la cocotte. — Oui... mais Gaston déshabille mieu?..
Dessin de Paul d’EspAGNAT.
UN VIEIL HOMME BIEN MODERNE
Un vieil homme m’est venu voir, ce matin.
— J’ai lu, dans le Rire, m’a-t-il dit, votre récent petit papier
touchant votre perplexité sur Jeanne d’Arc. J’en ai retenu que
vous avez peur de paraître manquer d’opinion. C'est une peur
tout à fait puérile et qui peut vous empêcher de parvenir aux
hautes destinées que vous doivent valoir, sans conteste, vos ultra-
brillantes facultés. Croyez-m’en, jeune homme : c’est selon que
nos ambitions sont tournées que nous devons donner le tour aux
choses. C’est là ce que disait — ou à peu près — Mlle de Mont-
pensier.
— Quelle doctrine! m’écriai-je.
— Elle est humaine, riposta mon vieil homme. Et M. Aristide
Briand lui-même s’y accorde.
— En voilà une blague!
— Il s’y accorde, vous dis-je! Rappelez-vous donc l’anecdote
du pauvre diable resté modestement socialiste et qui, sortant de
son gousset une montre, dit à notre actuel Président du Consen *
<i Celle-là ne varie pas! » A quoi, souriant, M. Briand répondit :
<i Elle est absurde ! »
— Simple boutade, voyons!
— Très sérieux, au contraire! Et rappelez-vous encore Bar-
rés, qui, farouche protectionniste de la veille, monte aujour-
d’hui à la tribune pour défendre le gibier, les poulets et les
conserves contre une menaçante majoration des droits de
douane.
— Il est sans excuse!
— Ce n’est pas son avis. « Est-ce ma faute, » dit-il, « si le Lorrain
de jadis est devenu marchand aux Halles?» Et il conclut:» C’est
mon adaptation. »
— Quelle horreur!
Pas du tout! C’est très bien. A présent, c’est entendu, il n’y
I'ic! de palinodistes, il n’y a plus que des adaptés. Et il y a
beau temps que, pour ma part, j’ai mis en pratique cette théorie
qui paraît si neuve!
— Comment ça?
— Je suis venu pour vous le dire; et vous en pourrez tirer
grand profit.
—• Soit.
— Voici... En mai 1873, je publiai un livre de morale qui con-
tenait cette phrase : L'enfant doit honorer la religion catholique
et savoir son catéchisme. Je fus fait chevalier de la Légion d’hon-
neur ! Dame! nous étions alors sous l’ordre moral... Dans une
seconde édition, qui parut sous Jules Ferry, je réduisis cette
phrase à ceci : L'enfant doit honorer Dieu. On me fit officier...
Dans la troisième édition (nous étions sous Méline), je rectifiai
comme suit : L'enfant doit respecter toutes les convictions reli-
gieuses.'La. cravate de commandeur m’échut... Quatrième édition,
sous Waldeck; d’où, cette modification : L'enfant doit observer
la loi morale; et, cette fois, l’on me nomma grand-officier...
Quand Combes (je ne dis pas concombre, prenez-y garde !), quand
Combes prit la présidence du Conseil, ma cinquième édition était
sous presse., et ma phrase y figurait sous cette forme nouvelle :
L'enfant doit combattre le fanatisme ; je fus, pour le coup,bom-
bardé grand’croix... J’eusse pu m’en tenir là, direz-vous? Par-
bleu, non! Vint Clemenceau, et mon édition..., mise en vente,
ma sixième édition, où j’affirmai : L'enfant doit combattre le
socialisme unifié; ce qui m’a valu la plus belle trésorerie de
France.
— Peste !
— C’est ainsi, mon petit ami.
— Et que deviendra votre phrase dans l’édition septième?
— Ceci : L'enfant doit étriper les curés.
— Après quoi?
— Après quoi, dit froidement le vieil homme, je compte bien
que l’Académie m’ouvrira ses portes.
Et, là-dessus, il prit la mienne.
Georges Docquois.
— Elle ne m’a même pas dit hier soir qu’elle avait perdu son mari...
Djssin de Thin.
Dessin de Paul d’EspAGNAT.
UN VIEIL HOMME BIEN MODERNE
Un vieil homme m’est venu voir, ce matin.
— J’ai lu, dans le Rire, m’a-t-il dit, votre récent petit papier
touchant votre perplexité sur Jeanne d’Arc. J’en ai retenu que
vous avez peur de paraître manquer d’opinion. C'est une peur
tout à fait puérile et qui peut vous empêcher de parvenir aux
hautes destinées que vous doivent valoir, sans conteste, vos ultra-
brillantes facultés. Croyez-m’en, jeune homme : c’est selon que
nos ambitions sont tournées que nous devons donner le tour aux
choses. C’est là ce que disait — ou à peu près — Mlle de Mont-
pensier.
— Quelle doctrine! m’écriai-je.
— Elle est humaine, riposta mon vieil homme. Et M. Aristide
Briand lui-même s’y accorde.
— En voilà une blague!
— Il s’y accorde, vous dis-je! Rappelez-vous donc l’anecdote
du pauvre diable resté modestement socialiste et qui, sortant de
son gousset une montre, dit à notre actuel Président du Consen *
<i Celle-là ne varie pas! » A quoi, souriant, M. Briand répondit :
<i Elle est absurde ! »
— Simple boutade, voyons!
— Très sérieux, au contraire! Et rappelez-vous encore Bar-
rés, qui, farouche protectionniste de la veille, monte aujour-
d’hui à la tribune pour défendre le gibier, les poulets et les
conserves contre une menaçante majoration des droits de
douane.
— Il est sans excuse!
— Ce n’est pas son avis. « Est-ce ma faute, » dit-il, « si le Lorrain
de jadis est devenu marchand aux Halles?» Et il conclut:» C’est
mon adaptation. »
— Quelle horreur!
Pas du tout! C’est très bien. A présent, c’est entendu, il n’y
I'ic! de palinodistes, il n’y a plus que des adaptés. Et il y a
beau temps que, pour ma part, j’ai mis en pratique cette théorie
qui paraît si neuve!
— Comment ça?
— Je suis venu pour vous le dire; et vous en pourrez tirer
grand profit.
—• Soit.
— Voici... En mai 1873, je publiai un livre de morale qui con-
tenait cette phrase : L'enfant doit honorer la religion catholique
et savoir son catéchisme. Je fus fait chevalier de la Légion d’hon-
neur ! Dame! nous étions alors sous l’ordre moral... Dans une
seconde édition, qui parut sous Jules Ferry, je réduisis cette
phrase à ceci : L'enfant doit honorer Dieu. On me fit officier...
Dans la troisième édition (nous étions sous Méline), je rectifiai
comme suit : L'enfant doit respecter toutes les convictions reli-
gieuses.'La. cravate de commandeur m’échut... Quatrième édition,
sous Waldeck; d’où, cette modification : L'enfant doit observer
la loi morale; et, cette fois, l’on me nomma grand-officier...
Quand Combes (je ne dis pas concombre, prenez-y garde !), quand
Combes prit la présidence du Conseil, ma cinquième édition était
sous presse., et ma phrase y figurait sous cette forme nouvelle :
L'enfant doit combattre le fanatisme ; je fus, pour le coup,bom-
bardé grand’croix... J’eusse pu m’en tenir là, direz-vous? Par-
bleu, non! Vint Clemenceau, et mon édition..., mise en vente,
ma sixième édition, où j’affirmai : L'enfant doit combattre le
socialisme unifié; ce qui m’a valu la plus belle trésorerie de
France.
— Peste !
— C’est ainsi, mon petit ami.
— Et que deviendra votre phrase dans l’édition septième?
— Ceci : L'enfant doit étriper les curés.
— Après quoi?
— Après quoi, dit froidement le vieil homme, je compte bien
que l’Académie m’ouvrira ses portes.
Et, là-dessus, il prit la mienne.
Georges Docquois.
— Elle ne m’a même pas dit hier soir qu’elle avait perdu son mari...
Djssin de Thin.