Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire (1915 (Nr. 7-58))

POUR LE DENIER DE SAINT-PIERRE
— Ne bougeons plus ! Bonne attitude : les mains jointes et les bras croisés.

LE RIRE DE LA SEMAINE

Il tant bien, pour sacrifier à l'actualité, reparler un peu de ces
vieux Zeppelins, engins encombrants qui paraissent avoir été
surtout inventés afin que l’on eût quelque chose à mettre dans
les hangar* gigantesques que l’on sait.

Les Pari>iens ne smit pas du tout des types dans le genre de
Damoclès, lequel s’effarait pour une simple petite épée suspendue
au-dessus do sa tête par un crin de cheval. 11 leur en faut plus
que cela. Ils savent d’ailleurs que si le Zeppelin lui-même ne
tient pas à un crin, sa sécutiié ne tient qu’à un cheveu. Iis
savent que nous avons, aux environs de Paris, de courageux
aviateurs qui attendent — avec impatience, n’en doutez pas —
l’occasion île prendre ces grosses vessies pour des lanternes, et
de les allumer.

Mais il faut toujours compter avec les citoyens timides qui
pensent que la poudre d’escampeite est tout de même moins
dangereuse que l'autre. Ceux-ci, aussitôt publiées les prescrip-
tions concernant l’éclairage, ont reçu comme par hasard la
nouvelle de l’indisposition d'un parent de province. C'est éton-
nant comme la présence dans l’air seulement d’une éventualité
fâcheuse provoque une recrudescence d’indisposilions de parents
de province! Les timides se retrouvent dans ces circonstances-là
des trésors de tendresse familiale. Ils filent — ou ne dira [dus à
l'anglaise, ayant constaté à quel point nos braves alliés sont« un
peu là » — mais à la targue, formule qui restera pour exprimer
un dégoût subit du danger, et l’action île se désintéresser tout à
coup des manifestations guéri ieres.

11 y a cependant des timides que leur amour-propre ou des
intérêts particuliers ont retenus au rivage. Un certain nombre
d’entre eux ont fait préparer leurs caves, ranger le charbon
à droite, le casier à bouteilles à gauche, et passent une par-
tie de leur temps à surveiller le ciel avec une jumelle de théâ-
tre. D’autres, ayant pensé que la menace zeppelinesque était
un avertissement d’en haut et que la peur de la bombe aérienne
était le commencement de la sagesse, ont changé de maison, ne

pouvant changer de contrée. D’où une série de déménagements
liàtils et temporaires, une fuite de locataires du cinquième étage
s’installant provisoirement dans les hôtels, pas plus haut que le
second, bien entendu.

On prétend même que c’est à la crainte des Zeppelins qu'il faut
attribuer le redoublement d’activité constaté dans les garçon-
nières encore fréquentées malgré la mobilisation, et qui ont la
chance d'ètre situées au rez-de-chaussée ou à l'entresol. Par
contre, c’est le coup de grâce definitif porté au fameux grenier
romantique où, prétendait la chanson de jadis, on était si bien à
vingt ans. A présent, tout ce qui est mansarde ou terrasse c’est
la ligne de l'eu civile, et aller ramoner une cheminée c’est presque
aller au front!

*

* *

Ne quittons pas la question aérostatique sans signaler une
trouvaille d’Outre-Rhin— le Rhin étant d’ores et déjà considéré
de nouveau emme la frontière franco-allemande — où lu ter-
reur des raids aériens sévit a\ec une intensité auprès de la-
quelle la nervosité témoignée par nos timides pourrait passer
pour de l’indifference.

La peur donne du zèle : un ingénieux timoré de là-bas, un
naturaliste ou un éleveur, a songé à utiliser, pour ia decouverte
dans le ciel des aéroplanes ennémis, la prodigieuse acuité de
vision des oiseaux. Ou sait qu’un aigle planant à une hauteur
fantastique distingue nettement une poule sur le sol; la poule,
parait-il, le lui rend bien, et remarque le dit aigle à une distance
où pour l’apercevoir il faudrait que notre œil nu s'habillât d’une
puissante lorgnette. C’est donc cette utilisation de la virtuosité
oculaire des volatiles que l’Administration militaire allemande
a mise à l’étude; mais, comme il y a de par le monde beaucoup
moins d’aigles que de poules, c’est à ces derniers paisibles
gallinacés que sera confiée la mission, si l’on peut dire, de
veiller au grain. On installera sur les édifices élevés des basses-
cours — en l’occurrence, des hautes-cours — et l’on épiera les
allures des volailles-sentinelles : aussitôt qu'elles paraîtront