l’ébauche
— Bon travail ! Je te laisse toutes les esquisses. Tâche de faire quelque chose qui se tienne... et qui tienne.
LE RIRE DE LA SEMAINE
A l’époque de Candide, Venise était le rendez-vous des
monarques vaincus et détrônés; de nos jours,Paris est le ren-
dez-vous des chefs d’Etat vainqueurs et populaires.
Chaque semaine, nous acclamons un roi ou, tout au moins,
un président de République. Marianne ne sait plus où donner de
la tête... A peine a-t-elle reconduit jusqu’à la porte le roi
d’Angleterre qu’on lui annonce :
— V’ià le roi des Belges!...
Puis c’est Wilson, puis c’est Victor-Emmanuel, puis c’est le
prince de Serbie, puis ce sera l’empereur du Japon, le président
de Libéria ou de la République chinoise.
La musique de la garde républicaine doit avoir à son réper-
toire quelque chose comme vingt-sept airs nationaux, car nous
avons vingt-sept alliés.
Un calculateur de mes amis m’a dit ceci :
— Savez-vous de combien de façons une maîtresse de maison
peut placer à sa table dix invités?
— On me l’a dit, mais je l’ai oublié.
— Exactement 3.628.800 façons différentes. Vous pouvez véri-
fier!
— J’aime mieux vous croire sur parole.
— Eh bien, imaginez les vingt-sept chefs des Etats alliés se
rendant réciproquement des visites... Combien de temps dure-
raient ces petites fêtes à raison de trois jours par semaine?
— Cent mille ans.
— Presque ! Comme vous voyez, nous n’avons pas fini d’illu-
miner...
Il y a quelques mauvais coucheurs qui disent avec amertume :
" Ça y est, le 14 Juillet va durer mille siècles... Jamais les civils
ne pourront tenir jusqu’au bout! » Mais ces empêcheurs de
s’embrasser en rond n’ont pas l’oreille de la foule... Celle-ci
s’accommode parfaitement de cette nouba à répétition... Après
tout, la paix, c’est peut-être ça, c’est même certainement ça!
Victor Hugo écrivait jadis :
Ce serait une erreur de croire que ces choses
Finiront par des chants et des apothéoses ! fr
Eh bien, ces choses finissent bel et bien par des girandoles,
des couplets de Madelon et des confettis.
Que voulez-vous, le sublime n’est pas à la portée de tous...
Pour bien des gens, les « grandes heures historiques » ne sont
émouvantes que chez le marchand de vins et elle était, en
somme, animée d’un bon esprit, cette petite femme qui disait à
un grand diable d’Américain :
— Avec toi, ce sera à l’œil... Je dois bien ça à Wilson!
+ * * Les journaux quotidiens n’ont publié, sur l’occupation
des villes allemandes, que des récits solennels tels qu’en buri-
nent les académiciens sur le bronze de l’Histoire.
Un de mes confrères, qui revient de Cologne, me raconte
ceci :
— J’ai rencontré sur Y Altermarkt (vieux marché) une assez
jeune personne, pas trop mal, qui, sans aucune fierté patriotique,
m’a dit en bon .français :
« — Du tiens, chéri?... Il y a du veul
« — Mais, lui répondis-je, je suis Français...
« — Ach! che les gonnais, les Vrançais, les Barisiens... Ils sont
« chentils ! —
« — Où les as-tu connus?
« — Mais à Baris, mon cros loup!... Ch’ai vait le vaupourg
Montmardre pendant six ans! Che suis hardie au moment de la
guerre... C’est pien drisde ! »
Mon confrère bavarda, — en tout bien tout honneur, — avec
cette péripatéticienne boche pendant assez longtemps... Elle lui
demanda des nouvelles du « Faubourg », de la « Grande
Taverne », des « Folies », etc. Enfin, elle lui dit :
— Fiens chez moi!
Mais le journaliste en resta là... Il fit bien, car les représailles
boches prennent toutes sortes de formes, et il n’y a pas que les
gaz d’empoisonnés.
Quoi qu'il en soit, il y a là-bas, à Cologne, à Trêves, à
Mayence, des milliers d’ « expulsées » de Montmartre Strasse.
Elles attendent la paix pour rentrer... Car elles ne doutent pas
que, la guerre une fois bien finie, le trottoir de Paris ne leur soit
rendu. Comme si la main-d’œuvre française et alliée ne suffirait
pas !
Cette main-d’œuvre abonde...: jamais les ouvrières de l’amour
n’ont été si nombreuses!
Que de « poules », juste ciel! En les voyant encombrer les
boulevards et les promenoirs, on pense au mot de Gavarni
— Bon travail ! Je te laisse toutes les esquisses. Tâche de faire quelque chose qui se tienne... et qui tienne.
LE RIRE DE LA SEMAINE
A l’époque de Candide, Venise était le rendez-vous des
monarques vaincus et détrônés; de nos jours,Paris est le ren-
dez-vous des chefs d’Etat vainqueurs et populaires.
Chaque semaine, nous acclamons un roi ou, tout au moins,
un président de République. Marianne ne sait plus où donner de
la tête... A peine a-t-elle reconduit jusqu’à la porte le roi
d’Angleterre qu’on lui annonce :
— V’ià le roi des Belges!...
Puis c’est Wilson, puis c’est Victor-Emmanuel, puis c’est le
prince de Serbie, puis ce sera l’empereur du Japon, le président
de Libéria ou de la République chinoise.
La musique de la garde républicaine doit avoir à son réper-
toire quelque chose comme vingt-sept airs nationaux, car nous
avons vingt-sept alliés.
Un calculateur de mes amis m’a dit ceci :
— Savez-vous de combien de façons une maîtresse de maison
peut placer à sa table dix invités?
— On me l’a dit, mais je l’ai oublié.
— Exactement 3.628.800 façons différentes. Vous pouvez véri-
fier!
— J’aime mieux vous croire sur parole.
— Eh bien, imaginez les vingt-sept chefs des Etats alliés se
rendant réciproquement des visites... Combien de temps dure-
raient ces petites fêtes à raison de trois jours par semaine?
— Cent mille ans.
— Presque ! Comme vous voyez, nous n’avons pas fini d’illu-
miner...
Il y a quelques mauvais coucheurs qui disent avec amertume :
" Ça y est, le 14 Juillet va durer mille siècles... Jamais les civils
ne pourront tenir jusqu’au bout! » Mais ces empêcheurs de
s’embrasser en rond n’ont pas l’oreille de la foule... Celle-ci
s’accommode parfaitement de cette nouba à répétition... Après
tout, la paix, c’est peut-être ça, c’est même certainement ça!
Victor Hugo écrivait jadis :
Ce serait une erreur de croire que ces choses
Finiront par des chants et des apothéoses ! fr
Eh bien, ces choses finissent bel et bien par des girandoles,
des couplets de Madelon et des confettis.
Que voulez-vous, le sublime n’est pas à la portée de tous...
Pour bien des gens, les « grandes heures historiques » ne sont
émouvantes que chez le marchand de vins et elle était, en
somme, animée d’un bon esprit, cette petite femme qui disait à
un grand diable d’Américain :
— Avec toi, ce sera à l’œil... Je dois bien ça à Wilson!
+ * * Les journaux quotidiens n’ont publié, sur l’occupation
des villes allemandes, que des récits solennels tels qu’en buri-
nent les académiciens sur le bronze de l’Histoire.
Un de mes confrères, qui revient de Cologne, me raconte
ceci :
— J’ai rencontré sur Y Altermarkt (vieux marché) une assez
jeune personne, pas trop mal, qui, sans aucune fierté patriotique,
m’a dit en bon .français :
« — Du tiens, chéri?... Il y a du veul
« — Mais, lui répondis-je, je suis Français...
« — Ach! che les gonnais, les Vrançais, les Barisiens... Ils sont
« chentils ! —
« — Où les as-tu connus?
« — Mais à Baris, mon cros loup!... Ch’ai vait le vaupourg
Montmardre pendant six ans! Che suis hardie au moment de la
guerre... C’est pien drisde ! »
Mon confrère bavarda, — en tout bien tout honneur, — avec
cette péripatéticienne boche pendant assez longtemps... Elle lui
demanda des nouvelles du « Faubourg », de la « Grande
Taverne », des « Folies », etc. Enfin, elle lui dit :
— Fiens chez moi!
Mais le journaliste en resta là... Il fit bien, car les représailles
boches prennent toutes sortes de formes, et il n’y a pas que les
gaz d’empoisonnés.
Quoi qu'il en soit, il y a là-bas, à Cologne, à Trêves, à
Mayence, des milliers d’ « expulsées » de Montmartre Strasse.
Elles attendent la paix pour rentrer... Car elles ne doutent pas
que, la guerre une fois bien finie, le trottoir de Paris ne leur soit
rendu. Comme si la main-d’œuvre française et alliée ne suffirait
pas !
Cette main-d’œuvre abonde...: jamais les ouvrières de l’amour
n’ont été si nombreuses!
Que de « poules », juste ciel! En les voyant encombrer les
boulevards et les promenoirs, on pense au mot de Gavarni