Effroyable histoire d'un coiffeur et de sa famille
Pour M. Reyer.
Quand la petite Dorit eut dix ans, ses parents s’inquiétèrent
de lui préparer une situation indépendante et qui lui permît de
gagner plus tard largement sa vie. Us décidèrent qu’elle serait
professeur de piano.
D’excellentes musiciennes, lauréates du Conservatoire, vinrent
offrir des leçons à des prix variant entre cinquante centimes et un
franc le cachet. La petite Dorit travaillait huit heures par jour. Et
c’étaient des gammes, des exercices de plus en plus compliqués.
Ses mains couraient d’un bout à l’autre du clavier comme de
grandes araignées en délire.
Au-dessous de l’appartement, au rez-de-chaussée, habitaientun
coiffeur et sa famille, composée de la femme et de cinq petits
quartier, se hâta de délivrer le permis d’inhumer. La petite
Dorit put continuer en toute impunité ses gammes mortelles.
Après la mère, ce fut bientôt le tour des enfants. Ces délicieux
gamins si amusants, si intelligents, devinrent tout à fait imbé-
ciles. Ils perdirent à peu près l’usage de la parole. Ils ne pous-
saient plus que des sons inarticulés ainsi que d’affreux petits
singes, et, comme eux, leurs corps étaient agités de mouvements
continuels. L’un après l’autre, ils moururent.
Le médecin diagnostiqua une épidémie de diarrhée infantile
et les inspecteurs de l’hygiène firent soigneusement désinfecter
les escaliers de l’immeuble. Le coiffeur resta seul au milieu de
ces ruines. Sa robuste constitution lui avait permis ■ '<» résister
au mal et à la perte des siens.
Mais, un après-midi — le temps était à l’orage et la petite Do-
rit, assise à son piano depuis sept heures du matin, s’acharnait
à l’étude de son morceau de concours d'admission au Conserva-
it]
C’est vous qu'avez tué ces perdrix M. le baron ?
C’est pas moi, mais c’est la même chose. C’est le père Tireau qui a braconné dans ma chasse.
Dessin de IUcardo-Florès.
enfants dont l’aîné avait dix ans. C’étaient les bambins les plus
intelligents, les plus amusants... On les laissait courir dans la
boutique ; les clients et les garçons leur apprenaient des gros
mots, des obscénités qui, en passant par leurs bouches d’innocents,
fmenaient une saveur spéciale. Ah! on ne s’embêtait pas dans
es « salons » du coiffeur, eh attendant son tour. L’appartement
jouissait d’une acoustique bien supérieure àcelle de la grande salle
de l’Opéra. Quand la petite Dont tapait sur son piano, les notes
s’égrenaient claires, distinctes, vibrantes, dans toutes les pièces
du rez-de-chaussée.
La femme du coiffeur se sentit prise la première d’un mal
étrange. C’était au moment du dîner. Ses mains, qui tenaient
la soupière, furent agitées tout à coup d’un tremblement convul-
sif et lâchèrent leur fardeau. Son malaise empira ; elle fut obli-
gée de s’aliter. Elle avait des tics nerveux de la face, riait ou
pleurait sans cause.
La pauvre femme succomba après une agonie atroce. Dans
son délire, il lui semblait que des fillettes s’amusaient à lui taper
sur le crâne avec des petits marteaux en bois feutré.
Le médecin diagnostiqua la fièvre typhoïde et le docteur Soc-
quetf médecin légiste, qui avait d’autres courses à faire dans le
toire, — le coiffeur servait le seul client qui lui fût resté fidèle,
quand tout à coup sa main eut un geste involontaire qui enfonça
la lame dans la joue du patient. Il svenfuit en hurlant: « A l’assas-
sin! « Quand les agents requis par les voisins pénétrèrent dans
la boutique, le coiffeur se tordait sur le plancher en proie à une
effroyable crise de nerfs.
Le malheureux n’est pas mort, mais il n’en vaut guère mieux.
Il passe son tèmps à suivre les camions qui transportent des
pianos chez les particuliers. Quand l’instrument est bien en
place, il s’éloigne avec des ricanements féroces.
Sa tète se balance de droite et de gauche comme l’aiguille d’un
métronome ; quand un piano se fait entendre auprès au malade,
qu’il soit dans la rue, dans un établissement public, tous ses
membres se mettent en mouvement et il exécute de vertigineuses
danses de saint Guy.
La petite Dorit a concouru en jupe courte et mollets nus devant
ces messieurs du Conservatoire; ils l’ont admise à l’unanimité.
Au lieu de prendre des vacances bien gagnées, la vaillante en-
fant s’est remise à son piano. Elle travaille maintenant dix
heures par jour.
La boutique du coiffeur est â louer. SéRis.
Pour M. Reyer.
Quand la petite Dorit eut dix ans, ses parents s’inquiétèrent
de lui préparer une situation indépendante et qui lui permît de
gagner plus tard largement sa vie. Us décidèrent qu’elle serait
professeur de piano.
D’excellentes musiciennes, lauréates du Conservatoire, vinrent
offrir des leçons à des prix variant entre cinquante centimes et un
franc le cachet. La petite Dorit travaillait huit heures par jour. Et
c’étaient des gammes, des exercices de plus en plus compliqués.
Ses mains couraient d’un bout à l’autre du clavier comme de
grandes araignées en délire.
Au-dessous de l’appartement, au rez-de-chaussée, habitaientun
coiffeur et sa famille, composée de la femme et de cinq petits
quartier, se hâta de délivrer le permis d’inhumer. La petite
Dorit put continuer en toute impunité ses gammes mortelles.
Après la mère, ce fut bientôt le tour des enfants. Ces délicieux
gamins si amusants, si intelligents, devinrent tout à fait imbé-
ciles. Ils perdirent à peu près l’usage de la parole. Ils ne pous-
saient plus que des sons inarticulés ainsi que d’affreux petits
singes, et, comme eux, leurs corps étaient agités de mouvements
continuels. L’un après l’autre, ils moururent.
Le médecin diagnostiqua une épidémie de diarrhée infantile
et les inspecteurs de l’hygiène firent soigneusement désinfecter
les escaliers de l’immeuble. Le coiffeur resta seul au milieu de
ces ruines. Sa robuste constitution lui avait permis ■ '<» résister
au mal et à la perte des siens.
Mais, un après-midi — le temps était à l’orage et la petite Do-
rit, assise à son piano depuis sept heures du matin, s’acharnait
à l’étude de son morceau de concours d'admission au Conserva-
it]
C’est vous qu'avez tué ces perdrix M. le baron ?
C’est pas moi, mais c’est la même chose. C’est le père Tireau qui a braconné dans ma chasse.
Dessin de IUcardo-Florès.
enfants dont l’aîné avait dix ans. C’étaient les bambins les plus
intelligents, les plus amusants... On les laissait courir dans la
boutique ; les clients et les garçons leur apprenaient des gros
mots, des obscénités qui, en passant par leurs bouches d’innocents,
fmenaient une saveur spéciale. Ah! on ne s’embêtait pas dans
es « salons » du coiffeur, eh attendant son tour. L’appartement
jouissait d’une acoustique bien supérieure àcelle de la grande salle
de l’Opéra. Quand la petite Dont tapait sur son piano, les notes
s’égrenaient claires, distinctes, vibrantes, dans toutes les pièces
du rez-de-chaussée.
La femme du coiffeur se sentit prise la première d’un mal
étrange. C’était au moment du dîner. Ses mains, qui tenaient
la soupière, furent agitées tout à coup d’un tremblement convul-
sif et lâchèrent leur fardeau. Son malaise empira ; elle fut obli-
gée de s’aliter. Elle avait des tics nerveux de la face, riait ou
pleurait sans cause.
La pauvre femme succomba après une agonie atroce. Dans
son délire, il lui semblait que des fillettes s’amusaient à lui taper
sur le crâne avec des petits marteaux en bois feutré.
Le médecin diagnostiqua la fièvre typhoïde et le docteur Soc-
quetf médecin légiste, qui avait d’autres courses à faire dans le
toire, — le coiffeur servait le seul client qui lui fût resté fidèle,
quand tout à coup sa main eut un geste involontaire qui enfonça
la lame dans la joue du patient. Il svenfuit en hurlant: « A l’assas-
sin! « Quand les agents requis par les voisins pénétrèrent dans
la boutique, le coiffeur se tordait sur le plancher en proie à une
effroyable crise de nerfs.
Le malheureux n’est pas mort, mais il n’en vaut guère mieux.
Il passe son tèmps à suivre les camions qui transportent des
pianos chez les particuliers. Quand l’instrument est bien en
place, il s’éloigne avec des ricanements féroces.
Sa tète se balance de droite et de gauche comme l’aiguille d’un
métronome ; quand un piano se fait entendre auprès au malade,
qu’il soit dans la rue, dans un établissement public, tous ses
membres se mettent en mouvement et il exécute de vertigineuses
danses de saint Guy.
La petite Dorit a concouru en jupe courte et mollets nus devant
ces messieurs du Conservatoire; ils l’ont admise à l’unanimité.
Au lieu de prendre des vacances bien gagnées, la vaillante en-
fant s’est remise à son piano. Elle travaille maintenant dix
heures par jour.
La boutique du coiffeur est â louer. SéRis.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1907
Entstehungsdatum (normiert)
1902 - 1912
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, N.S. 1907, No. 237 (17 Août 1907), S. Ati
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg