LETTRE A SYLVIE
TRANCHEES FRANÇAISES
MARES ALLEMANDES
A mon spirituel ami te
général de Tegssières.
La tranchée où je m’aligne
Près de R***, en ce moment
Avec 1’ « ixième » de ligne
Vous plairait assurément.
Elle évoque, cette crypte,
Presqu’un hôtel renommé
De la Grèce ou de l’Egypte :
C’est un Palace-Athéné !
L’existence qu’on y mène
Et que je peins dans le vif
Tout doucement vous ramène
Vers l’ancêtre primitif.
Il faut tout créer, tout faire
Soi-même, « Fare dâ se »,
Mais le Français, en l’affaire,
N’est jamais embarrassé.
Les couloirs y sont humides
Et nos illustres anciens,
Près des grandes pyramides,
Avaient plus chaud —j’en conviens!
Nous, quand la bise est mauvaise,
On se réchauffe en chantant
A plein cœur la Marseillaise
Comme ces héros d’antan !
Puis on se métamorphose:
On devient des Crusoë;
On est des Lubin, sans Rose,
Et des Daphnis, sans Chloë.
Nous avons pris une vache,
Pauvre bête à l’abandon,
Qui jouait à cache-cache
Avec l’obus du teuton.
Moi, jadis clerc de notaire
A Paris, rue Amelot,
Si vous me voyiez la traire,
C’est du dernier rigolo !
Ils ont le Rire rouge, le rire bien français.
Avec des morceaux de caisse
Et deux planches de fayard
— Luxe royal en l’espèce ! —
Je me suis fait un placard.
L’un de nous, un petit maître
Et le roi du cotillon,
Ne parlait-il pas d’y mettre
Des tendeurs pour pantalon.
Puis nous avons une salle
De théâtre,.. Un Bavarois
Dirait qu’elle est « golossale » .
Elle a deux mètres sur trois.
Certe elle n’est pas profonde
A donner le vertigo,
Mais enfin, l’on a du monde,
On vient à nos thés tangos.
Les Boches ont plutôt le rire jaune.
Dessin de Narey.
Et puis chaque galerie
Dans la tranchée a son nom ;
Or, la mienne, je vous prie,
Porte celui ti’Apollon.
Non pas que je me découvre
La beauté du dieu paien,
Mais ça rappelle le Louvre,
Ça fait « riche » et ça fait bien.
Lorsque l’on n’est pas de garde
L’œil au guet, le nez au vent,
Quand l’ennemi nous canarde
De ses shrapnells'moins souvent,
Nous écoutons la musique
(Du Bizet — jamais du Brahms!)
D’un bon vieux phono phtisique.
Enfin nous jouons au rams...
SOUVENIR DE NOBL !
— Je vois avec plaisir que, selon l’ancienne coutume, vous avez mis vos souliers dans la
cheminée...
— Oui, mon capitaine, c’est pour les faire sécher.
Dessin exécuté, sur le front, par notre collaborateur J.-Jacques Roussau.
...Ou plutôt à la manille
(Au rams, être sans atout
Et crier : « Je prends la fille! »
Quand on ne prend rienjjdu tout,
Avouez que c’est grotesque!)
Parfois encor nous cherchons
A faire au voisin tudesque
De petits tours de... démons!
Nous jetons aux « kamarades »
Le journal « révélateur »,
Sans compter quelques grenades;
L’un de nous, un bon chanteur,
Prend son projectile et chante,
En le lançant au Saxon :
« Adieu ! Grenade charmante ! »
Comme ce pauvre Fragson.
Je vous ai tout dit, Sylvie,
Et vous voyez ce que c’est...
Nous prenons gaîment la vie,
— Surtout, nous restons Français.
Car le Rire c’est notre arme,
Et le Boche est trop vilain
Pour en connaître le charme...
Ils n’en ont pas à Berlin.
Dominique Bonnaud.
Nancy, déc. 1914.
TRANCHEES FRANÇAISES
MARES ALLEMANDES
A mon spirituel ami te
général de Tegssières.
La tranchée où je m’aligne
Près de R***, en ce moment
Avec 1’ « ixième » de ligne
Vous plairait assurément.
Elle évoque, cette crypte,
Presqu’un hôtel renommé
De la Grèce ou de l’Egypte :
C’est un Palace-Athéné !
L’existence qu’on y mène
Et que je peins dans le vif
Tout doucement vous ramène
Vers l’ancêtre primitif.
Il faut tout créer, tout faire
Soi-même, « Fare dâ se »,
Mais le Français, en l’affaire,
N’est jamais embarrassé.
Les couloirs y sont humides
Et nos illustres anciens,
Près des grandes pyramides,
Avaient plus chaud —j’en conviens!
Nous, quand la bise est mauvaise,
On se réchauffe en chantant
A plein cœur la Marseillaise
Comme ces héros d’antan !
Puis on se métamorphose:
On devient des Crusoë;
On est des Lubin, sans Rose,
Et des Daphnis, sans Chloë.
Nous avons pris une vache,
Pauvre bête à l’abandon,
Qui jouait à cache-cache
Avec l’obus du teuton.
Moi, jadis clerc de notaire
A Paris, rue Amelot,
Si vous me voyiez la traire,
C’est du dernier rigolo !
Ils ont le Rire rouge, le rire bien français.
Avec des morceaux de caisse
Et deux planches de fayard
— Luxe royal en l’espèce ! —
Je me suis fait un placard.
L’un de nous, un petit maître
Et le roi du cotillon,
Ne parlait-il pas d’y mettre
Des tendeurs pour pantalon.
Puis nous avons une salle
De théâtre,.. Un Bavarois
Dirait qu’elle est « golossale » .
Elle a deux mètres sur trois.
Certe elle n’est pas profonde
A donner le vertigo,
Mais enfin, l’on a du monde,
On vient à nos thés tangos.
Les Boches ont plutôt le rire jaune.
Dessin de Narey.
Et puis chaque galerie
Dans la tranchée a son nom ;
Or, la mienne, je vous prie,
Porte celui ti’Apollon.
Non pas que je me découvre
La beauté du dieu paien,
Mais ça rappelle le Louvre,
Ça fait « riche » et ça fait bien.
Lorsque l’on n’est pas de garde
L’œil au guet, le nez au vent,
Quand l’ennemi nous canarde
De ses shrapnells'moins souvent,
Nous écoutons la musique
(Du Bizet — jamais du Brahms!)
D’un bon vieux phono phtisique.
Enfin nous jouons au rams...
SOUVENIR DE NOBL !
— Je vois avec plaisir que, selon l’ancienne coutume, vous avez mis vos souliers dans la
cheminée...
— Oui, mon capitaine, c’est pour les faire sécher.
Dessin exécuté, sur le front, par notre collaborateur J.-Jacques Roussau.
...Ou plutôt à la manille
(Au rams, être sans atout
Et crier : « Je prends la fille! »
Quand on ne prend rienjjdu tout,
Avouez que c’est grotesque!)
Parfois encor nous cherchons
A faire au voisin tudesque
De petits tours de... démons!
Nous jetons aux « kamarades »
Le journal « révélateur »,
Sans compter quelques grenades;
L’un de nous, un bon chanteur,
Prend son projectile et chante,
En le lançant au Saxon :
« Adieu ! Grenade charmante ! »
Comme ce pauvre Fragson.
Je vous ai tout dit, Sylvie,
Et vous voyez ce que c’est...
Nous prenons gaîment la vie,
— Surtout, nous restons Français.
Car le Rire c’est notre arme,
Et le Boche est trop vilain
Pour en connaître le charme...
Ils n’en ont pas à Berlin.
Dominique Bonnaud.
Nancy, déc. 1914.