CŒUR HUMAIN, SAUCE SAKAH
Il faudra tout de même que le public ait un rude estomac pour digé-
rer ce cœur !
LE RIRE AU THÉÂTRE
C’est avec le plus grand plaisir que je souhaiterais à mes lec-
teurs le « bon jour, bon an » traditionnel, mais je déclare vouloir
n’en rien faire, mon année étant déjà vieille d’un trimestre,
comme celle de tous les théâtreux qui touchent, dès le leroctobre,
leurs( étrennes : c’est-à-dire la réouverture de l’Odéon avec
YArlésienne et la 3019e de Tire au fiane à Déjazet. Ne m’enviez
pas. Excusez-moi donc : je reste vieux jeu et me borne à vous
faire mon compliment. de me lire.
Sur cet envoi, je commence ma balade à travers les chants et
parmi les toiles.
Chantecler (sans doute il est trop tard pour parler encore de
lui, il y aura huit ans, le 22 janvier à 1 heure du matin, que j’ai
écrit sur cette pièce une avant-première!) Chantecler, paraît-il,
se tient sur ses pattes. On annonce la dernière répétition — qui
sera peut-être générale — pour le 2 février. En attendant, les
artistes essayent chaque jour d’oublier quelques vers de leurs
rôles, l’ouvrage est trop su. MM. Hertz et Coquelin ont résilié,
par ordre de M. Edmond Rostand, l'engagement du souffleur,
qui soufflait de mémoire depuis deux ans et qui, presque fou, en
était arrivé à écrire les rimes du poète sur un bout de papier et
à les semer dans la rue.
-- C’est le seul moyen, disait-il obsédé, que j’aie de perdre les
répliques.
Guitry va rejouer la Grijfe dont c’est la trentième reprise,
trente fois alternée avec une trentième reprise de la Mass 1ère,
accompagnée celle-ci du trentième procès fait par Henry Berns-
tein à la direction, accusée par l’auteur d’interrompre un spec-
tacle qui fait 4.000 francs de moyenne.
Maintenant, soyons sérieux et causons.
Si Chantecler traîne, c’est la faute à Guitry qui s’attrape sans
cesse avec Rostand, pour un oui, pour un non, un jeu de scène,
un mouvement rectifié. Edmond et Lucien se détestent cordiale-
ment.
Sarah Bernhardt raconte dans ses Mémoires, qui paraîtront en
1935, l’année de sa mort, à quel point les deux amis sympathi-
saient au moment de la reprise de VAiglon avec Guitry dans le
rôle de Flambeau.
Edmond ne pouvait laisser Lucien dire un vers sans le faire
recommencer.
Certain jour, en pleine répétition, où le maître s’était montré
plus tâtillon, plus exigeant, plus brutal que de coutume, l’inter-
prète de Flambeau, les yeux flamboyants de colère, s’approcha
de Sarah et lui dit quelques mots à l’oreille. Beux minutes après,
Sarah entraînait Rostand dans les coulisses et lui déclara de ce
ton coupant familier à la divine actrice :
— Vous allez recevoir une fessée de Guitry, si vous continuez
à l’exaspérer. Il va vous prendre sous le bras et devant tous,vous
déculottera et vous recevrez une volée magistrale. Ça vous fera
mal et vous serez ridicule.
Rostand pâlit, tourna sa moustache et la répétition suivit son
cours sans la moindre observation.
La première fois où Guitry personnifia le vieux grognard,
acclamé par une salle enthousiaste, Mme Edmond Rostand s’en
vint seule féliciter ainsi le merveilleux artiste :
— R y a au troisième acte, deux vers que vous avez dit parfai-
tement.
— Merci, madame, répondit Guitry, il y en a deux autres au
quatrième acte où je ne serai pas mal.
A la mort de Coquelin, quand il fallut trouver le Chantecler
de premier ordre nécessité par un tel chef-d’œuvre, les ressenti-
ments se sont apaisés. Des dissentiments aujourd’hui éclatent à
chaque répétition, on discute assez âprement et les études
n’avancent guère, mais Guitry est content. « La revanche! Pre-
nons-la toujours! N’y renonçons jamais. »
Ainsi narra Sarah. Quel délicieux conteur ! Charme, relief,
fantaisie : ce sont ses qualités.
Réjane donne dans la Reine Margot, qu elle appelle Madame
Margot pour ne pas ennuyer Dumas. R y a des joies dans cette
grande machine bien montée. Les auteurs, MM. Moreau et
Claii ville, ont fait, des quatre actes, un liebig historique très con-
centré qu’on digère pourtant facilement. Goûtez-en. A l’entr’acte
des érudits citaient sur Marguerite de Valois, qui fut Catin
comme MUe Chausson, ce mot naïf d’un des panégyristes de
Margot :
—- Elle ne faisait jamais un don à personne, sans s’excuser de
donner si peu.
A tous, tout un peu : eût été la devise que j’eusse proposé à
cette exquise créature si elle m’avait prié de lui composer une
devise : Diviser, c’est régner.
A l’Opéra, les danseurs ont fait grève pendant vingt-cinq mi-
nutes. R eût fallu se trouver en scène au moment où MM. Messa-
ger et Broussan,' recevaient les doléances des syndiqués dans un
petit salon attenant à la loge directoriale. Les abonnés que la
cause des danseurs indiffère, proposaient de flanquer à la porte
les grévistes du ballet :
— Est-ce que nous avons besoin d’eux?
Les mutins, on le sait, finirent par descendre et tenir leur rôle
dans Coppélia. Ce fut d'ailleurs la soirée des incidents.
M. Guirand de Scévola voulait introduire dans les coulisses un
de ses amis qui était en smoking. L’huissier s’y opposait, la con-
signe était formelle. Arrive M. Pierre Lagarde, on lui présente le
smoking :
— Entrez donc, cher monsieur.
L’huissier ne parlait de rien moins que de rendre sa chaîne.
Il était saisi de cetle violence faite à l’étiquette.
On allait enfin lever le rideau quand on vit sur le bord d’une
loge sur le théâtre, se dresser, tempêter, gesticuler, un monsieur
maigre, poivre el sel.
—Vous désirez, monsieur?demanda Stuart, le régisseur général.
— Qu’on remonte le rideau de manœuvre. Pendant qu’on
jouait Rigoletto, je n’ai rien dit, mais à l’entracte je veux voir.
C’était le professeur Dieulafoy! Le Médecin de service.
Il faudra tout de même que le public ait un rude estomac pour digé-
rer ce cœur !
LE RIRE AU THÉÂTRE
C’est avec le plus grand plaisir que je souhaiterais à mes lec-
teurs le « bon jour, bon an » traditionnel, mais je déclare vouloir
n’en rien faire, mon année étant déjà vieille d’un trimestre,
comme celle de tous les théâtreux qui touchent, dès le leroctobre,
leurs( étrennes : c’est-à-dire la réouverture de l’Odéon avec
YArlésienne et la 3019e de Tire au fiane à Déjazet. Ne m’enviez
pas. Excusez-moi donc : je reste vieux jeu et me borne à vous
faire mon compliment. de me lire.
Sur cet envoi, je commence ma balade à travers les chants et
parmi les toiles.
Chantecler (sans doute il est trop tard pour parler encore de
lui, il y aura huit ans, le 22 janvier à 1 heure du matin, que j’ai
écrit sur cette pièce une avant-première!) Chantecler, paraît-il,
se tient sur ses pattes. On annonce la dernière répétition — qui
sera peut-être générale — pour le 2 février. En attendant, les
artistes essayent chaque jour d’oublier quelques vers de leurs
rôles, l’ouvrage est trop su. MM. Hertz et Coquelin ont résilié,
par ordre de M. Edmond Rostand, l'engagement du souffleur,
qui soufflait de mémoire depuis deux ans et qui, presque fou, en
était arrivé à écrire les rimes du poète sur un bout de papier et
à les semer dans la rue.
-- C’est le seul moyen, disait-il obsédé, que j’aie de perdre les
répliques.
Guitry va rejouer la Grijfe dont c’est la trentième reprise,
trente fois alternée avec une trentième reprise de la Mass 1ère,
accompagnée celle-ci du trentième procès fait par Henry Berns-
tein à la direction, accusée par l’auteur d’interrompre un spec-
tacle qui fait 4.000 francs de moyenne.
Maintenant, soyons sérieux et causons.
Si Chantecler traîne, c’est la faute à Guitry qui s’attrape sans
cesse avec Rostand, pour un oui, pour un non, un jeu de scène,
un mouvement rectifié. Edmond et Lucien se détestent cordiale-
ment.
Sarah Bernhardt raconte dans ses Mémoires, qui paraîtront en
1935, l’année de sa mort, à quel point les deux amis sympathi-
saient au moment de la reprise de VAiglon avec Guitry dans le
rôle de Flambeau.
Edmond ne pouvait laisser Lucien dire un vers sans le faire
recommencer.
Certain jour, en pleine répétition, où le maître s’était montré
plus tâtillon, plus exigeant, plus brutal que de coutume, l’inter-
prète de Flambeau, les yeux flamboyants de colère, s’approcha
de Sarah et lui dit quelques mots à l’oreille. Beux minutes après,
Sarah entraînait Rostand dans les coulisses et lui déclara de ce
ton coupant familier à la divine actrice :
— Vous allez recevoir une fessée de Guitry, si vous continuez
à l’exaspérer. Il va vous prendre sous le bras et devant tous,vous
déculottera et vous recevrez une volée magistrale. Ça vous fera
mal et vous serez ridicule.
Rostand pâlit, tourna sa moustache et la répétition suivit son
cours sans la moindre observation.
La première fois où Guitry personnifia le vieux grognard,
acclamé par une salle enthousiaste, Mme Edmond Rostand s’en
vint seule féliciter ainsi le merveilleux artiste :
— R y a au troisième acte, deux vers que vous avez dit parfai-
tement.
— Merci, madame, répondit Guitry, il y en a deux autres au
quatrième acte où je ne serai pas mal.
A la mort de Coquelin, quand il fallut trouver le Chantecler
de premier ordre nécessité par un tel chef-d’œuvre, les ressenti-
ments se sont apaisés. Des dissentiments aujourd’hui éclatent à
chaque répétition, on discute assez âprement et les études
n’avancent guère, mais Guitry est content. « La revanche! Pre-
nons-la toujours! N’y renonçons jamais. »
Ainsi narra Sarah. Quel délicieux conteur ! Charme, relief,
fantaisie : ce sont ses qualités.
Réjane donne dans la Reine Margot, qu elle appelle Madame
Margot pour ne pas ennuyer Dumas. R y a des joies dans cette
grande machine bien montée. Les auteurs, MM. Moreau et
Claii ville, ont fait, des quatre actes, un liebig historique très con-
centré qu’on digère pourtant facilement. Goûtez-en. A l’entr’acte
des érudits citaient sur Marguerite de Valois, qui fut Catin
comme MUe Chausson, ce mot naïf d’un des panégyristes de
Margot :
—- Elle ne faisait jamais un don à personne, sans s’excuser de
donner si peu.
A tous, tout un peu : eût été la devise que j’eusse proposé à
cette exquise créature si elle m’avait prié de lui composer une
devise : Diviser, c’est régner.
A l’Opéra, les danseurs ont fait grève pendant vingt-cinq mi-
nutes. R eût fallu se trouver en scène au moment où MM. Messa-
ger et Broussan,' recevaient les doléances des syndiqués dans un
petit salon attenant à la loge directoriale. Les abonnés que la
cause des danseurs indiffère, proposaient de flanquer à la porte
les grévistes du ballet :
— Est-ce que nous avons besoin d’eux?
Les mutins, on le sait, finirent par descendre et tenir leur rôle
dans Coppélia. Ce fut d'ailleurs la soirée des incidents.
M. Guirand de Scévola voulait introduire dans les coulisses un
de ses amis qui était en smoking. L’huissier s’y opposait, la con-
signe était formelle. Arrive M. Pierre Lagarde, on lui présente le
smoking :
— Entrez donc, cher monsieur.
L’huissier ne parlait de rien moins que de rendre sa chaîne.
Il était saisi de cetle violence faite à l’étiquette.
On allait enfin lever le rideau quand on vit sur le bord d’une
loge sur le théâtre, se dresser, tempêter, gesticuler, un monsieur
maigre, poivre el sel.
—Vous désirez, monsieur?demanda Stuart, le régisseur général.
— Qu’on remonte le rideau de manœuvre. Pendant qu’on
jouait Rigoletto, je n’ai rien dit, mais à l’entracte je veux voir.
C’était le professeur Dieulafoy! Le Médecin de service.