DOI Seite / Zitierlink:
https://doi.org/10.11588/diglit.25440#0027
Et sur le cours quelques bourgeoises
S’occupent du dernier potin :
— « J'ai vu le pâtissier Courgine
Porter hier soir un godiveau
Chez les Poupardin, j’imagine
Que l’on va savoir du nouveau. »
— « Du nouveau ! je vous crois, ma belle,
Le sous-préfet dîne chez eux
Pour épouser leur demoiselle!...
Un juif radical !... c’est honteux! »
— « Ma chère, ce qu’il faut entendre,
Madame Pluche, m’a-t-on dit,
Est plus que bien avec son gendre,
On va le mettre en interdit... »
Et pendant que le dieu mensonge
Poursuit le cours de ses exploits,
L’ombre des platanes s’allonge,
Et le couchant rosit les toits ;
L’angélus dans une envolée
Donne au jour l’adieu du départ
Et la ville tout endeuillée
Se perd dans l’ombre et le brouillard.
ENVOI
Ninon, au cours de tes voyages,
Evite par tous les moyens
La ville avec les commérages
De ses perfides citoyens;
Prends par les chemins de traverse,
Dans les champs des coquelicots,
Le vent babillard qui te berce
Dira notre amour aux échos.
Jacques Redelsperger.
la lune. Zut! un nuage, juste au moment où cela promettait de
devenir intéressant. Dessin de Baker
LE TEMPS RÉGLEMENTAIRE
Avant-hier, en revenant de la Morgue où j’avais été puiser
quelques idées de scènes vécues pour" le grand drame que le
directeur de l’Ambigu me demandera, j’espère, un jour, je ren-
— Comme ccs gens sont obséquieux !
Cela tient, voyez-vous, à leur habitude des obsèques !
Dessin de Laub.q>„
contrai, en face de la Préfecture de police mon cousin Tropp-
mann que je n’avais pas vu depuis un siècle (quinze jours
environ).
— Tiens, il faut que je te raconte une histoire mari lime.
— Vas-y, mon vieux Troppmann.
— Te souviens-tu de Nicolas?
— Le tsar?
— Non, le fils de la mère Guetlemôme, la sage-femme.
— Voui! voui! Celui qui est parti dans la marine de l’Etat,
trois mois après son mariage avec la petite Eugénie, la fille du
concierge du 50 de la rue Boursault.
■— Lui-même.
— Je me souviens de lui assez nébuleusement.
— Je vais te remettre dans le chenal. Nicolas était un jeune
Breton à l’âme pure et naïve. Elevé sur les bords de la grande
verte, la complication des grandes villes lui était inconnue. Il
avait appris à lire, écrire, manger, boire et aimer à l’école
communale, et en dehors de quelques idées très simples que
son cerveau avait enregistrées, il ne se fatiguait jamais les
méninges âéclaircir ce qu’il ne comprenait pas à première vue.
Le tirage au sort fit de lui un marin de la flotte quelques mois
après son mariage avec la petite Eugénie Kelbec, et il partit
au delà des mers avec la même simplicité qu’il avait mise à
partir pour la laïque.
Après avoir navigué durant des mois et des mois sur un
nombre considérable de mers inconnues, dont il ne chercha
même pas à connaître les noms, il débarqua le mois dernier à
Marseille après dix-huit mois d’absence. On lui remit naturelle-
ment un paquet de lettres qui avaient couru après lui à travers
tous les continents et notamment, une, toute récente, de sa
femme, lui annonçant la naissance de deux jumeaux: « Tâche,
disait-elle, d’avoir un permis de ton officier pour venir au
baptême. »
Nicolas se redressa, tout fier, à la pensée d’être père et même
bi-père. C’est ça qui allait lui donner une supériorité sur les
camarades : deux d’un coup, mon salaud !
Il courut aussitôt chez son commandant :
— Mon commandant, si ce serait un effet de votre bonté de me
donner un petit congé d’une huitaine pour aller de suite à terre?
-— Vous savez bien que c’est impossible, répond l’autre; nous
sommes en délais de quarantaine, on ne peut obtenir de congés
que pour des motifs graves, mariage, deuil ou baptême dans la
famille.
— Justement, mon commandant, c'est rapport au baptême de
mes deux derniers qui viennent de débarquer de conser ve, la
semaine d’avant.
S’occupent du dernier potin :
— « J'ai vu le pâtissier Courgine
Porter hier soir un godiveau
Chez les Poupardin, j’imagine
Que l’on va savoir du nouveau. »
— « Du nouveau ! je vous crois, ma belle,
Le sous-préfet dîne chez eux
Pour épouser leur demoiselle!...
Un juif radical !... c’est honteux! »
— « Ma chère, ce qu’il faut entendre,
Madame Pluche, m’a-t-on dit,
Est plus que bien avec son gendre,
On va le mettre en interdit... »
Et pendant que le dieu mensonge
Poursuit le cours de ses exploits,
L’ombre des platanes s’allonge,
Et le couchant rosit les toits ;
L’angélus dans une envolée
Donne au jour l’adieu du départ
Et la ville tout endeuillée
Se perd dans l’ombre et le brouillard.
ENVOI
Ninon, au cours de tes voyages,
Evite par tous les moyens
La ville avec les commérages
De ses perfides citoyens;
Prends par les chemins de traverse,
Dans les champs des coquelicots,
Le vent babillard qui te berce
Dira notre amour aux échos.
Jacques Redelsperger.
la lune. Zut! un nuage, juste au moment où cela promettait de
devenir intéressant. Dessin de Baker
LE TEMPS RÉGLEMENTAIRE
Avant-hier, en revenant de la Morgue où j’avais été puiser
quelques idées de scènes vécues pour" le grand drame que le
directeur de l’Ambigu me demandera, j’espère, un jour, je ren-
— Comme ccs gens sont obséquieux !
Cela tient, voyez-vous, à leur habitude des obsèques !
Dessin de Laub.q>„
contrai, en face de la Préfecture de police mon cousin Tropp-
mann que je n’avais pas vu depuis un siècle (quinze jours
environ).
— Tiens, il faut que je te raconte une histoire mari lime.
— Vas-y, mon vieux Troppmann.
— Te souviens-tu de Nicolas?
— Le tsar?
— Non, le fils de la mère Guetlemôme, la sage-femme.
— Voui! voui! Celui qui est parti dans la marine de l’Etat,
trois mois après son mariage avec la petite Eugénie, la fille du
concierge du 50 de la rue Boursault.
■— Lui-même.
— Je me souviens de lui assez nébuleusement.
— Je vais te remettre dans le chenal. Nicolas était un jeune
Breton à l’âme pure et naïve. Elevé sur les bords de la grande
verte, la complication des grandes villes lui était inconnue. Il
avait appris à lire, écrire, manger, boire et aimer à l’école
communale, et en dehors de quelques idées très simples que
son cerveau avait enregistrées, il ne se fatiguait jamais les
méninges âéclaircir ce qu’il ne comprenait pas à première vue.
Le tirage au sort fit de lui un marin de la flotte quelques mois
après son mariage avec la petite Eugénie Kelbec, et il partit
au delà des mers avec la même simplicité qu’il avait mise à
partir pour la laïque.
Après avoir navigué durant des mois et des mois sur un
nombre considérable de mers inconnues, dont il ne chercha
même pas à connaître les noms, il débarqua le mois dernier à
Marseille après dix-huit mois d’absence. On lui remit naturelle-
ment un paquet de lettres qui avaient couru après lui à travers
tous les continents et notamment, une, toute récente, de sa
femme, lui annonçant la naissance de deux jumeaux: « Tâche,
disait-elle, d’avoir un permis de ton officier pour venir au
baptême. »
Nicolas se redressa, tout fier, à la pensée d’être père et même
bi-père. C’est ça qui allait lui donner une supériorité sur les
camarades : deux d’un coup, mon salaud !
Il courut aussitôt chez son commandant :
— Mon commandant, si ce serait un effet de votre bonté de me
donner un petit congé d’une huitaine pour aller de suite à terre?
-— Vous savez bien que c’est impossible, répond l’autre; nous
sommes en délais de quarantaine, on ne peut obtenir de congés
que pour des motifs graves, mariage, deuil ou baptême dans la
famille.
— Justement, mon commandant, c'est rapport au baptême de
mes deux derniers qui viennent de débarquer de conser ve, la
semaine d’avant.