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https://doi.org/10.11588/diglit.25440#0647
SÉRÉNADE AU CASTEL DU « VIEUX MONSIEUR »
Ils ne sont pas encore en cor très forts.
Pourtant vous avouerez, mesdames,
Que c’est inespéré d’avoir trouvé deux cors
Dans un bourg de cent cinquante âmes.
A BATONS ROMPUS
Ayant donné vingt sous et prononcé : “Cézanne, ouvre-toi”,
j’ai été admis à visiter le Salon d’Automne : c’est un endroit où
l'on est toujours sûr de passer un bon après-midi et l’on s’y prend
d’une grande admiration reconnaissante pour le Créateur qui
lit la nature si différente des reproductions qu’en donnent les
peintres.
Qu’on n’attende pas de moi un jugement quelconque sur les
œuvres exposées : chacun son métier. A disserter sur les toiles,
je me mettrais dans de vilains draps, immanquablement cons-
pué par les barbouilleurs dont j’aurais blâmé la “vision” spéciale.
D’ailleurs, esprit paisible, je suis de sens beaucoup trop rassis
pour parler congrûment de ces croûtes.
La critique du Salon d’Automne revient de droit à quelque
membre de la redoutable Société des Pince-sans-Rire, ou, mieux
encore, à quelque loufoque résolument marteau, disciple et suc-
cesseur de ce Paul Masson, inoubliable auteur d’une étude deve-
nue rarissime sur les aquafortistes aveugles, et qui consacrait
les ressources d’une intelligence dévoyée à établir des « statis-
tiques salonnières » où toutes les œuvres exposées étaient répar-
ties en soixante-six catégories, selon la nature des sujets traités.
Un détail permet de juger avec quelle admirable conscience
ce censeur et recenseur des œuvres d’art exécutait son minu-
tieux travail : méprisant résolument toute équivoque, il tenait,
dans sa loyauté et dans un avant-propos, à prévenir le lecteur
que quelques numéros avaient été appelés, pour diverses raisons,
à figurer cumulativement sous plusieurs rubriques : « Par exem-
ple, disait-il, on peut être à la fois procureur de la République
et blond; un navire peut être en même temps à voiles et surpris
par un temps menaçant; on a vu plus d’une femme concur-
remment laide et vicieuse... »
Puis, laissant à chacun le soin de tirer des conclusions, ce
critique d’art peu banal insistait sur l’abondance immanquable
des chrysanthèmes et des paysages verts, estimant néanmoins
que ce dernier ton subissait une décroissance, qui ira toujours
s’accentuant : tous les bons observateurs savent, en effet, que
la verdure n’est pas verte, comme son nom l’a longtemps fait
croire, mais j) lu tôt d’une nuance bleuâtre, azurée, perse, tur-
quoise, ainsi que l’avait déjà pressenti en son temps le sage
Scbaunard.
Suivait, enfin, le tableau statistique annoncé ; en le prenant
pour modèle, on obtiendrait sur les expositions actuelles des
pages bien plus intéressantes que la plupart des pesants comptes
rendus perpétrés par les spécialistes. J’ai essayé de mener à
bien un travail de ce genre sur le dernier Salon, mais n’ai pu
l’achever, faute de loisirs. Pourtant, le relevé de plusieurs caté-
gories était terminé.
Ainsi, j’avais pointé 4 baigneuses d’eau salée et 12 baigneuses
d’eau douce, dont 5 en chambre.
Huit accidents étaient représentés, savoir : 2 noyades, 3 incen-
dies, 1 chute d’un lieu élevé, 2 divers.
Les marines se décomposaient en : 96 par temps calme, 72 par
temps menaçant, 6 tempêtes.
Les enfants portraiturés se répartissaient en : sages 117, ma-
lades 6, ayant eu des prix 2.
J’avais compté 97 natures mortes, mais en comprenant sous
cette rubrique, sauf erreur, les portraits de M. Chose et de la
toujours belle Mme Machin.
Enfin, les crimes étaient relevés comme suit :
1/ pur et simple (Caïn). 1
i suivi de viol. 1
Assassinats] — vol. 2
/ prémédité. 4
\ simulé. 1
Contrebande. 3
Espionnage. 1
Infanticide. 1
Outrage public ( (préparatifs d’). 2
à la pudeur / consommé. 1
\ Suicide (velléités de). 1
Est-ce que, dans sa simplicité si claire, ce petit tableau n’est
pas beaucoup plus instructif que les phrases prétentieuses des
compétents louant le peintre Jacobus Dupont d’avoir « fait chan-
ter sur sa toile toute la gamme des couleurs » et que le jargon
extasié des jobards qui « communient en art » et, criant au mi-
racle devant les toiles des copains, bégaient leur enthousiasme
mystique comme des fidèles de Notre-Dame de la Palette?
*
* *
Un nombre considérable de bons citoyens n’ont pu se défendre
de quelque ahurissement en apprenant qu’un « Congrès du
Froid d allait s’ouvrir cette semaine, à la Sorbonne, et que le
gouvernement s’intéressait à ses travaux au point d’avoir mis
quarante mille francs à la disposition des organisateurs.
J’ai eu la bonne fortune de rencontrer un vénérable savant,
membre de ce congrès peu prévu; j’ai réussi à le dégeler un
peu et à obtenir de lui quelques tuyaux... que j’ai tout de suite
entourés de paille :
— Notre assemblée ne se composera que de vieillards, et
j’ajoute, de vieillards ne faisant point usage de teintures.
— A cause?
LES CHAUSSONS DE NOS CAVALIERS
— Il ne leur-z-y manque que d’être aux pommes!
Ils ne sont pas encore en cor très forts.
Pourtant vous avouerez, mesdames,
Que c’est inespéré d’avoir trouvé deux cors
Dans un bourg de cent cinquante âmes.
A BATONS ROMPUS
Ayant donné vingt sous et prononcé : “Cézanne, ouvre-toi”,
j’ai été admis à visiter le Salon d’Automne : c’est un endroit où
l'on est toujours sûr de passer un bon après-midi et l’on s’y prend
d’une grande admiration reconnaissante pour le Créateur qui
lit la nature si différente des reproductions qu’en donnent les
peintres.
Qu’on n’attende pas de moi un jugement quelconque sur les
œuvres exposées : chacun son métier. A disserter sur les toiles,
je me mettrais dans de vilains draps, immanquablement cons-
pué par les barbouilleurs dont j’aurais blâmé la “vision” spéciale.
D’ailleurs, esprit paisible, je suis de sens beaucoup trop rassis
pour parler congrûment de ces croûtes.
La critique du Salon d’Automne revient de droit à quelque
membre de la redoutable Société des Pince-sans-Rire, ou, mieux
encore, à quelque loufoque résolument marteau, disciple et suc-
cesseur de ce Paul Masson, inoubliable auteur d’une étude deve-
nue rarissime sur les aquafortistes aveugles, et qui consacrait
les ressources d’une intelligence dévoyée à établir des « statis-
tiques salonnières » où toutes les œuvres exposées étaient répar-
ties en soixante-six catégories, selon la nature des sujets traités.
Un détail permet de juger avec quelle admirable conscience
ce censeur et recenseur des œuvres d’art exécutait son minu-
tieux travail : méprisant résolument toute équivoque, il tenait,
dans sa loyauté et dans un avant-propos, à prévenir le lecteur
que quelques numéros avaient été appelés, pour diverses raisons,
à figurer cumulativement sous plusieurs rubriques : « Par exem-
ple, disait-il, on peut être à la fois procureur de la République
et blond; un navire peut être en même temps à voiles et surpris
par un temps menaçant; on a vu plus d’une femme concur-
remment laide et vicieuse... »
Puis, laissant à chacun le soin de tirer des conclusions, ce
critique d’art peu banal insistait sur l’abondance immanquable
des chrysanthèmes et des paysages verts, estimant néanmoins
que ce dernier ton subissait une décroissance, qui ira toujours
s’accentuant : tous les bons observateurs savent, en effet, que
la verdure n’est pas verte, comme son nom l’a longtemps fait
croire, mais j) lu tôt d’une nuance bleuâtre, azurée, perse, tur-
quoise, ainsi que l’avait déjà pressenti en son temps le sage
Scbaunard.
Suivait, enfin, le tableau statistique annoncé ; en le prenant
pour modèle, on obtiendrait sur les expositions actuelles des
pages bien plus intéressantes que la plupart des pesants comptes
rendus perpétrés par les spécialistes. J’ai essayé de mener à
bien un travail de ce genre sur le dernier Salon, mais n’ai pu
l’achever, faute de loisirs. Pourtant, le relevé de plusieurs caté-
gories était terminé.
Ainsi, j’avais pointé 4 baigneuses d’eau salée et 12 baigneuses
d’eau douce, dont 5 en chambre.
Huit accidents étaient représentés, savoir : 2 noyades, 3 incen-
dies, 1 chute d’un lieu élevé, 2 divers.
Les marines se décomposaient en : 96 par temps calme, 72 par
temps menaçant, 6 tempêtes.
Les enfants portraiturés se répartissaient en : sages 117, ma-
lades 6, ayant eu des prix 2.
J’avais compté 97 natures mortes, mais en comprenant sous
cette rubrique, sauf erreur, les portraits de M. Chose et de la
toujours belle Mme Machin.
Enfin, les crimes étaient relevés comme suit :
1/ pur et simple (Caïn). 1
i suivi de viol. 1
Assassinats] — vol. 2
/ prémédité. 4
\ simulé. 1
Contrebande. 3
Espionnage. 1
Infanticide. 1
Outrage public ( (préparatifs d’). 2
à la pudeur / consommé. 1
\ Suicide (velléités de). 1
Est-ce que, dans sa simplicité si claire, ce petit tableau n’est
pas beaucoup plus instructif que les phrases prétentieuses des
compétents louant le peintre Jacobus Dupont d’avoir « fait chan-
ter sur sa toile toute la gamme des couleurs » et que le jargon
extasié des jobards qui « communient en art » et, criant au mi-
racle devant les toiles des copains, bégaient leur enthousiasme
mystique comme des fidèles de Notre-Dame de la Palette?
*
* *
Un nombre considérable de bons citoyens n’ont pu se défendre
de quelque ahurissement en apprenant qu’un « Congrès du
Froid d allait s’ouvrir cette semaine, à la Sorbonne, et que le
gouvernement s’intéressait à ses travaux au point d’avoir mis
quarante mille francs à la disposition des organisateurs.
J’ai eu la bonne fortune de rencontrer un vénérable savant,
membre de ce congrès peu prévu; j’ai réussi à le dégeler un
peu et à obtenir de lui quelques tuyaux... que j’ai tout de suite
entourés de paille :
— Notre assemblée ne se composera que de vieillards, et
j’ajoute, de vieillards ne faisant point usage de teintures.
— A cause?
LES CHAUSSONS DE NOS CAVALIERS
— Il ne leur-z-y manque que d’être aux pommes!