Le rire: journal humoristique (N.S. 1913 (Nr. 518-569))

DÉCLARATION MINISTERIELLE

A cette enfant aux blonds cheveux
Qui gracieusement entre ses draps m'accueille,
Je dis : « Tnn lit douillet, voilà le portefeuille
Qui suffît pour ce soir à mes modestes vœux. »

LE RIRE DE LA SEMAINE

Un amoureux de la Joconde m a dit :

— Non, je ne reverrai jamais plus Monna Lisa, la vraie !...

Je lui fis observer que le tableau découvert à Florence était
bel et bien le chef-d'œuvre de Léonard de Vinci...

Possible, reprit-il, mais ce n'est tout de même pas la
Joconde !

— Et pourquoi ?...

— Comment voulez-vous que je reconnaisse la pure et hau-
taine effigie que j'adorais, en cette gourgandine qui s'est laissé
enlever par un ouvrier italien? Pendant deux ans, elle a couché
avec cet individu et Dieu sait à quoi elle s'est prêtée!... Cette
aventure lui a fait la réputation scandaleuse d'une Steinheil ou
d'une Tcharnowska... Elle est devenue toute pareille aux
héroïnes ne faits divers : sa photographie a paru dans les jour-
naux, entre celles d'un apache et d'un cambrioleur! Sur le bou-
levard, des camelots à la voix avinée ont crié sans répit :
« All'arev'nue, la Joooooconde ! » Le nom de mon idole est sur
les lèvres les plus ignobles... Ce n'est pas tout. Il y a quelque
chose de plus affreux encore...

— Quoi donc? Vous m'effrayez...

— C'est très délicat à raconter.

— Allez toujours.

— Vous me promettez le secret?

— Je n'en dirai rien à personne.

-— Eh bien, il y a quelques jours, je me suis risqué — oui, moi,
le pur esprit ! — je me suis risqué dans une de ces maisons dont
les fenêtres sont toujours fermées et la porte toujours ouverte...
Une matrone me fit entrer dans un salon et me demanda si je
connaissais l'une de ces dames. Comme je luirépondais « non »,
elle me dit: « Je vais vous présenter un numéro très intéres-
sant... C'est une petite femme fort originale qui a de beaux
yeux, un sourire singulier et des mains ravissantes... » —« Son
nom? » questionnai-je... «Elle s'appelle la Joconde, parce qu'elle
ressemble au fameux tableau. Voulez-vous que je vous la
présente? » Scandalisé, indigné, furieux, je m'enfuis... Quoi,
une créature aux caresses tarifées, une pensionnaire de maison
close osait porter le nom de l'Immaculée, de la Divine? A quelle
époque vivons-nous?...

Le fait est que la Joconde et son sourire ont été des plus
galvaudés depuis quelque temps...

*

* *

Mais les sentiments des adorateurs de Monna Lisa ne sont peut-
être pas aussi purs qu'on le croit généralement.

C'est un fait que la Joconde dégage un charme très sexuel...
Il parait que son regard est des plus pervers, que son sourire
est très excitant et que ses mains, ses mains longues, blanches
et douces, incitent à. de coupables pensées...

Plusieurs fois, les gardiens du musée du Louvre ont dû arrêter
des Jocondistes qui manifestaient d'une façon par trop indis-
crète le trouble où les jetait Monna Lisa.

Pendant son séjour à Florence, la Joconde a été l'objet de
propositions fort déshonnêtes.

Le directeur du musée des Offices a reçu, à ce sujet, des
lettres très curieuses. En voici une :

» Monsieur le Directeur,

i Je suis un des plus fervents adorateurs de l'exquise Monna
Lisa. Combien j'ai souffert de sa longue absence!...

« Pourriez-vous me ménager une entrevue avec elle, en tête
à tête? Je paierais volontiers 10.000 francs pour passer
une heure avec la Joconde dans un cabinet particulier.

« Vous pouvez être absolument rassuré : je ne lui ferai aucun
mal.

fi Veuillez agréer, etc.

« Baron de W... »

Le directeur des Offices n'a pas répondu au baron de \Y... Il
a simplement déclaré, un peu offusqué :
— Je ne fais pas ce métier-là!...

Par exemple, je me demanne quelles joies amoureuses M. de
W... pouvait attendre de la Joconde ! On dira ce qu'on voudra,
elle n'est qu'un tableau, voire un vieux tableau... Et, à mon
sens, elle ne vaut pas une femme bien vivante. Mais allez donc
discuter avec ces cérébraux de l'amour !...

Je coucherais d'ailleurs plus volontiers avec la Joconde qu'avec
une femme cubiste....