pour exprimer l'impression produite sur le public par la soirée
d'hier. «
Vous voyez cela : cette malheureuse langue française, qui a
suffi à peindre le Grand Siècle et l'Epopée, devient impuissante
lorsqu'il s'agit d'une revue de caf conc'.
Continuons cette passionnante lecture : « Devant une salle qui
semblait être un « extrait vivant » (si l'extrait avait été mort, la
soirée eût peut-être manqué de gaîté) du Gotha et du Tout-
Paris, Louise Balthy, l'incomparable comédienne, la merveil-
leuse fantaisiste, a remporté le plus beau, le plus grand succès
de sa carrière si fertile en triomphes. »
Le mot o triomphe » revient d'ailleurs à chaque ligne...
(i Si, continue notre critique, le succès de Balthy fut triomphal,
celui remporté par Napierkowska et le danseur Masqué fut
colossal. »
Une inquiétude me saisit: « colossal » est-il le superlatif de
« triomphal » ?
Et plus loin : « On peut juger — dès maintenant — que l'épi-
thète de triomphal est trop faible pour qualifier une pareille
soirée où l'on éprouva successivement toutes les sensations
d'Art, de Beauté, de Gaîté aussi... » Rien que cela!
Et tout le long du compte rendu, ce ne sont que des « mer-
veilleux », des « prodigieux », des « extraordinaires », des
« admirables », des « incomparables », etc., etc. Ma parole, on
croirait qu'il s'agit d'un immortel chef-d'œuvre destiné à passer
à la postérité la plus reculée. Et ce n'est qu'une brave petite
revue comme toutes les autres, où il est question d'Isadora
Duncan, de l'Ouest-Etat, des Q. M., de M. Camille Pelletan, de
M. Alexandre Duval et de Mlle Cécile Sorel.
De nos jours, on est vraiment génial à peu de frais!
*
* *
Toutes les revues comportent nécessairement un numéro de
danse apache. Une valse plus ou moins chaloupée est de rigueur.
Il paraît que la haute société américaine se livre avec frénésie
à ces chorégraphies ultra-modernes. Au dernier bal donné à
Washington par Mrs. Patterson, en l'honneur de sa tille, la
modestie
— J'suis un bien petit pilleur de musées-: je n'fais que les parapluies
du vestiaire.
ASTRONOMIE POLICIÈRE
— Avec ces sacrés bandits, c'est toute l'année le jour de l'éclipsé.
Uossins de t.. Métivet.
comtesse Gizycki, ce fut un scandale... « Un cri général de
réprobation, dit le Daily Telegaph, s'éleva lorsqu'on vit la jeune
femme d'un membre du Congrès se livrer, la cigarette aux
lèvres, à la plus effarante des danses amoureuses. La valseuse
s'agrippait à son partenaire d'une façon plus que passionnée,
tandis que la femme d'un diplomate la poursuivait de très près,
comme si elle cherchait à lui enlever sa proie... » Cette danse
a été jugée « excessive ».
Excessives aussi ont été jugées, par M. Lépine, certaines
œuvres exposées au Salon. Je suis allé au Grand-Palais. Hélas!
les sculptures « immorales » n'y étaient plus. Parions que tout
le monde le regrette, — à commencer parles femmes honnêtes.
Mais je n'ai pas tout perdu. En effet, j'ai reçu une carte
strictement personnelle me conviant à aller voir les Damnés de
M. Rechberg, dans une galerie particulière du faubourg Saint-
Honorô: les Damnés, vous le savez, ont été proscrits par
M. Lépine de ce Paradis qu'est le Grand-Palais.
Oui, je l'ai vu ce groupe « obscène ».
Eh bien, il n'est pas obscène du tout.
Mais il est extrêmement « osé », puisqu'il représente un
monsieur et une dame en train de faire ce que Bergerat appelle
la « bète à deux dos ».
Je dis que ce n'est pas obscène, parce que, pour être qualifiée
ainsi, une œuvre d'art doit avoir un caractère excitant. Or, les
Damnés de M. Rechberg n'excitent personne... Ils s'aiment
d'une façon à la fois physique et chaste, et la demi-vierge la
plus... impressionnable, le collégien le plus inflammable pour-
raient les contempler pendant longtemps sans éprouver un
grand trouble.
Ah! si M. Rechberg avait donné à la femme une ligne volup-
tueuse, un visage moderne, une expression pâmée, s'il avait
laissé à la femme ses bas et à l'homme ses chaussettes, — les
Damnés seraient certainement coupables d'outrage public à la
pudeur. Mais leur geste est si purement naturel, leur nudité est
si « stylisée », il y a tant de synthèse, tant de symbole dans leur
(i prise de possession » que, ma foi, cela cesse d'être sexuel.
Autour de ce couple de pierre — de tels amants ne sont pas
de bois — tournaient quelques curieux et curieuses. Celles-ci
paraissaient assez fortement déçues.
— Quoi, dit l'une, charmante blonde aux yeux bleus, quoi, ce
n'est que cela?...
Une autre dit au monsieur qui l'accompagnait :
— Pourquoi les avoir appelés les « Damnés » ? Ils ont plutôt
l'air de monter au septième ciel.
Enfin, une très jeune personne demanda à mi-voix à son
amie :
— Croyez-vous que M. Rechberg ait fait poser ses modèles
ensemble ?
— Pourquoi pas? répondit l'autre...
La très jeune personne (elle était, il est vrai, assez maquillée)
parut méditer pendant quelques secondes, puis elle déclara:
— Cela doit être plutôt fatigant! Pick-me-up.
d'hier. «
Vous voyez cela : cette malheureuse langue française, qui a
suffi à peindre le Grand Siècle et l'Epopée, devient impuissante
lorsqu'il s'agit d'une revue de caf conc'.
Continuons cette passionnante lecture : « Devant une salle qui
semblait être un « extrait vivant » (si l'extrait avait été mort, la
soirée eût peut-être manqué de gaîté) du Gotha et du Tout-
Paris, Louise Balthy, l'incomparable comédienne, la merveil-
leuse fantaisiste, a remporté le plus beau, le plus grand succès
de sa carrière si fertile en triomphes. »
Le mot o triomphe » revient d'ailleurs à chaque ligne...
(i Si, continue notre critique, le succès de Balthy fut triomphal,
celui remporté par Napierkowska et le danseur Masqué fut
colossal. »
Une inquiétude me saisit: « colossal » est-il le superlatif de
« triomphal » ?
Et plus loin : « On peut juger — dès maintenant — que l'épi-
thète de triomphal est trop faible pour qualifier une pareille
soirée où l'on éprouva successivement toutes les sensations
d'Art, de Beauté, de Gaîté aussi... » Rien que cela!
Et tout le long du compte rendu, ce ne sont que des « mer-
veilleux », des « prodigieux », des « extraordinaires », des
« admirables », des « incomparables », etc., etc. Ma parole, on
croirait qu'il s'agit d'un immortel chef-d'œuvre destiné à passer
à la postérité la plus reculée. Et ce n'est qu'une brave petite
revue comme toutes les autres, où il est question d'Isadora
Duncan, de l'Ouest-Etat, des Q. M., de M. Camille Pelletan, de
M. Alexandre Duval et de Mlle Cécile Sorel.
De nos jours, on est vraiment génial à peu de frais!
*
* *
Toutes les revues comportent nécessairement un numéro de
danse apache. Une valse plus ou moins chaloupée est de rigueur.
Il paraît que la haute société américaine se livre avec frénésie
à ces chorégraphies ultra-modernes. Au dernier bal donné à
Washington par Mrs. Patterson, en l'honneur de sa tille, la
modestie
— J'suis un bien petit pilleur de musées-: je n'fais que les parapluies
du vestiaire.
ASTRONOMIE POLICIÈRE
— Avec ces sacrés bandits, c'est toute l'année le jour de l'éclipsé.
Uossins de t.. Métivet.
comtesse Gizycki, ce fut un scandale... « Un cri général de
réprobation, dit le Daily Telegaph, s'éleva lorsqu'on vit la jeune
femme d'un membre du Congrès se livrer, la cigarette aux
lèvres, à la plus effarante des danses amoureuses. La valseuse
s'agrippait à son partenaire d'une façon plus que passionnée,
tandis que la femme d'un diplomate la poursuivait de très près,
comme si elle cherchait à lui enlever sa proie... » Cette danse
a été jugée « excessive ».
Excessives aussi ont été jugées, par M. Lépine, certaines
œuvres exposées au Salon. Je suis allé au Grand-Palais. Hélas!
les sculptures « immorales » n'y étaient plus. Parions que tout
le monde le regrette, — à commencer parles femmes honnêtes.
Mais je n'ai pas tout perdu. En effet, j'ai reçu une carte
strictement personnelle me conviant à aller voir les Damnés de
M. Rechberg, dans une galerie particulière du faubourg Saint-
Honorô: les Damnés, vous le savez, ont été proscrits par
M. Lépine de ce Paradis qu'est le Grand-Palais.
Oui, je l'ai vu ce groupe « obscène ».
Eh bien, il n'est pas obscène du tout.
Mais il est extrêmement « osé », puisqu'il représente un
monsieur et une dame en train de faire ce que Bergerat appelle
la « bète à deux dos ».
Je dis que ce n'est pas obscène, parce que, pour être qualifiée
ainsi, une œuvre d'art doit avoir un caractère excitant. Or, les
Damnés de M. Rechberg n'excitent personne... Ils s'aiment
d'une façon à la fois physique et chaste, et la demi-vierge la
plus... impressionnable, le collégien le plus inflammable pour-
raient les contempler pendant longtemps sans éprouver un
grand trouble.
Ah! si M. Rechberg avait donné à la femme une ligne volup-
tueuse, un visage moderne, une expression pâmée, s'il avait
laissé à la femme ses bas et à l'homme ses chaussettes, — les
Damnés seraient certainement coupables d'outrage public à la
pudeur. Mais leur geste est si purement naturel, leur nudité est
si « stylisée », il y a tant de synthèse, tant de symbole dans leur
(i prise de possession » que, ma foi, cela cesse d'être sexuel.
Autour de ce couple de pierre — de tels amants ne sont pas
de bois — tournaient quelques curieux et curieuses. Celles-ci
paraissaient assez fortement déçues.
— Quoi, dit l'une, charmante blonde aux yeux bleus, quoi, ce
n'est que cela?...
Une autre dit au monsieur qui l'accompagnait :
— Pourquoi les avoir appelés les « Damnés » ? Ils ont plutôt
l'air de monter au septième ciel.
Enfin, une très jeune personne demanda à mi-voix à son
amie :
— Croyez-vous que M. Rechberg ait fait poser ses modèles
ensemble ?
— Pourquoi pas? répondit l'autre...
La très jeune personne (elle était, il est vrai, assez maquillée)
parut méditer pendant quelques secondes, puis elle déclara:
— Cela doit être plutôt fatigant! Pick-me-up.