue...
— Non, les Trente ans de Sourires !... C’est plus chic... Tu
nous feras établir un tarif minimum... Calculé d’après le loyer
de chacune de nous... Le lapin devra être assimilé à l’escro-
querie et entraîner des pénalités sévères... Il faudra endiguer la
concurrence étrangère par des droits d’entrée, des impôts très
élevés... On pourrait instituer une Ecole d’Amour... On en sor-
tirait avec un diplôme...
— « Licencieuse ès sciences galantes », ça ferait très bien sur
une carte de visite.
— Et, au bout de dix ans d’exercice, il me semble qu’un petit
bout de ruban...
— En sautoir... Officière de belle académie...
— Ah ! tu me comprends, toi !
Sedry