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https://doi.org/10.11588/diglit.25443#0070
LA BOTTE DU GÉNÉRALISSIME - NOËL ü’aLSaCE
LE RIRE DE LA SEMAINE
Un règlement sévère, et peut-être justifié, vient d’être pris
par l’Administration militaire.
Depuis un mois, un grand nombre de femmes de combat-
tants avaient pris l’habitude courageuse et charmante de. se
rendre sur une ligne qui n’est pas tout à fait la ligne de feu,
— mais qui est au moins la ligne de fumée, — et d’y passer quel-
ques jours auprès de leurs maris. On ne peut que féliciter ces
vaillantes petites Françaises. Mais, de leur initiative, de leurs
sentiments, de leur ardeur, quelque confusion est résultée. Les
états-majors se sont plaints, les chefs d’unité ont signalé cer-
tain relâchement dans le service, et si charmantes qu’en fussent
les causes, on les a priées d’interrompre leurs effets, de faire
leurs petits paquets, et de s’en retourner seulettes vers le foyer
dései'té.
Le règlement a été appliqué. De beaux yeux ont pleuré; d’au-
tres, moins beaux, ont fait la même chose. Femmes et maris
sont désormais aussi séparés qu’en temps de paix.
Mais, comme vous le comprenez facilement, cette rigoureuse
mesure ne pouvait s’appliquer qu’aux femmes légitimes, — car,
comment désigner les autres, dans un texte destiné à être affi-
ché à l’intérieur des cantonnements? Conséquence imprévue:
une épouse ne peut plus aller vo.r son époux, mais toutes les
mains gauches peuvent se rejoindre avec la dernière faci-
lité. — Et l’on entend, aux avant-postes, des dialogues de cet
acabit :
— Qui vive?
— Femme...
— Légitime ?
— Non, collage !
— C’est bien vrai?
— A preuve, je vais voir le lieutenant des Allures, officier de
Liaison.
— Alors, vous pouvez passer.
Et la sentinelle s’efface comme avec une gomme.
Autre épisode,— dans la même région. Un galant sous-officier
vient d’arrêter trois femmes charmantes.
— ... Enfin, mesdames, vous connaissez les ordres? Avez-vous
des papiers officiels, des certificats légalisés prouvant que vous
êtes des demi-mondaines,
— Nous avons apporté des lettres très tendres et signées du
nom d’une quinzaine de nos amis d’un jour.
— Alors, l’Administration militaire vous autorise à circuler sur
le front sans que rougisse le vôtre.
Et, frisant sa moustache, le soldat ajoute :
— Le soldat français continue d’être amant, mais il n’est plus
mari; c’est le vœu du ministre.
Il n’est pas de difficulté pourtant, qui ne se tourne. Témoin,
le cas de deux petites bourgeoises honnêtes, mais délurées, qui,
voulant à toute force retrouver quelques joies conjugales, se sont
risquées, du côté d’Épernay, et ont demandé à parler à un chef
de poste. Crûment, avec un certain cynisme, elles ont avoué
leur fâcheuse situation de femmes mariées. Et, comme 1 officier
esquissait déjà un geste de refus :
— Seulement, protesta la plus jeune, les messieurs que nous
allons rejoindre sont mariés aussi, mais pas avec nous!
Et chacune donna le nom de l’époux de l’autre, comptant ren-
verser, tout à l’heure, les rôles. Ce qui fut fait. Ainsi, se trou-
vèrent satisfaits, tout à la fois, l’autorité et la morale...
*
* *
La guerre a retourné l’âme des hommes, comme le soc re-
tourne un champ. Les instincts profonds sont revenus à la sur-
face, et toutes les broutilles, les parasites, les habitudes —- qui
sont le chiendent de la vie, — les herbes folles, tout cela a dis-
paru. A combien de sentiments se résume la psychologie d’un
soldat d’aujourd’hui?... A trois ou quatre, innés, primitifs, tels
que les trouvait en lui un ancêtre gaulois, habitant des cavernes,
ces aïeules des tranchées.
Il y a l’instinct de la conservation, celui de la défense du foyer,
il y a la rage contre l’envahisseur, le goût de la gloire et la joie
simple de la lutte, de l’effort, du combat, la joie des tranchées,
LE RIRE DE LA SEMAINE
Un règlement sévère, et peut-être justifié, vient d’être pris
par l’Administration militaire.
Depuis un mois, un grand nombre de femmes de combat-
tants avaient pris l’habitude courageuse et charmante de. se
rendre sur une ligne qui n’est pas tout à fait la ligne de feu,
— mais qui est au moins la ligne de fumée, — et d’y passer quel-
ques jours auprès de leurs maris. On ne peut que féliciter ces
vaillantes petites Françaises. Mais, de leur initiative, de leurs
sentiments, de leur ardeur, quelque confusion est résultée. Les
états-majors se sont plaints, les chefs d’unité ont signalé cer-
tain relâchement dans le service, et si charmantes qu’en fussent
les causes, on les a priées d’interrompre leurs effets, de faire
leurs petits paquets, et de s’en retourner seulettes vers le foyer
dései'té.
Le règlement a été appliqué. De beaux yeux ont pleuré; d’au-
tres, moins beaux, ont fait la même chose. Femmes et maris
sont désormais aussi séparés qu’en temps de paix.
Mais, comme vous le comprenez facilement, cette rigoureuse
mesure ne pouvait s’appliquer qu’aux femmes légitimes, — car,
comment désigner les autres, dans un texte destiné à être affi-
ché à l’intérieur des cantonnements? Conséquence imprévue:
une épouse ne peut plus aller vo.r son époux, mais toutes les
mains gauches peuvent se rejoindre avec la dernière faci-
lité. — Et l’on entend, aux avant-postes, des dialogues de cet
acabit :
— Qui vive?
— Femme...
— Légitime ?
— Non, collage !
— C’est bien vrai?
— A preuve, je vais voir le lieutenant des Allures, officier de
Liaison.
— Alors, vous pouvez passer.
Et la sentinelle s’efface comme avec une gomme.
Autre épisode,— dans la même région. Un galant sous-officier
vient d’arrêter trois femmes charmantes.
— ... Enfin, mesdames, vous connaissez les ordres? Avez-vous
des papiers officiels, des certificats légalisés prouvant que vous
êtes des demi-mondaines,
— Nous avons apporté des lettres très tendres et signées du
nom d’une quinzaine de nos amis d’un jour.
— Alors, l’Administration militaire vous autorise à circuler sur
le front sans que rougisse le vôtre.
Et, frisant sa moustache, le soldat ajoute :
— Le soldat français continue d’être amant, mais il n’est plus
mari; c’est le vœu du ministre.
Il n’est pas de difficulté pourtant, qui ne se tourne. Témoin,
le cas de deux petites bourgeoises honnêtes, mais délurées, qui,
voulant à toute force retrouver quelques joies conjugales, se sont
risquées, du côté d’Épernay, et ont demandé à parler à un chef
de poste. Crûment, avec un certain cynisme, elles ont avoué
leur fâcheuse situation de femmes mariées. Et, comme 1 officier
esquissait déjà un geste de refus :
— Seulement, protesta la plus jeune, les messieurs que nous
allons rejoindre sont mariés aussi, mais pas avec nous!
Et chacune donna le nom de l’époux de l’autre, comptant ren-
verser, tout à l’heure, les rôles. Ce qui fut fait. Ainsi, se trou-
vèrent satisfaits, tout à la fois, l’autorité et la morale...
*
* *
La guerre a retourné l’âme des hommes, comme le soc re-
tourne un champ. Les instincts profonds sont revenus à la sur-
face, et toutes les broutilles, les parasites, les habitudes —- qui
sont le chiendent de la vie, — les herbes folles, tout cela a dis-
paru. A combien de sentiments se résume la psychologie d’un
soldat d’aujourd’hui?... A trois ou quatre, innés, primitifs, tels
que les trouvait en lui un ancêtre gaulois, habitant des cavernes,
ces aïeules des tranchées.
Il y a l’instinct de la conservation, celui de la défense du foyer,
il y a la rage contre l’envahisseur, le goût de la gloire et la joie
simple de la lutte, de l’effort, du combat, la joie des tranchées,