LE MORATORIUM DES LOYERS
Mme Tromignon. — Je te dirai cela, demain, lorsque j’aurai vu
Thérèse, la vieille femme de ménage qui vient laver tes chaus-
settes et astiquer le fourneau.
DEUXIÈME ACTE
{Le lendemain soir.)
Mme Tromignon, radieuse. — Tu vas avoir un fils, Isidore, un
grand fils de vingt-quatre ans, qui, dans huit jours, sera dragon.
M. Tromignon. — Tu te moques de moi?
Mme Tromignon. — Je m’en voudrais, mon ami.
M. Tromignon. — Qu’est-ce que c’est, alors, que cette histoire?
Mms Tromignon. — C’est une histoire toute simple. Tu vas
adopter Joséphin, un fils naturel de Thérèse, que le père n’a pas
reconnu et qui, bien que réformé, est sur le point de s’engager
LA BRONCHO-ENTÉRITE IMPÉRIALE !
Dessin de A. Noël.
pour la durée de la guerre. Je me suis occupée de toutes les
formalités; j’ai même vu le juge de paix; samedi, tout sera fait,
et il y aura bientôt sous les drapeaux, un cavalier Tromignon
qui te fera honneur et qui t’adressera des lettres débordantes
d’héroïsme.
M. Tromignon, pâle d'émotion. — Ma joie est incommensu-
rable !
TROISIÈME ACTE
(A l'occasion de l'adoption, le nouveau père offre à son fils,
un repas plantureux. Le jeune Joséphin fait largement hon-
neur à la cuisine de Mme Tromignon. Il mange comme un
goinfre, il hoit gloutonnement, mais ne répond que sobrement
aux questions qu'on lui pose.)
M. Tromignon. — Es-tu content, Joséphin, d’être mon fils?
Joséphin.— Pour sûr, monsieur.
M. Tromignon. — Appelle-moi « papa ».
Joséphin. — Oui, papa, je suis content... Mais les patates sont
rudement bonnes ! Refile-m’en quelques-unes encore avec un
peu de bidoche.
M. Tromignon. — Ce petit morceau-là?
Joséphin. — Non, le gros, si ça ne te fait rien...
M. Tromignon, après un silence. — Alors tu te plairas ici,
quand la guerre sera finie?
un poilu
Joséphin. — Je m’y plais même déjà !... Y a-t-il encore une
patate?... Merci... Moi, du moment qu’on bouffe bien, le reste,
je m’en bats l’œil !
M. Tromignon. — Il paraît que nos soldats sont admirablement
nourris.
Joséphin. — Ça, mon vieux papa, je m’en f...
M. Tromignon. — Comment? Ne dois-tu pas partir bientôt au
régiment ?
Joséphin. — Non, mais tu m’as pas regardé! M’engager, ça,
c’était bon lorsque j’étais chez ma vieille où il n’y avait rien à
croûter. Mais, maintenant, ça serait rudement poire!... Passe
voir plutôt le gruyère, que je m’en paye une tranche.
ÉPILOGUE
Mme Tromignon. — Thérèse, votre Joséphin nous a bien déçus.
Thérèse. — Il est comme il est, madame.
Mme Tromignon. — Je ne vous fais point de reproches... J’avais
espéré pourtant que votre fils aurait quelques-unes de vos qua-
lités, car vous êtes sobre, Thérèse, travailleuse et réservée...;
tandis que lui !... Avec qui l’avez-vous donc eu?
Thérèse, après quelques secondes d'hésitation. — Mes souve-
nirs, madame, ne sont pas très précis...; mais, autant que je
me rappelle, il me semble bien que j’ai eu Joséphin avec un
Boche. Jean Bonot.
Mme Tromignon. — Je te dirai cela, demain, lorsque j’aurai vu
Thérèse, la vieille femme de ménage qui vient laver tes chaus-
settes et astiquer le fourneau.
DEUXIÈME ACTE
{Le lendemain soir.)
Mme Tromignon, radieuse. — Tu vas avoir un fils, Isidore, un
grand fils de vingt-quatre ans, qui, dans huit jours, sera dragon.
M. Tromignon. — Tu te moques de moi?
Mme Tromignon. — Je m’en voudrais, mon ami.
M. Tromignon. — Qu’est-ce que c’est, alors, que cette histoire?
Mms Tromignon. — C’est une histoire toute simple. Tu vas
adopter Joséphin, un fils naturel de Thérèse, que le père n’a pas
reconnu et qui, bien que réformé, est sur le point de s’engager
LA BRONCHO-ENTÉRITE IMPÉRIALE !
Dessin de A. Noël.
pour la durée de la guerre. Je me suis occupée de toutes les
formalités; j’ai même vu le juge de paix; samedi, tout sera fait,
et il y aura bientôt sous les drapeaux, un cavalier Tromignon
qui te fera honneur et qui t’adressera des lettres débordantes
d’héroïsme.
M. Tromignon, pâle d'émotion. — Ma joie est incommensu-
rable !
TROISIÈME ACTE
(A l'occasion de l'adoption, le nouveau père offre à son fils,
un repas plantureux. Le jeune Joséphin fait largement hon-
neur à la cuisine de Mme Tromignon. Il mange comme un
goinfre, il hoit gloutonnement, mais ne répond que sobrement
aux questions qu'on lui pose.)
M. Tromignon. — Es-tu content, Joséphin, d’être mon fils?
Joséphin.— Pour sûr, monsieur.
M. Tromignon. — Appelle-moi « papa ».
Joséphin. — Oui, papa, je suis content... Mais les patates sont
rudement bonnes ! Refile-m’en quelques-unes encore avec un
peu de bidoche.
M. Tromignon. — Ce petit morceau-là?
Joséphin. — Non, le gros, si ça ne te fait rien...
M. Tromignon, après un silence. — Alors tu te plairas ici,
quand la guerre sera finie?
un poilu
Joséphin. — Je m’y plais même déjà !... Y a-t-il encore une
patate?... Merci... Moi, du moment qu’on bouffe bien, le reste,
je m’en bats l’œil !
M. Tromignon. — Il paraît que nos soldats sont admirablement
nourris.
Joséphin. — Ça, mon vieux papa, je m’en f...
M. Tromignon. — Comment? Ne dois-tu pas partir bientôt au
régiment ?
Joséphin. — Non, mais tu m’as pas regardé! M’engager, ça,
c’était bon lorsque j’étais chez ma vieille où il n’y avait rien à
croûter. Mais, maintenant, ça serait rudement poire!... Passe
voir plutôt le gruyère, que je m’en paye une tranche.
ÉPILOGUE
Mme Tromignon. — Thérèse, votre Joséphin nous a bien déçus.
Thérèse. — Il est comme il est, madame.
Mme Tromignon. — Je ne vous fais point de reproches... J’avais
espéré pourtant que votre fils aurait quelques-unes de vos qua-
lités, car vous êtes sobre, Thérèse, travailleuse et réservée...;
tandis que lui !... Avec qui l’avez-vous donc eu?
Thérèse, après quelques secondes d'hésitation. — Mes souve-
nirs, madame, ne sont pas très précis...; mais, autant que je
me rappelle, il me semble bien que j’ai eu Joséphin avec un
Boche. Jean Bonot.