AMOURS DE CIRQUE
LA CRISE DES TRANSPORTS
A quinze ans, la vocation de Zampo se révéla avec une sou-
daineté qui semblait tenir du miracle : il se fit homme-serpent
et entra comme tel dans un cirque forain. D’ailleurs, il y avait
là une obscure question d’hérédité. En effet, sa sainte mère
était la plus mauvaise commère du quartier : elle avait une
langue de vipère. De plus, circonstance aggravante, pendant
qu’elle était grosse de Zampo, et même fort probablement
avant, elle avait eu une impérieuse envie d’anguille. Il était
donc fatal que l’académie du jeune garçon se ressentirait de
toutes les mystérieuses influences qui avaient présidé à sa
naissance. Il fut le plus souple homme-serpent qui, dans un
maillot pailleté, tout couvert de scintillantes écailles, eût jamais
rampé sur ie sable d’une piste.
Lorsqu’il atteignit sa majorité, il se fiança avec une jeune
fille pleine d’espérances qui appartenait à la troupe d’un cirque
voisin, dont elle faisait la gloire et la fortune. Elle se nommait
Léda. Zampo était fou de sa grâce candide. Elle avait tant de
qualités et de dons peu communs à son sexe! Elle offrait une
souveraine et merveilleuse étrangeté d’un prix inestimable qui
faisait courir les populations. Par un bizarre caprice de la
nature, son corps virginal, jusque dans ses replis les plus
secrets, était absolument imberbe; mais, en revanche, son
visage innocent, où le rose de la pudeur montait pour un rien,
s’agrémentait d’une barbe noire, longue, brillante, lustrée,
annelée, qui eût fait mourir d’envie un prêtre assyrien. Et,
maigre cet ornement touffu de sapeur, Léda gardait son main-
tien modeste qui, dès le premier jour, sut émouvoir le cœur de
Zampo.
Il fut le serpent tentateur de cette innocente Ève barbue.
Que dire de leur nuit de noces?... Ce fut un délice, une
extase, un ravissement!
Zampo usa de tout son art, de toute sa souplesse pour
étrei dre, enlacer de mille façons charmantes et inédites sa
compagne tremblante et pudique. Il cueillit la fleur d’oranger
avec une dextérité d’acrobate. Quant à Léda, elle fut émouvante
à force de charme et de candeur. Sa grande barbe noire cou-
vrait chastement sa petite gorge ronde de jeune fille, et l’on
voyait les pointes roses de ses seins percer timidement, comme
des boutons de rose, cette épaisse toison'd’ébène.
Mais la jalousie veillait dans l’ombre!
Un jour, l’homme-canon, qui aimait également la femme à
barbe et que celle-ci, fidèle à la foi jurée, avait évincé, fou de
rage et de désespoir, se livra à un acte terrible : au milieu de
la représentation, il éclata de fureur à côté de l’homme-ser-
pent, son heureux rival.
— Tu chômes? Veux-tu gagner quinze francs à faire quelque chose?
— Je ne pourrais pas les gagner à ne rien faire? 'Dessin de Çuint.
— C’est pourtant du bon papier...
— Je ne veux pas un bon papier ; je veux le
meilleur! Donnez-moi un cahier de Zig-Zag!
Dessin de Manfredini.
— Monsieur le directeur, c’est mon nouvel opéra : « Le train fan-
tôme. » Dessin de Raymond Pallier. >
Zampo n’en mourut point, mais la détonation le rendit irré-
médiablement sourd.
Dès ce moment, les ennuis du pauvre couple commencèrent.
Comme ils s’aimaient à la folie, et se le prouvaient fréquem-
ment avec une ardeur sans pareille, il leur devint impossible
de se loger. Lorsque la brune et voluptueuse Léda, à la seconde
suprême de la pâmoison, disait à Zampo ; « Je t’adore! » ou :
« Je meurs ! » elle était obligée de le dire avec une force telle
que tout l’immeuble, de la cave aux combles, tremblait de
façon inquiétante.
L’homme-serpent ne pouvait plus comprendre les paroles
qu’au mouvement des lèvres de son interlocuteur, mais, hélas!
la lèvre amoureuse et purpurine de sa brune épouse était invi-
sible sous ce poil luxuriant.
LA CRISE DES TRANSPORTS
A quinze ans, la vocation de Zampo se révéla avec une sou-
daineté qui semblait tenir du miracle : il se fit homme-serpent
et entra comme tel dans un cirque forain. D’ailleurs, il y avait
là une obscure question d’hérédité. En effet, sa sainte mère
était la plus mauvaise commère du quartier : elle avait une
langue de vipère. De plus, circonstance aggravante, pendant
qu’elle était grosse de Zampo, et même fort probablement
avant, elle avait eu une impérieuse envie d’anguille. Il était
donc fatal que l’académie du jeune garçon se ressentirait de
toutes les mystérieuses influences qui avaient présidé à sa
naissance. Il fut le plus souple homme-serpent qui, dans un
maillot pailleté, tout couvert de scintillantes écailles, eût jamais
rampé sur ie sable d’une piste.
Lorsqu’il atteignit sa majorité, il se fiança avec une jeune
fille pleine d’espérances qui appartenait à la troupe d’un cirque
voisin, dont elle faisait la gloire et la fortune. Elle se nommait
Léda. Zampo était fou de sa grâce candide. Elle avait tant de
qualités et de dons peu communs à son sexe! Elle offrait une
souveraine et merveilleuse étrangeté d’un prix inestimable qui
faisait courir les populations. Par un bizarre caprice de la
nature, son corps virginal, jusque dans ses replis les plus
secrets, était absolument imberbe; mais, en revanche, son
visage innocent, où le rose de la pudeur montait pour un rien,
s’agrémentait d’une barbe noire, longue, brillante, lustrée,
annelée, qui eût fait mourir d’envie un prêtre assyrien. Et,
maigre cet ornement touffu de sapeur, Léda gardait son main-
tien modeste qui, dès le premier jour, sut émouvoir le cœur de
Zampo.
Il fut le serpent tentateur de cette innocente Ève barbue.
Que dire de leur nuit de noces?... Ce fut un délice, une
extase, un ravissement!
Zampo usa de tout son art, de toute sa souplesse pour
étrei dre, enlacer de mille façons charmantes et inédites sa
compagne tremblante et pudique. Il cueillit la fleur d’oranger
avec une dextérité d’acrobate. Quant à Léda, elle fut émouvante
à force de charme et de candeur. Sa grande barbe noire cou-
vrait chastement sa petite gorge ronde de jeune fille, et l’on
voyait les pointes roses de ses seins percer timidement, comme
des boutons de rose, cette épaisse toison'd’ébène.
Mais la jalousie veillait dans l’ombre!
Un jour, l’homme-canon, qui aimait également la femme à
barbe et que celle-ci, fidèle à la foi jurée, avait évincé, fou de
rage et de désespoir, se livra à un acte terrible : au milieu de
la représentation, il éclata de fureur à côté de l’homme-ser-
pent, son heureux rival.
— Tu chômes? Veux-tu gagner quinze francs à faire quelque chose?
— Je ne pourrais pas les gagner à ne rien faire? 'Dessin de Çuint.
— C’est pourtant du bon papier...
— Je ne veux pas un bon papier ; je veux le
meilleur! Donnez-moi un cahier de Zig-Zag!
Dessin de Manfredini.
— Monsieur le directeur, c’est mon nouvel opéra : « Le train fan-
tôme. » Dessin de Raymond Pallier. >
Zampo n’en mourut point, mais la détonation le rendit irré-
médiablement sourd.
Dès ce moment, les ennuis du pauvre couple commencèrent.
Comme ils s’aimaient à la folie, et se le prouvaient fréquem-
ment avec une ardeur sans pareille, il leur devint impossible
de se loger. Lorsque la brune et voluptueuse Léda, à la seconde
suprême de la pâmoison, disait à Zampo ; « Je t’adore! » ou :
« Je meurs ! » elle était obligée de le dire avec une force telle
que tout l’immeuble, de la cave aux combles, tremblait de
façon inquiétante.
L’homme-serpent ne pouvait plus comprendre les paroles
qu’au mouvement des lèvres de son interlocuteur, mais, hélas!
la lèvre amoureuse et purpurine de sa brune épouse était invi-
sible sous ce poil luxuriant.