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Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire — 1915 (Nr. 7-58)

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https://doi.org/10.11588/diglit.25444#0018
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LE PORTRAIT . DE L’OGRESSE

— Une gueule de martyre un peu soignée, hein ! C’est pour les neutres.

LE RIRE DE LA SEMAINE

Dans certaines régions occupées par l’armée allemande, on
a vu des femmes d'officiers prendre part au pillage; celles-ci
viennent rejoindre leurs maris sur le front, et ne sont pas les
moins acharnées lorsqu'il s'agit de cambrioler un château ou
de mettre à sac une ville française. (Les journaux.)

Décembre; quelque part du côté de la frontière. Un château.
Un village. L’armée allemande occupe les environs, s’y vautre
et s’y accroche depuis un certain temps. Ces dames viennent
d’arriver, et leurs époux (qui les ont fait venir) les accueillent
avec une profusion de phrases niaises et pesantes, lourdes (cas
c’est l’usage) de points d’exclamation. Le bruit des « Och! » se
mêle à la détonation sèche des bouteilles de champagne qu’on
est en train de décapiter pour faire ripaille, les yeux dans les
yeux. Atmosphère de vulgarité et de sensiblerie. Odeur précise
des victuailles. Baisers sonores. Petits doigts enlacés.

Mais ce n’est pas l’heure du berger, c’est l’heure du butin.
« Fraû general » et ses choreutes le savent bien ; elles vous ont
un air d’inventaire, et les regards pâmés dont elles couvent^
tour à tour, l’unique objet de leur tendresse et le dîner, ne
manquent pas d’évaluer, çà et là, l’authenticité d’une console ou
le poids brut de l’argenterie.

Et les jolis bibelots anciens, les braves petits meubles de
France, accroupis sous l’opprobre, sentent, confusément sans
doute, qu’un grand malheur est arrivé. Car un damas grenat
vient de rougir de honte, et l’indignation gronde au fond des
tiroirs.

.Dans une salle à manger Trianon, toute blanche, la

table vient d’être investie. Le festin se déroule sans grâce. La
senteur âcre du tabac se mêle aux compliments fades et injus-
tifiés; on rit beaucoup, de choses qui n’en valent pas la peine
et qui, si les fauteuils Régence, au lieu de bras étaient pourvus
d’épaules, les leur feraient certaifiernerR hausser! Mais ceux-ci

se vengent d'être du dix-huitième en contrariant les formes des
gens du vingtième qui les ont occupés.

Une paire de petits sièges cannés (de l’époque, deux amours)
dont l’un est envahi par une Teutonne lourde et bouffie, se
regardent tristement en silence. Et celui auquel la grosse dame
a été épargnée se demande, à part lui, en voyant son confrère,
si les lois de la guerre permettent vraiment de mettre quelque
chose d’aussi laid que cette femme sur quelque chose d’aussi joli.

La digestion s’apaise. Les mots d’amour et les cigares sont
épuisés. Les couples germains, lourds de mangeaille, ivres de
bon bourgogne et de sentiments exquis, secouent la torpeur
envahissante pour fracturer les étagères et vider les buffets.
Toutes les Allemandes montent au premier afin de perquisi-
tionner dans les chambres de femmes ; et leur démarche de mam-
mifères rythme leurs étonnements puérils, leurs petits cris d’oi-
seau. 11 s’agit de choisir sa part de souvenirs, tout ça servira
pour l’Arbre de Noël — à l’heure intime et traditionnelle des
« Weihnachtsgeschenke ».

*

* *

. Il y a là, parmi le vol et le carnage (le tout organisé d’ail-
leurs avec discipline et méthode, comme ce qui nous vient
d’outre-Rhin) toute une série de personnages que nous connais-
sons, vous et moi, et que nous avons rencontrés au tournant
d’une page ou au coin d’un livre.

D’abord, c’est un couple de fermiers enrichis : gentilhomme
campagnard — objet de ses pensées. — Ils sont tourmentés d’in-
tellectualité et pleins d’une activité fructueuse ; car le temps
que leurs amis perdent en conversations générales, eux l’em-
ploient à des triages profitables, à toute une série d’opérations
avantageuses et sagement ordonnées. Ils s’appellent Hermann
et Dorothée, et Gœthe les a placés sous l’invocation des neuf
Muses en un poème impérissable, interminable et ennuyeux.

Après un repas plantureux et sentimental où ils ont tout bu et
tout mangé, depuis les hors-d’œuvre jusqu’au rince-boche, ils
causent :
 
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