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Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire — 1915 (Nr. 7-58)

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https://doi.org/10.11588/diglit.25444#0065
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LA LOGE DES NEUTRES

3

— Où est Italia ?

— Partie sur la scène avec Romanesco.

— Et Americo?

— Il fait des affaires dans les coulisses.

LE RIRE DE LA SEMAINE

Les choses les plus graves ont leur côté bouffon. Si prud-
hommesque que soit cette constatation surannée il faut la res-
sasser une fois encore à l’occasion de l’entrée des Turcs dans la
terrible danse sur un volcan. Car il n’y a pas à dire, au milieu
de l’épouvantable tragédie qui se déroule entre les quatre por-
tants européens et auprès de laquelle les cauchemars shakes-
peariens ou edgardpoësques ne sont que des bluettes, cette
intervention apparaît comme un intermède comique : c’est Footit
se' dandinant derrière Dante et Virgile, pendant la tournée des
Enfers!

Dans la vie ordinaire, les sujets du Sultan sont déjà, par je ne
sais quelle malice du sort, des sujets de gaîté. Ils n’apparaissent
dans l’imagination qu’entourés d’un tas d’accessoires parmi les-
quels on n’a que l’embarras du choix. Ils ont beau se mettre des
redingotes noires unies, on les voit toujours avec un soleil dans
le dos. Alors que tous les peuples ont imaginé des chapeaux,
presque tous pittoresques, ils ont inventé le fez, qui n’est pas
un chapeau mais un couvercle et qui fait d’eux un immense
peuple de pipelets romantiques, au bout du cordon de la Sublime-
Porte.

Ils ont choisi pour emblème héraldique le croissant, qui pro-
cède à la fois de l’astronomie et de la boulangerie. Ils ont trouvé
le moyen d’ètre grotesques jusque dans la férocité, en inventant
le pal, et excessifs dans la méfiance conjugale, en fabriquant ces
hommes à femmes que l’on appelle des eunuques.

Ils auraient beau adopter à présent uniformément, la culotte
collante, on les verrait toujours en larges pantalons bouffants
de répertoire, avec des fonds toujours en baisse. Modernise-
raient-ils leur armement on ne saurait imaginer leurs soldats
autrement que brandissant des sabres en demi-lunes, beaucoup
plus faits, semble-t-il, pour ramasser les miettes de pain sur la
table, après le dîner, que pour riposter aux baïonnettes françaises
dernier cri ou aux baïonnettes allemandes dernier cran!

D’ailleurs, sans insister davantage, un peuple dont les grands
hommes peuvent s’appeler Mustapha est jugé : jamais l’Histoire
ne pourra le prendre au sérieux.

Eh ! bien, ces Turcs, qui étaient déjà en temps de paix les
clowns du concert européen et la gaîté de l’ethnographie, ont
profité du bouleversement général pour violer — eux aussi —
la frontière du ridicule ! Au lieu de rester prudemment neutres,
précisément comme les gardiens de gynécées dont nous parlions
tout à l’heure, au lieu de continuer à vendre paisiblement du
papier d’Arménie empesteur, des peaux de chèvres à microbes,
et à faire l’exportation des emprunts nationaux-, les voilà qui
va-t-en-guerre ! Ils lâchent le bazar pour la boucherie, et s’en
vont naïvement conquérir la Russie et l’Egypte, mironton,
mironton, mirontaine, conduits par quatre-z’officiers prussiens !

Pauvres, pauvres Turcs! L’Empereur leur a évidemment
raconté que son vieux Dieu germanique ressemblait comme
deux morceaux de nougat à Allah et qu’il était, lui, Kaiser-Bey,
un type dans le genre de Mahomet. Il a dû leur promettre'par
surcroît de mettre, pour soulager leurs finances, un péage sur
le Pont Euxin et de leur abandonner l’Afrique, l’Asie et la
Sibérie, pourvu qu’ils les prennent eux-mêmes avec, pour
troupes de réserve, son appui moral. Et les Turcs de troquer
bien vite leurs babouches contre des godillots, leurs pastilles du
sérail contre des pastilles incendiaires, et de courir se faire
battre comme des tapis de prière !

Les brefs communiqués relatant les faits de guerre de ces
benjamins sacrifiés de la Triplice sont, hélas! les seules occa-
sions de sourire que l’on ait en lisant en ce moment les jour-
naux. Il faut en profiter. Ils sont un peu comme ces tranches de
comédie drolatique que le théâtre du Grand-Guignol glissait
jadis entre deux tartines horrifiques. Comment n’être pas secoué
malgré tout par une douce hilarité lorsque, par exemple, au
moment où il n’est question que d’hostilités sur mer entre
dreadnoughts et superdreadnoughts, on lit que les braves Otto-
mans viennent de se faire couler une flottille de caïques, modèles
de bateaux tout désignés pour figurer dans les expositions mari-
times rétrospectives? Comment ne pas croire à une énorme
plaisanterie lorsqu’on lit encore que les Turcs mobilisent, à cri
et à cornac, tous les chameaux entre dix-neuf et soixante ans,
en vue d’aller prêcher la guerre sainte... dans le désert? Que
le Breslau, ayant bombardé les côtes de la mer Noire, a tué
lui-même trois mille Turcs, apparemment pour leur éviter l’hu-
 
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