GROUPES ET ETIQUETTES
Ne nous donnons pas la peine d’épeler ; tout ça se prononce : « Boches. »
LE RIRE DE LA SEMAINE
J’avoue qu’au mois de mai dernier, j’étais assez impressionné
par l’avance des Allemands nac/i Paris.
Je rencontrai — un jour de mauvais communiqué — un de
mes amis dont le sourire rayonnant m’étonna.
— Comme vous êtes gai ! lui dis-je d’un ton de reproche.
— Et pourquoi ne serais-je pas gai?
— Mais parce que cela ne va pas...
— Qu’est-ce qu’il y a qui ne va pas?
— En voilà une question ! Les Boches ont franchi la Marne,
Compiègne est menacé, Paris est bombardé...
— C’est tout?
— Vous trouvez que ce n’est pas suffisant.
— Bagatelles, tout cela... Si vous croyez que je vais me
mettre de mauvaise humeur pour si peu ! Je vous assure que
les choses ne vont pas mal du tout.,. N’exagérez pas les inci-
dents qui se produisent au front.
— Des incidents !...
— Pas plus, je vous assure. Dans quelques semaines, nous
serons victorieux, croyez-moi. En attendant, je garde ma philo-
sophie optimiste.. Il m’en faut d'autres pour me plaindre de
l’existence !
A ce moment, une marmite de Bertha tomba dans le quartier.
— Et ça? m’écriai-je...
— Bah! répondit mon ami, c’est tout juste bon à faire aboyer
les roquets !
Depuis, des mois se sont écoulés... Le cauchemar est fini,
nous sommes victorieux et nous pouvons dormir tranquilles.
Je viens de revoir mon ami... Il avait l’air sombre et, sur ses
lèvres, un rictus amer s’éternisait.
— Comme vous êtes morose ! lui dis-je d’un ton de reproche.
— Et pourquoi ne serais-je pas morose ?
— Parce que cela va...
— Qu’est-ce qu’il y a qui va?
— En voilà une question!.. La guerre est finie, nous avons la
victoire, nous...
Mais mon ami me coupa la parole :
— - Taratata ! Tout cela est très joli, mais je n’ai pas de tabac
pour bourrer ma pipe ; je cours en vain après une livre de
beurre; je cherche une bonne depuis trois semaines; le métro
est devenu impossible; le matin, je dois me passer de mon cho-
colat !...
— Eh bien, et votre philosophie optimiste du mois de mai?
— Mon cher, je suis furieux!...
Mon ami n’est pas un original, un phénomène, un numéro...
11 s’appelle « légion ». On le rencontre partout, on n’entend que
lui !
Et voilà pourtant comment nous sommes... Les grands maux
. nous trouvent résolus ou résignés; les petits embêtements nous
abattent ou nous énervent... C’est toujours l’histoire du mon-
sieur qui apprend sans broncher qu’il est ruiné par un coup de
bourse et qui, un instant après, pousse des cris de rage parce
qu’il ne peut boutonner son faux col.
En ce moment, notre faux col résiste... Mais ne nous impa-
tientons pas. Nous le boutonnerons... Nous en avons d’ailleurs
boutonné bien d’autres!
* * # La Conférence de la paix n’est pas pacifique du tout.
Le moins qu’on en puisse dire, c’est qu’elle déchaîne maintes
querelles. Nous avons déjà une bonne douzaine de duels à l’ho-
rizon entre journalistes qui ne s’entendent pas. sur la meilleure
façon d’en finir à tout jamais avec la guerre.
Il y a, par exemple, deux clans : celui des partisans de la
diplomatie en plein air et celui des partisans de la diplomatie
à huis clos.
— La nresse doit assister à toutes les discussions ! disent les
uns...
— La presse risquerait de les envenimer! répondent “les
autres.
— Nous voulons tout savoir et tout dire.
— Nous en saurons toujours assez et nous en dirons toujours
trop !
— Vous êtes un réactionnaire !
— Vous êtes un bolcheviste !
Je n’ai pas d’avis en cette affaire... Tout de même, ce n’est pas
sans inquiétude que je pense à ce qu’imprimeraient certains
journaux, amateurs de titres ronflants, si les délégués des puis-
sances alliées se mettaient à discuter, non pas dans le salon de
l’Horloge, mais — par exemple — sur la piste du cirque Médrano.
Les comptes rendus de ces représentations seraient évidem-
Ne nous donnons pas la peine d’épeler ; tout ça se prononce : « Boches. »
LE RIRE DE LA SEMAINE
J’avoue qu’au mois de mai dernier, j’étais assez impressionné
par l’avance des Allemands nac/i Paris.
Je rencontrai — un jour de mauvais communiqué — un de
mes amis dont le sourire rayonnant m’étonna.
— Comme vous êtes gai ! lui dis-je d’un ton de reproche.
— Et pourquoi ne serais-je pas gai?
— Mais parce que cela ne va pas...
— Qu’est-ce qu’il y a qui ne va pas?
— En voilà une question ! Les Boches ont franchi la Marne,
Compiègne est menacé, Paris est bombardé...
— C’est tout?
— Vous trouvez que ce n’est pas suffisant.
— Bagatelles, tout cela... Si vous croyez que je vais me
mettre de mauvaise humeur pour si peu ! Je vous assure que
les choses ne vont pas mal du tout.,. N’exagérez pas les inci-
dents qui se produisent au front.
— Des incidents !...
— Pas plus, je vous assure. Dans quelques semaines, nous
serons victorieux, croyez-moi. En attendant, je garde ma philo-
sophie optimiste.. Il m’en faut d'autres pour me plaindre de
l’existence !
A ce moment, une marmite de Bertha tomba dans le quartier.
— Et ça? m’écriai-je...
— Bah! répondit mon ami, c’est tout juste bon à faire aboyer
les roquets !
Depuis, des mois se sont écoulés... Le cauchemar est fini,
nous sommes victorieux et nous pouvons dormir tranquilles.
Je viens de revoir mon ami... Il avait l’air sombre et, sur ses
lèvres, un rictus amer s’éternisait.
— Comme vous êtes morose ! lui dis-je d’un ton de reproche.
— Et pourquoi ne serais-je pas morose ?
— Parce que cela va...
— Qu’est-ce qu’il y a qui va?
— En voilà une question!.. La guerre est finie, nous avons la
victoire, nous...
Mais mon ami me coupa la parole :
— - Taratata ! Tout cela est très joli, mais je n’ai pas de tabac
pour bourrer ma pipe ; je cours en vain après une livre de
beurre; je cherche une bonne depuis trois semaines; le métro
est devenu impossible; le matin, je dois me passer de mon cho-
colat !...
— Eh bien, et votre philosophie optimiste du mois de mai?
— Mon cher, je suis furieux!...
Mon ami n’est pas un original, un phénomène, un numéro...
11 s’appelle « légion ». On le rencontre partout, on n’entend que
lui !
Et voilà pourtant comment nous sommes... Les grands maux
. nous trouvent résolus ou résignés; les petits embêtements nous
abattent ou nous énervent... C’est toujours l’histoire du mon-
sieur qui apprend sans broncher qu’il est ruiné par un coup de
bourse et qui, un instant après, pousse des cris de rage parce
qu’il ne peut boutonner son faux col.
En ce moment, notre faux col résiste... Mais ne nous impa-
tientons pas. Nous le boutonnerons... Nous en avons d’ailleurs
boutonné bien d’autres!
* * # La Conférence de la paix n’est pas pacifique du tout.
Le moins qu’on en puisse dire, c’est qu’elle déchaîne maintes
querelles. Nous avons déjà une bonne douzaine de duels à l’ho-
rizon entre journalistes qui ne s’entendent pas. sur la meilleure
façon d’en finir à tout jamais avec la guerre.
Il y a, par exemple, deux clans : celui des partisans de la
diplomatie en plein air et celui des partisans de la diplomatie
à huis clos.
— La nresse doit assister à toutes les discussions ! disent les
uns...
— La presse risquerait de les envenimer! répondent “les
autres.
— Nous voulons tout savoir et tout dire.
— Nous en saurons toujours assez et nous en dirons toujours
trop !
— Vous êtes un réactionnaire !
— Vous êtes un bolcheviste !
Je n’ai pas d’avis en cette affaire... Tout de même, ce n’est pas
sans inquiétude que je pense à ce qu’imprimeraient certains
journaux, amateurs de titres ronflants, si les délégués des puis-
sances alliées se mettaient à discuter, non pas dans le salon de
l’Horloge, mais — par exemple — sur la piste du cirque Médrano.
Les comptes rendus de ces représentations seraient évidem-