Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire (1914 (Nr. 1-6))

RETOUR DE BORDEAUX

Dans le giron de la Gironde
S’étant réfugiés soudain,

Quelques embusqués à la ronde
Affectaient un air Girondin ;

Clan retranché parlant en maître
Et qui célébrait bruyamment
L'orgueil (fort légitime) d’ètre
Au siège du Gouvernement...

Tandis que la Ville-Lumière
Pataugeait dans l’obscurité,

Avec sa clarté coutumière
Bordeaux excitait leur gaîté.

D’aucuns, ayant l’esprit de cuite,
S’y offraient des repas sans fin :
Pontet-Canet, Château-Lafuite
Coulaient à flots au Capon fin.

On dégustait, le cœur à l’aise,

En parlant des événements,

Et le iourne-dos bordelaise
Et les quenelles d’Allemands.

Brochant sur le tout, une bombe
Couronnait chaque gueuleton..

(A Paris la bombe qui tombe
Nous vient d’un avion teuton.)

— Et maintenant, si Votre Altesse retournait en France, voir si nous y sommes encore h..

POUR VEXER LES BOCHES...

— T’es blessé ?

— Une à l’épaule, mais j’ bouge pas : j’ veux pas que l’idiot qui m’ vise depuis dix minutes

croie qu’il m’a touché. Dessin de Leka.

Afin d’éviter les tranchées
(On les évite tant qu’on peut),

A p rès les dernières bouchées
On se dégourdissait un peu;

Et pendant plus d’une semaine,
On put (régal cher aux badauds)
Place Tourny voir Célimène...
Tout-Paris étant à Bordeaux.

Le voilà fini, ce doux rêve,

Et des Girondins embusqués

La villégiature s’achève

Sur nos boulevards et nos quais.

Réintégrant la capitale,

Ils vont invoquer leurs exils

Avec une mine fatale

Et des larmes au bord des cils;

Pour des vadrouilles incongrues
On visitait même Arcachon,

Où des arrivages de grues
Rendaient le séjour folichon...

Partout, de façon péremptoire
Ils diront, relevant le front :

— Nous organisions la victoire... »
Et le mieux, c’est qu’ils le croiront
Hugues Delorme.

FOUT-LA-GUIGNE

Dessin de Radiguet.