CES MESSIEURS DU TRIANON-PALACE
LE BON MOYEN
Si vous voulez bien admettre une fois de plus que l’avenue des
Champs-Elysées ressemble à un vaste
douve, les autos à de rapides navires, le _
cris des klaxons à la voix des sirènes et
les refuges à des ilôts dénudés, vous ne
ferez certainement aucune difficulté pour
m'assjmiler à Robinson Crusoé, moi qui,
échoué ce jour-là sur un de ces carrés de
bitume, agitais dans Pair serein un mou-
choir désespéré.
Avec cette différence toutefois que, ce
faisant, j’espérais plutôt attirer dans mes
eaux quelque taxi maraudeur qu’un brick
hollandais ou un galion espagnol.
Et cette autre différence que mon mou-
choir, à moi, est fait de fine batiste et non
taillé dans une vieille peau de lapin, comme
celui de Crusoé.
Il y avait bien une heure que je l’agitais
ainsi et de nombreux taxis au drapeau levé
passaient constamment en vue de mes
signaux sans'y prendre garde.
— Voilà un truc, pensai-je alors, dont
on a beaucoup exagéré l’efficacité. En
voyant flotter mon mouchoir, ces braves
gens s'imaginent sûrement que je suis en train de
sécher.
Et, repliant la toile légère, je la remplaçai dans l’air serein
par mon chapeau, un beau chapeau tout neuf dont la coiffe
immaculée brille comme un cercle de porcelaine. Une heure
encore s’écoula pourtant, durant laquelle d’autres voitures,
ou peut-être les mêmes, passèrent devant moi d’un air dé-
goûté. 0
Je n’ai cependant rien de répugnant: mon pardessus, du meil-
leur modèle, recouvre un complet merveilleux, le complet d i
gentleman qui peut payer un taxi bien au-
dessus du cours.
Et si je pouvais montrer mon cale-
çon !...
Puisque, décidément, un beau chapeau
tout neuf se révélait insuffisant pour appâ-
ter les autos fugitives, j’essayai de leur
faire des signes avec ma canne, tout en
poussant des petits « Hep! hep!... » d’une
voix distinguée.
En vérité j’étais en droit de fonder
les plus grandes espérances sur l’aspect
luxueux de cette superbe canne à bé-
quille d’argent ciselée par Benvenuto Cel-
lini lui-même, m’affirma jadis le commis
de nouveautés qui me la vendit. Bien-
tôt, en effet, un taxi, soudain détaché
du peloton de ses confrères, se dirigea
vers moi, dans l’intention évidente de
se mettre à la disposition d’un aussi
riche client; malheureusement, ayant sans
doute changé d’idée en chemin, il se con-
tenta de fracasser le candélabre, unique
ornement de mon refuge, puis reprit le
large.
Après cela, je fis encore une tentative
tout aussi vaine en utilisant en guise de
signal une épaisse liasse de billets de
banque et j’allais me décider à prendre
le Métro lorsque la vue d'un soldat amé-
ricain me suggéra une de ces idées sim-
ples qui vous viennent toujours après les
autres.
— Please, will y ou call an auto car? lui demandai-je dans
un anglais approximatif.
Il leva l’index et, tout aussitôt, dix taxis vinrent aborder doci-
lement les rives de mon îlot. Bernard Gervaise.
TRISTESSE
« La démolition des fortifs
est commencée. »
Ils s’en f... les rupins : ils ont la Côte d’azur.
Dessin de G. Hautot.
iACH
1 ppOFCTE
ATauMAXINUM)
2 DE, *.?' HAUSSE actuelle
BIJOUX,DIAMANTS PERLES
..■ANTIQUITÉS,ARGENTERIE ,'FVDCQT
LE BON MOYEN
Si vous voulez bien admettre une fois de plus que l’avenue des
Champs-Elysées ressemble à un vaste
douve, les autos à de rapides navires, le _
cris des klaxons à la voix des sirènes et
les refuges à des ilôts dénudés, vous ne
ferez certainement aucune difficulté pour
m'assjmiler à Robinson Crusoé, moi qui,
échoué ce jour-là sur un de ces carrés de
bitume, agitais dans Pair serein un mou-
choir désespéré.
Avec cette différence toutefois que, ce
faisant, j’espérais plutôt attirer dans mes
eaux quelque taxi maraudeur qu’un brick
hollandais ou un galion espagnol.
Et cette autre différence que mon mou-
choir, à moi, est fait de fine batiste et non
taillé dans une vieille peau de lapin, comme
celui de Crusoé.
Il y avait bien une heure que je l’agitais
ainsi et de nombreux taxis au drapeau levé
passaient constamment en vue de mes
signaux sans'y prendre garde.
— Voilà un truc, pensai-je alors, dont
on a beaucoup exagéré l’efficacité. En
voyant flotter mon mouchoir, ces braves
gens s'imaginent sûrement que je suis en train de
sécher.
Et, repliant la toile légère, je la remplaçai dans l’air serein
par mon chapeau, un beau chapeau tout neuf dont la coiffe
immaculée brille comme un cercle de porcelaine. Une heure
encore s’écoula pourtant, durant laquelle d’autres voitures,
ou peut-être les mêmes, passèrent devant moi d’un air dé-
goûté. 0
Je n’ai cependant rien de répugnant: mon pardessus, du meil-
leur modèle, recouvre un complet merveilleux, le complet d i
gentleman qui peut payer un taxi bien au-
dessus du cours.
Et si je pouvais montrer mon cale-
çon !...
Puisque, décidément, un beau chapeau
tout neuf se révélait insuffisant pour appâ-
ter les autos fugitives, j’essayai de leur
faire des signes avec ma canne, tout en
poussant des petits « Hep! hep!... » d’une
voix distinguée.
En vérité j’étais en droit de fonder
les plus grandes espérances sur l’aspect
luxueux de cette superbe canne à bé-
quille d’argent ciselée par Benvenuto Cel-
lini lui-même, m’affirma jadis le commis
de nouveautés qui me la vendit. Bien-
tôt, en effet, un taxi, soudain détaché
du peloton de ses confrères, se dirigea
vers moi, dans l’intention évidente de
se mettre à la disposition d’un aussi
riche client; malheureusement, ayant sans
doute changé d’idée en chemin, il se con-
tenta de fracasser le candélabre, unique
ornement de mon refuge, puis reprit le
large.
Après cela, je fis encore une tentative
tout aussi vaine en utilisant en guise de
signal une épaisse liasse de billets de
banque et j’allais me décider à prendre
le Métro lorsque la vue d'un soldat amé-
ricain me suggéra une de ces idées sim-
ples qui vous viennent toujours après les
autres.
— Please, will y ou call an auto car? lui demandai-je dans
un anglais approximatif.
Il leva l’index et, tout aussitôt, dix taxis vinrent aborder doci-
lement les rives de mon îlot. Bernard Gervaise.
TRISTESSE
« La démolition des fortifs
est commencée. »
Ils s’en f... les rupins : ils ont la Côte d’azur.
Dessin de G. Hautot.
iACH
1 ppOFCTE
ATauMAXINUM)
2 DE, *.?' HAUSSE actuelle
BIJOUX,DIAMANTS PERLES
..■ANTIQUITÉS,ARGENTERIE ,'FVDCQT