Le rire: journal humoristique: Le rire: journal humoristique (N.S. 1912 (Nr. 466-569))

neurs français » contre l'envahissement de Paris par lps soute-
neurs étrangers.

Cette protestation est plus justifiée encore depuis quelques
jours... En effet, depuis que le Parlement anglais a décidé de
faire administrer le fouet aux individus condamnés pour vaga-
bondage spécial et proxénétisme, les Alphonses londonniens
émigrent tous à Paris... On a dû tripler les trains de marée à
Calais et à Boulogne !

Quelle invasion !

Evidemment, c'est l'entente cordiale, mais ce débarquement
d'Anglais ne fait pas notre bonheur... De tels sujets de George V
ne sont nullement désirables à Paris, où la carrière est suren-
combrée. Nous avons déjà bien assez de souteneurs allemands
sans encore être embarrassés de cet arrivage de gentlemen à
nageoires.

Mais pourquoi le gouvernement ne suivrait-il pas la mo is
anglaise ? Pourquoi les « beaux gosses », les « bébés » des bars
du faubourg Montmartre et d'ailleurs ne feraient-ils pas, en
France, connaissance avec papa Fouettard?

J'entends d'ici M. Francis de Pressensé s'exclamer :

— Projet indigne d'un républicain !... Que deviendraient les
droits de l'homme et du citoyen?

Les droits du « petit homme » et du citoyen ? Mais nous nous
asseyons dessus, mon brave monsieur... Au surplus, je ne crois
nullement contraire à l'esprit de la Révolution de cingler à
coups d'étrivières les dos verts des souteneurs. Bien au con-
traire! Jean-Jacques liousseau, écrivain très orthodoxe puisque
sa mémoire a été célébrée il n'y a pas longtemps de la façon la
plus officielle, Jean-Jacques Rousseau ne s'est jamais montré
nostile au fouet: bien mieux, il lui demandait certaines jouis-
sances.. Vous voyez que le fouet est républicain !

Ce qu'il faut, c'est enlever au souteneur ce prestige de mâle
dont il vit... Le jour où, ayant reçu vingt-cinq coups de marti-
net, il se représentera devant sa « marmite », celle-ci le trou-
vera ridicule... Quoi, le <• Costaud du Barbés », le « Zigo de la
Popinque » a été fessé? C'en est donc fait de son... auréole I

Mais il e^t des sociologues bien plus hardis encore... Ce sont
ceux qui di.-ent tranquillement:

— 11 faut châtrer les souteneurs... Parfaitement! En les ren-
dant pareils aux eunuques, on les neutralise: n'étant plus le
n petit hoinmechéri », Alphonse devra renoncer à sa profession...
QueHe femme voudrait d'un tel compagnon? Et puis, les ciseaux
de Thémis trancheraient ainsi la question de l'hérédité : ces
repris de justice, ces ivrognes, ces êtres tarés moralement et
physiquement ne pourraient plus engendrer des futurs malfai-
teurs... Ce serait tout bénéfice pour la Société !

Ce petit projet se défend fort bien... Je doute qu'il soit jamais
adopté en France, mais il a été mis à l'essai dans certains états
américains._____

LA GAFFE DE L'ANTIMILITARISTE

— Mène-le donc avec toi au métingue contre la guerre pour le pro-
mener dans son beau costume que le petit Noël lui a apporté.

LE PRIX DES DANSEUSES
— J'te coûte cher? j'te coûte cher? Mais tu m'voudrais en peinture
chez un chand d'tableaux qu'tu n'm'aurais pas à moins d'un demi-
million ! Dessins de L. Métivet.

Le danger, c'est l'erreur judiciaire... Imaginez un brave garçon
condamné sur de faux témoignages.
— Je suis innocent! s'ecrie-t-il.

Le sécateur légal fait quand même son office. Diable! il sera
bien temps, par la suite, de réhabiliter la victime de cette terri-
ble gaffe... La justice peut rendre l'honneur à un homme, mais
elle ne peut restituer ce qu'elle a pris à un malheureux abé-
lardisé...

*

Et la guerre continue...

La guerre des Balkans? Non, la guerre des Deux Rives...

Les littérateurs de la rive gauche et ceux de la rive droite ont
ouvert les hostilités. L'état-major de ceux-ci est installé au café
Napolitain ; l'état-major de ceux-là fonctionne à la Closerie des
Lilas.

Les forces de la rive gauche sont placées sous le commande-
ment des généraux Paul Fort et Han Ryner; les armées de la
rive droite marchent au petit bonheur, sans méthodes et sans
chefs. Qui l'emportera?

La rive gauche parait très en forme : elle est pleine de jeu-
nesse et de fougue... Mais le nerf de la guerre lui manque •
elle n'a pas le sou. .

Actuellement, nous en sommes encore aux combats d'avant-
garde. Comme les guerriers d'Homère, les pondeurs de copie
échangent des disrours avant d'en venir aux mains... C'est
ainsi que S. A. Paul Fort, prince des poètes, vient de faire,
en Belgique, une série de conférences où il a pris à partie quel-
ques journalistes parisiens, coupables d'irrévérence envers les
œuvres et les personnes des bardes de la Closerie des I ilas.

Et M. Stuart-Merrill, type très représentatif de cette littérature
puérile et prétentieuse, a écrit une lettre au prince des poètes.
On y lit cette phrase monumentale sur un de nos confrères:

« 11 suffit que nous écrivions en vers pour le mettre en rage.
Peut-être est-il suffisamment intelligent pour comprendre que,
pendant qu'il écrivaille au jour le jour, nous écrivons au siècle
le siècle... »

Au siècle le siècle, simplement 1

je n'ai ]amais fréquenté — Dieu merci ! —ces poètes de rive
gauche, mais j'ai connu certaines de leurs muses... Les malheu-
reuses ! Quelle lamentable existence est la leur! Les voilà bien,
les véritables victimes de la « littérature » ! Je me souviens d'une
pauvre petite qui s'appelait Nora, comme une héroïne d'Ibsen,
et que la Fatalité avait livrée à un sous-Verlaine sale, puant et
ivrogne. Ce personnage avait, lui aussi, la haine de la rive
droite, — mais il y envoyait sa maîtresse faire le trottoir...

Maintenant, il est bien possible que certains littérateurs de
rive droite envoient leurs amies sur le boulevard Saint-Michel
pour la même raison. ' Pice-me-lt.