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Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire — 1915 (Nr. 7-58)

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https://doi.org/10.11588/diglit.25444#0020
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LETTRE A SYLVIE

TRANCHEES FRANÇAISES

MARES ALLEMANDES

A mon spirituel ami te
général de Tegssières.

La tranchée où je m’aligne
Près de R***, en ce moment
Avec 1’ « ixième » de ligne
Vous plairait assurément.

Elle évoque, cette crypte,

Presqu’un hôtel renommé
De la Grèce ou de l’Egypte :

C’est un Palace-Athéné !

L’existence qu’on y mène
Et que je peins dans le vif
Tout doucement vous ramène
Vers l’ancêtre primitif.

Il faut tout créer, tout faire
Soi-même, « Fare dâ se »,

Mais le Français, en l’affaire,

N’est jamais embarrassé.

Les couloirs y sont humides
Et nos illustres anciens,

Près des grandes pyramides,

Avaient plus chaud —j’en conviens!

Nous, quand la bise est mauvaise,
On se réchauffe en chantant
A plein cœur la Marseillaise
Comme ces héros d’antan !

Puis on se métamorphose:

On devient des Crusoë;

On est des Lubin, sans Rose,

Et des Daphnis, sans Chloë.

Nous avons pris une vache,

Pauvre bête à l’abandon,

Qui jouait à cache-cache
Avec l’obus du teuton.

Moi, jadis clerc de notaire
A Paris, rue Amelot,

Si vous me voyiez la traire,

C’est du dernier rigolo !

Ils ont le Rire rouge, le rire bien français.

Avec des morceaux de caisse
Et deux planches de fayard
— Luxe royal en l’espèce ! —

Je me suis fait un placard.

L’un de nous, un petit maître
Et le roi du cotillon,

Ne parlait-il pas d’y mettre
Des tendeurs pour pantalon.

Puis nous avons une salle
De théâtre,.. Un Bavarois
Dirait qu’elle est « golossale » .
Elle a deux mètres sur trois.

Certe elle n’est pas profonde
A donner le vertigo,

Mais enfin, l’on a du monde,

On vient à nos thés tangos.

Les Boches ont plutôt le rire jaune.

Dessin de Narey.

Et puis chaque galerie
Dans la tranchée a son nom ;

Or, la mienne, je vous prie,

Porte celui ti’Apollon.

Non pas que je me découvre
La beauté du dieu paien,

Mais ça rappelle le Louvre,

Ça fait « riche » et ça fait bien.

Lorsque l’on n’est pas de garde
L’œil au guet, le nez au vent,
Quand l’ennemi nous canarde
De ses shrapnells'moins souvent,

Nous écoutons la musique
(Du Bizet — jamais du Brahms!)
D’un bon vieux phono phtisique.
Enfin nous jouons au rams...

SOUVENIR DE NOBL !

— Je vois avec plaisir que, selon l’ancienne coutume, vous avez mis vos souliers dans la
cheminée...

— Oui, mon capitaine, c’est pour les faire sécher.

Dessin exécuté, sur le front, par notre collaborateur J.-Jacques Roussau.

...Ou plutôt à la manille
(Au rams, être sans atout
Et crier : « Je prends la fille! »
Quand on ne prend rienjjdu tout,

Avouez que c’est grotesque!)
Parfois encor nous cherchons
A faire au voisin tudesque
De petits tours de... démons!

Nous jetons aux « kamarades »

Le journal « révélateur »,

Sans compter quelques grenades;
L’un de nous, un bon chanteur,

Prend son projectile et chante,
En le lançant au Saxon :

« Adieu ! Grenade charmante ! »
Comme ce pauvre Fragson.

Je vous ai tout dit, Sylvie,

Et vous voyez ce que c’est...

Nous prenons gaîment la vie,

— Surtout, nous restons Français.

Car le Rire c’est notre arme,

Et le Boche est trop vilain
Pour en connaître le charme...
Ils n’en ont pas à Berlin.

Dominique Bonnaud.

Nancy, déc. 1914.
 
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