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Le rire: journal humoristique — N.S. 1909 (Nr. 309-360)

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https://doi.org/10.11588/diglit.23996#0028

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LE TRAC D’AMANDA

C’est dimanche. Amanda de Luçon (de
son vrai nom Maria Bataupieu) vient de
quitter sa couche et pourtant il n’est que
midi. Sa profession ne lui permet pas d'être
si matinale, d’ordinaire. Si elle voit parfois
l’aurore se lever, ce n’est pas qu’elle soit
vertueuse, c’est parce qu’elle ne s’est pas
couchée encore.

Elle exerce son art, de neuf heures à
minuit, au Casino de Paris et aux Folies-
Bergère et vit au .jour le jour, ou plutôt à
la nuit la nuit, attendant du hasard des
rencontres, le bifteck du lendemain. Elle
est assez jolie, mais incommensurablement
bête, ces deux qualités vivant en parfaite
intelligence. Elle est surtout remarquée
pour les avantages énormes de son corsage
qui lui valent la préférence des potaches et
des vieux marcheurs, cesextrèmes de l’àge
affectionnant les palpabilités.

Ce joui-là une de ses amies doit venir la
prendre pour aller aux courses d’Auteuil
et essayer la solidité d’un tuyau que leur a
donné le coiffeur. Oh ! elles iront sans
grand équipage, comme d’habitude, et se
paieront la modeste pelouse, là-bas tout au
fond, au Tonkin ou à Madagascar, dans
la boucle de Passy.

Assise devant sa toilette, avant de répa-
rer les outrages d’une nuitplutôt laborieuse,
elle lit son journal, c’est-à-dire les deux
feuilletons et les faits divers, tout ce qui
suffit à sa nourriture intellectuelle.

Tout à coup!... elle pousse un cri. de-
vient toute pâle et laisse tomber le jour-
nal à ses pieds en s’exclamant.

-— Ben!... mince!... il n’manquait plus
qu'ça !

A ce moment entre son amie, Lucienne
de Lisieux (de son vrai nom Eudoxie Po-
pincour) qui s’écrie :

— Qu’est-ce que t’as'?... t’es malade?

Amanda se dresse, brandissant d’une

main furieuse la feuille aux faits divers.

:— Non!... c’est pas encore assez qu’les
affaires marchent pas !... qu’la concurrence
nous mine!... que sur trois daims qu’on
lève y a deux lapins !... va encore falloir
nourrir l’armée à présent!...

Lucienne la regarde avec des yeux abru-
tis.

— T’as un béguin dans l’armée?

— Non ! t’as donc pas lu l’journal, c’ma-
tin?... écoute c’qui dit. Elle lit : « M. Ché-
ron, dans sa sollicitude inlassable pour les
soldats, veut ajouter un plat nouveau à leur
ordinaire, déjà fort amélioré et installer

L HERCULE EN P LIS IX Al U VU EN AEROPLANE PAR

KARMAN

Dessin de Xaudaro.

— Mais, malheureux enfant,-tu finiras par
dégéné. és qu’on appelle les hommes.

ressembler à ces singes
Dessin de G. Edward.

des boucheries de chameau, à leur intention... »

— Eh ben !... quoi?...

— Alors, tu comprends pas? Elle continue la lecture : « La
chair des chameaux est très tendre, malgré le travail pénible
auquel on les soumet. On fera d’ailleurs un choix judicieux...
les belles bosses seront recherchées... » S'interrompant de
lire. Tu rigoles, toi! parce que t’es plate comme une plie, mais
moi... elle désigne sa volumineuse poitrine.

— Mais tu perds la boule!

— C’est pas fini... écoute. Poursuivant la lecture : « M. Chéron
va commencer tout de suite les approvisionnements de ce nou-
veau comestible, en faisant des achats au Tonkin et à Mada-
gascar où les chameaux sont à des prix très abordables. »

Lucienne qui se tord, en voyant Amanda fondre en larmes’
met une demi-heure à la persuader qu il ne s agit, pour le
moment, que de celui du désert et que M. Chéron ne pousse
pas encore la sollicitude pour les troupiers jusqu’à leur payer
celui des Folies-Bergère dont les bosses peuvent être tran-
quilles.

Amanda finit pas se rassurer un peu, mais beaucoup de
méfiance lui reste et elle ne consent à aller à Auteuil que
sur la promesse qu’on prendra des tribunes.

Octave Pradels.
 
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