COMPENSATION
UN RICHE BUTIN
Otto Tugelmauser, cavalier de 2e classe aux Hussards de la
Mort, à Madame Caroline Tugelmauser, sa mère, 71, Mu-
nichstrasse, Berlin.
« Lille, 12 octobre 1914.
« Ma très chère maman,
« Enfin! Tu vas être contente et fière de ton Otto!... Avec
mes bons camarades Lugenstein et Schnellmittag, j ai eu, ce
matin, l’heureuse fortune de conquérir une bijouterie irançaise,
et je t’envoie...
« Mais avant de te dire ce que je t’envoie, souffre que je te
gronde un peu !
« Ma vénerée mère, tu as jugé à propos de me faire de la
morale, et tu m’as écrit une lettre pleine de reproches injusti-
fiés. Tu n’as pas craint de déclarer que je ne pensais pas à ma
famille, que, sans doute, je passais mou temps à séduire de
belles Françaises, avec mes moustaches superbement relevées à
la Guillaume, que je ferais Lien mieux d’imiter mon cousin Her-
mann Fünfochtagerbuch qui, chaque semaine, expédie à son
honorab'e père, des cadeaux de grande valeur.
« Laisse-moi, te déclarer qu’it ne lui est pas très difficile de se
procurer du butin excellent. Sa fonciion d’infirmier lui permet
de dépouiller les blessés Moi, au contraire, je vais toujours de
l’avant. Je suis un cavalier! Tu n’ignores pas que, lorsque nous
arrivonsà l’étape, nous devons, avant toute chose, nous occuper
de nos chevaux. Or, pendant que nous les soignons, nos offi-
ciers et sous-officiers raflent tout ce qui a quelque prix. C’est
désolant.
« Tu vois, ma‘chère maman, que je ne mérite pas d’être traité
de mauvais fils. Et tu comprendras aisément quelle joie j’ai
éprouvée aujoui d’hui, lorsqu’en compagnie de Karl Lugenstein
et Joseph Schnelmittag, j ai eu l’aubaine de découvrir, à Lille,
une petite bijouterie, que personne n’avait encore visitée.
« Avec quel enthousiasme nous avons empli nos poches et
nos musettes, de montres, de bracelets, de sautoirs et de
bagues !... Je me réjouis, ma bonne maman, en pen-ant à la
satisfaction que tu ressentiras lo'sque tu ouvriras la caisse que
je viens de mettre au chemin de fer. Et mes sœurs?... Ah! ali !
Elles vont se croire devenues des princesses, quand elles se
promèneront couvertes de bijoux!
« Qu il est donc triste que mon vénéré père ne soit plus de ce
monde! Sa grande ambition était de posséder une belle chaîne
La crosse belge contre les crosses prussiennes.
Dessin de George-Edward.
— Ah! ils nous ont pris des drapeaux! Nous saurons nous rattra-
per sur le mobilier. Dessin de Louis Boucher.
en or, et il est mort sans avoir connu ce bonheur. Comme il
serait heureux aujourd’hui! Son cœur de sincère pangermaniste
serait gonile d'orgueil.
<( Ma chère mère, je ne vois plus rien à te dire, si ce n’est
que je suis toujours ton très colossalement affectueux fils.
« Otto Tugelmauser. »
c P. S. — Envoie-moi, le plus tôt possible, plusieurs paires de
lunettes, car j’ai casse mes vert es et ma myopie me gène gran-
dement.
<i Ne sois pas émotionnée, en lisant sur mon colis : « Chocolat,
parfumerie. » Je me suis bien garde d’indiqueK^ce qu’il con-
tient. car il se serait sûrement trouver un officier pour se l’ap-
proprier. »
Madame Caroline Tugelmauser à son fds Otto.
« Berlin, le 27 octobre 1914.
« Otto,
« Toute ta vie, lu seras un étourdi... Tes sœurs et moi, nous
sommes horriblement vexées. Ce ne.sont pas des montres en or,
ni des chaînes en or, ni des bagues en or que tu nous a expé-
diées ! Ce sont des bijoux en tare Fix !... Ah ! quelle ciuelle et
formidablement douloureuse déception est la nôtre!
« Ce qui nous empêche de trop t’en vouloir, c'est que nous
savons que tu avais perdu tes lunettes. Cela explique, en partie,
ta méprisé.
« Lnfin, que cette mésaventure te serve de leçon ! Dorénavant,
examine de piès, de très piès, le butin que tu fêtas. Ces mé-
chants finançais sont si voleurs!
« Nous t’embrassons et t’adressons les lunettes demandées.
« Veuve Tugelmauser. »
Pour traduction exacte :
E.-G. Gluck.
UN RICHE BUTIN
Otto Tugelmauser, cavalier de 2e classe aux Hussards de la
Mort, à Madame Caroline Tugelmauser, sa mère, 71, Mu-
nichstrasse, Berlin.
« Lille, 12 octobre 1914.
« Ma très chère maman,
« Enfin! Tu vas être contente et fière de ton Otto!... Avec
mes bons camarades Lugenstein et Schnellmittag, j ai eu, ce
matin, l’heureuse fortune de conquérir une bijouterie irançaise,
et je t’envoie...
« Mais avant de te dire ce que je t’envoie, souffre que je te
gronde un peu !
« Ma vénerée mère, tu as jugé à propos de me faire de la
morale, et tu m’as écrit une lettre pleine de reproches injusti-
fiés. Tu n’as pas craint de déclarer que je ne pensais pas à ma
famille, que, sans doute, je passais mou temps à séduire de
belles Françaises, avec mes moustaches superbement relevées à
la Guillaume, que je ferais Lien mieux d’imiter mon cousin Her-
mann Fünfochtagerbuch qui, chaque semaine, expédie à son
honorab'e père, des cadeaux de grande valeur.
« Laisse-moi, te déclarer qu’it ne lui est pas très difficile de se
procurer du butin excellent. Sa fonciion d’infirmier lui permet
de dépouiller les blessés Moi, au contraire, je vais toujours de
l’avant. Je suis un cavalier! Tu n’ignores pas que, lorsque nous
arrivonsà l’étape, nous devons, avant toute chose, nous occuper
de nos chevaux. Or, pendant que nous les soignons, nos offi-
ciers et sous-officiers raflent tout ce qui a quelque prix. C’est
désolant.
« Tu vois, ma‘chère maman, que je ne mérite pas d’être traité
de mauvais fils. Et tu comprendras aisément quelle joie j’ai
éprouvée aujoui d’hui, lorsqu’en compagnie de Karl Lugenstein
et Joseph Schnelmittag, j ai eu l’aubaine de découvrir, à Lille,
une petite bijouterie, que personne n’avait encore visitée.
« Avec quel enthousiasme nous avons empli nos poches et
nos musettes, de montres, de bracelets, de sautoirs et de
bagues !... Je me réjouis, ma bonne maman, en pen-ant à la
satisfaction que tu ressentiras lo'sque tu ouvriras la caisse que
je viens de mettre au chemin de fer. Et mes sœurs?... Ah! ali !
Elles vont se croire devenues des princesses, quand elles se
promèneront couvertes de bijoux!
« Qu il est donc triste que mon vénéré père ne soit plus de ce
monde! Sa grande ambition était de posséder une belle chaîne
La crosse belge contre les crosses prussiennes.
Dessin de George-Edward.
— Ah! ils nous ont pris des drapeaux! Nous saurons nous rattra-
per sur le mobilier. Dessin de Louis Boucher.
en or, et il est mort sans avoir connu ce bonheur. Comme il
serait heureux aujourd’hui! Son cœur de sincère pangermaniste
serait gonile d'orgueil.
<( Ma chère mère, je ne vois plus rien à te dire, si ce n’est
que je suis toujours ton très colossalement affectueux fils.
« Otto Tugelmauser. »
c P. S. — Envoie-moi, le plus tôt possible, plusieurs paires de
lunettes, car j’ai casse mes vert es et ma myopie me gène gran-
dement.
<i Ne sois pas émotionnée, en lisant sur mon colis : « Chocolat,
parfumerie. » Je me suis bien garde d’indiqueK^ce qu’il con-
tient. car il se serait sûrement trouver un officier pour se l’ap-
proprier. »
Madame Caroline Tugelmauser à son fds Otto.
« Berlin, le 27 octobre 1914.
« Otto,
« Toute ta vie, lu seras un étourdi... Tes sœurs et moi, nous
sommes horriblement vexées. Ce ne.sont pas des montres en or,
ni des chaînes en or, ni des bagues en or que tu nous a expé-
diées ! Ce sont des bijoux en tare Fix !... Ah ! quelle ciuelle et
formidablement douloureuse déception est la nôtre!
« Ce qui nous empêche de trop t’en vouloir, c'est que nous
savons que tu avais perdu tes lunettes. Cela explique, en partie,
ta méprisé.
« Lnfin, que cette mésaventure te serve de leçon ! Dorénavant,
examine de piès, de très piès, le butin que tu fêtas. Ces mé-
chants finançais sont si voleurs!
« Nous t’embrassons et t’adressons les lunettes demandées.
« Veuve Tugelmauser. »
Pour traduction exacte :
E.-G. Gluck.