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Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire — 1915 (Nr. 7-58)

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https://doi.org/10.11588/diglit.25444#0592
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LA PEUR DES COUPS

— Comprenez-moi bien : c’est vous que j’aime; mais'il y a des moments où je préférerais vous mécontenter plutôt que lui, parce qu’en galant
homme, vous me bouderiez seulement; tandis que cette brute-là me casserait la figure.

LE RIRE DE LA SEMAINE

La guerre ruine les uns et enrichit les autres. Les premiers,
n’en parlons pas; ils se débattent comme ils peuvent, et relèvent,
hélas! de toutes les œuvres protectrices et de toutes les repré-
sentations de bienfaisance.

Les seconds, parlons-en encore moins. Pouvoir faire sa pelote
quand la laine est si chère, et mettre du beurre dans ses épi-
nards quand les épinards et le beurre sont hors de prix, c’est
avoir la veine insolente, une veine que tout le monde n’envie
pas, mais une veine!

Entre ces deux extrêmes, il y a la multitude des gens que la
guerre se contente de gêner considérablement, et qui ont dû
transposer leur façon de vivre, selon le cas, de une, deux, trois
ou quatre octaves au-dessous du ton de leur train ordinaire.

C’est en adoptant un « train de guerre » que cette multitude
vivote sans avoir recours aux soupes des associations philanthro-
piquement cuisinières et aux anthracites des charitables groupe-
ments charbonniers. Chez ces personnes raisonnables tout est
devenu « de guerre ». On donne à la domestique un salaire de
guerre. On use jusqu’à la corde ses vieux vêtements, promus à
la dignité de vêtements de guerre, on use jusqu’à la chaussette
ses chaussures fatiguées et jusqu’à la coiffe ses chapeaux défraî-
chis, devenus chaussures et chapeaux de guerre.

On offre à ses amis des dîners strictement rassasiants, dits
« dîners de guerre », au cours desquels, après avoir lu le menu
de guerre, on dit très bien, en désignant l’étique volaille rôtie
qui dresse ses petits bras anxieux et nerveux vers le plafond :
« C’est un poulet de guerre! » La bête est accompagnée ou
suivie d’un petit vin de guerre et d’un entremets idem.

L’expression, commode et élastique, est aujourd’hui courante.
Elle est presque passée à l’état de scie. Elle devra être consignée
formellement dans leurs ouvrages par ceux qui écriront l'his-
toire anecdotique de cette époque plutôt troublée, en même
temps que l’argot spécial que la guerre a fait éclore.

Les femmes dont le budget somptuaire a été fortement rogné,
sinon supprimé, usent énormément de la précieuse formule.
Toute robe qui n’est pas strictement à la dernière mode est une
robe de guerre ; tout manteau qui n’a pas l’ampleur à godets de
la dernière heure est un manteau de guerre; tout chapeau qui a
deux mois d’âge est un chapeau de guerre... Si une petite coutu-

rière ou une ouvrière à la journée est intervenue, qui, à force
d’ingéniosité, a essayé de sauver la dame du déshonneur d’exhi-
ber une jupe un peu « riquiqui » ou un manteau un peu ajusté,
c’est un « arrangement » de guerre.

Mais, l'expression n’est pas le monopole des gens qui vivent
exclusivement des loyers qu’on ne leur paye pas ou des mar-
chandises que personne n’achète; beaucoup parmi ceux qui ne
souffrent aucunement de l’état légèrement bouleversé des choses
l’ont adoptée, cette expression à tout excuser, pour justifier leur
goût de l’économie, voire leur incurable parcimonie. On a vu
des citoyens regorgeant d’argent liquide et d’or massif, accou-
tumés jadis à villégiaturer dans un castel somptueux, vous
dire en vous recevant au seuil d’une demeure modeste : « Ne
faites pas attention, c’est une villa de guerre!... » Le proprié-
taire, heureusement, n’était pas caché derrière une porte, qui
aurait pu se dire anxieusement : « Sapristi! Qu’est-ce que j’en
ferai alors pendant la paix ? »

Le qualificatif s’adapte à toutes les circonstances et à tous les
articles. Il y a la fourrure de guerre, le foie gras de guerre et
l’auto de guerre... Il y a mieux encore, et c’est tout de même
une époque singulière que celle où l’on peut entendre, à la porte
d’un thé à la mode, le court dialogue suivant :

— Tiens, qu’est-ce que c’est que cette nouvelle femme qui est
avec Machin ?

— Tiens, oui... je ne la connais pas.

— Elle est assez moche du reste... Mais d’où sort-il ça?

— Peuh ! C’est une femme de guerre !

*

* *

Voici que le froid semble vouloir sévir rudement, et en regar-
dant le matin le thermomètre dont la conduite est au-dessous de
tout, et même de zéro, nous songeons tout de suite, naturelle-
ment, aux pauvres soldats des tranchées.

Nous voulons croire que l’on s’ingénie à soulager le plus pos-
sible leur misère, et que les gourbis, cagnats, et autres cagibis,
sont pourvus d’un chauffage sortant de l’école de fumisterie
normale, sinon centrale.

Cette préoccupation du bien-être du soldat est gradée au plus
haut point... Ne cherchez pas... c’est une façon particulière de
dire quelle est « générale »... Les Dernières nouvelles de Leipzig
(mais ce sont peut-être les avant-dernières, car il y a déjà quel-
ques jours de cela), annoncent qu’un professor allemand a
 
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