DE LA STATUE APPELÉE « MANDUCE »
— Luy enfournoient en gueule une bouchée de pain qu’ils nommoient Emprunt. (Rabelais.)
LE B IRE DE LA SEMAINE
La Chambre vient de discuter — et de repousser — une pro-
position de loi, qui tendait à frapper d’une taxe spéciale la « main-
d’œuvre étrangère ».
Je suis surpris que le député du quartier Saint-Georges, l’ho-
norable M. Escudier, ne soit pas monté à la tribune pour
déclarer :
m. escudier. — Messieurs, il est une concurrence étrangère
qui menace la plus florissante industrie de la circonscription que
j’ai l’honneur de représenter... C’est l’industrie de l’amour.
Depuis plusieurs années, les travailleuses françaises, de l’humble
pierreuse à l’opulente demi-mondaine, doivent lutter avec d’in-
nombrables déracinées venues de Bruxelles, de Londres et sur-
tout de Berlin... Messieurs, sommes-nous Français, oui ou non?
N’avons-nous pas le devoir de protéger la main-d’œuvre fran-
çaise? Encore, si cette concurrence était loyale ! Mais il n’en est
rien. Ces indésirables — quelques-unes, je le reconnais, sont très
désirables — travaillent au rabais... Elles font pour cent sous ce
qu’une Française, pourvue d’un peu de dignité, ne fait pas pour
moins de dix francs! (Vifs applaudissements au centre et à
droite.)
m. millevoye.— Une bonne Française sait tenir le drapeau !
m. jean bon. — Et ta sœur?
m. escudier. — Ce n’est pas tout... Ces étrangères abusent de
leur supériorité dans les langues vivantes, mais elles ne s’en
livrent pas moins à un sabotage intolérable.
m. pugliesi-conti. — C’est indigne !
m. escudier. — Oui, elles sabotent l’amour...
m. lasies. — Petite gâcheuse, va!
m. jean bon. — A bas les jouisseurs! Mort aux vaches!
m. deschanel. — Monsieur Jean Bon, mettez-vous d’accord
avec vous-même. (Sourires.)
m. escudier. — Je termine... Au nom de la malhonnête popu-
lation de mon quartier, je demande la fixation d’une taxe sur la
main-d’œuvre des grues étrangères. Quand je dis « main-d’œuvre »
j’espère que je me fais comprendre... Au Gouvernement de
prouver qu’il est vraiment français et de faire son devoir. ( Vifs
applaudissements sur de nombreux bancs. En regagnant son
siège, M. Escudier reçoit les félicitations de ses collègues.)
*
* *
Pearson’s Magazine signale un autre danger : c’est le spleen
des jeunes filles à marier.
Les jeunes filles à marier sont neurasthéniques. Pourquoi ?
Serait-ce que l’amour leur manque? Leur fringale de volupté
n’étant pas satisfaite, du moins normalement, cette privation
trouble-t-elle, à la fin, leur petite santé 9
Nullement... Le spleen de ces jeunes personnes a des raisons
d’un ordre moins sentimental.
Le métier de jeune fille à marier est très fatigant. Passer
ses soiiées dans des pièces mal ventilées, au théâtre, au bal, que
sais-je, n’a rien d’hygiénique. 11 faut se corseter étroitement,
tanguer sans relâche, paraître gaie quand même. Les dîners en
ville — le mariage, comme l’appetit vient souvent en mangeant
— sont d’odieuses corvées et de redoutables épreuves pour l’es-
tomac. 11 y a les thés de cinq heures où l’on se bourre de lourdes
pâtisseries. Les visites sont un supplice qu’il faut subir avec le
sourire.
Et puis la jeune bourgeoise doit posséder des arts d’agrément.
Ça, c’est peut-être plus terrible que tout le reste... Le piano,
le chant, l’anglais (l’anglais est devenu un art d’agrément) tyran-
nisent la malheureuse aux heures où elle pourrait avoir le
plaisir de ne plus s’amuser.
Qu’est-ce qu’une jeune fille?
Un article de ménage mis en vente aux grands magasins du
Conjungo.
La jeune fille est une marchandise (pardon, belle enfant, mais
la vérité avant tout). Obligée de faire l’étalage pendant des mois,
des années, elle se fatigue, se fane, se dégoûte de cette existence
éreintante et stupide.
Et voilà pourquoi votre tille est neurasthénique.
Que faire? La marier? C’est plus facile à dire qu’à faire...
Pearson’s Magazine indique des remèdes :
« Beaucoup de ces cas de mélancolie, déclare la doctoresse
qui signe l’article, seraient guéris par quelques jours de diète,
— Luy enfournoient en gueule une bouchée de pain qu’ils nommoient Emprunt. (Rabelais.)
LE B IRE DE LA SEMAINE
La Chambre vient de discuter — et de repousser — une pro-
position de loi, qui tendait à frapper d’une taxe spéciale la « main-
d’œuvre étrangère ».
Je suis surpris que le député du quartier Saint-Georges, l’ho-
norable M. Escudier, ne soit pas monté à la tribune pour
déclarer :
m. escudier. — Messieurs, il est une concurrence étrangère
qui menace la plus florissante industrie de la circonscription que
j’ai l’honneur de représenter... C’est l’industrie de l’amour.
Depuis plusieurs années, les travailleuses françaises, de l’humble
pierreuse à l’opulente demi-mondaine, doivent lutter avec d’in-
nombrables déracinées venues de Bruxelles, de Londres et sur-
tout de Berlin... Messieurs, sommes-nous Français, oui ou non?
N’avons-nous pas le devoir de protéger la main-d’œuvre fran-
çaise? Encore, si cette concurrence était loyale ! Mais il n’en est
rien. Ces indésirables — quelques-unes, je le reconnais, sont très
désirables — travaillent au rabais... Elles font pour cent sous ce
qu’une Française, pourvue d’un peu de dignité, ne fait pas pour
moins de dix francs! (Vifs applaudissements au centre et à
droite.)
m. millevoye.— Une bonne Française sait tenir le drapeau !
m. jean bon. — Et ta sœur?
m. escudier. — Ce n’est pas tout... Ces étrangères abusent de
leur supériorité dans les langues vivantes, mais elles ne s’en
livrent pas moins à un sabotage intolérable.
m. pugliesi-conti. — C’est indigne !
m. escudier. — Oui, elles sabotent l’amour...
m. lasies. — Petite gâcheuse, va!
m. jean bon. — A bas les jouisseurs! Mort aux vaches!
m. deschanel. — Monsieur Jean Bon, mettez-vous d’accord
avec vous-même. (Sourires.)
m. escudier. — Je termine... Au nom de la malhonnête popu-
lation de mon quartier, je demande la fixation d’une taxe sur la
main-d’œuvre des grues étrangères. Quand je dis « main-d’œuvre »
j’espère que je me fais comprendre... Au Gouvernement de
prouver qu’il est vraiment français et de faire son devoir. ( Vifs
applaudissements sur de nombreux bancs. En regagnant son
siège, M. Escudier reçoit les félicitations de ses collègues.)
*
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Pearson’s Magazine signale un autre danger : c’est le spleen
des jeunes filles à marier.
Les jeunes filles à marier sont neurasthéniques. Pourquoi ?
Serait-ce que l’amour leur manque? Leur fringale de volupté
n’étant pas satisfaite, du moins normalement, cette privation
trouble-t-elle, à la fin, leur petite santé 9
Nullement... Le spleen de ces jeunes personnes a des raisons
d’un ordre moins sentimental.
Le métier de jeune fille à marier est très fatigant. Passer
ses soiiées dans des pièces mal ventilées, au théâtre, au bal, que
sais-je, n’a rien d’hygiénique. 11 faut se corseter étroitement,
tanguer sans relâche, paraître gaie quand même. Les dîners en
ville — le mariage, comme l’appetit vient souvent en mangeant
— sont d’odieuses corvées et de redoutables épreuves pour l’es-
tomac. 11 y a les thés de cinq heures où l’on se bourre de lourdes
pâtisseries. Les visites sont un supplice qu’il faut subir avec le
sourire.
Et puis la jeune bourgeoise doit posséder des arts d’agrément.
Ça, c’est peut-être plus terrible que tout le reste... Le piano,
le chant, l’anglais (l’anglais est devenu un art d’agrément) tyran-
nisent la malheureuse aux heures où elle pourrait avoir le
plaisir de ne plus s’amuser.
Qu’est-ce qu’une jeune fille?
Un article de ménage mis en vente aux grands magasins du
Conjungo.
La jeune fille est une marchandise (pardon, belle enfant, mais
la vérité avant tout). Obligée de faire l’étalage pendant des mois,
des années, elle se fatigue, se fane, se dégoûte de cette existence
éreintante et stupide.
Et voilà pourquoi votre tille est neurasthénique.
Que faire? La marier? C’est plus facile à dire qu’à faire...
Pearson’s Magazine indique des remèdes :
« Beaucoup de ces cas de mélancolie, déclare la doctoresse
qui signe l’article, seraient guéris par quelques jours de diète,