inventé le chauffage des sentinelles à l'électricité. Sinon e vero,
il faut avouer que c’est assez bien trovato, comme dirait évi-
demment d’Annunzio. L’invention consiste en vêtements tissés
en fils conducteurs ; le factionnaire enfile le vêtement en arri-
vant à son poste et, saisissant l'extrémité anti-platonique de la
prise du courant, semblable à celle qui sert pour les lampes
électriques, se l’introduit quelque part... Il faut bien employer
ce mot vague de « quelque part », les Dernières nouvelles de
Leipzig ne spécifiant pas l’endroit qui reçoit le contact. Aussitôt
établi le courant, une douce chaleur se répand dans le vêtement
complet dont bénéficie incontinent le Boche, méritant plus que
jamais la dénomination de « fourneau ».
Au premier abord 1 idée est séduisante ; on pense que ce doit
être le rêve de se fourrer dans ce vêtement fourré lui-même
d’électricité; et puis à la réflexion on se demande si cette con-
fection n’offre par certains inconvénients graves. L’usage de ce
vêtement implique en effet un réglage méticuleux de la distri-
bution d’électricité. Il ne s’agit pas de blaguer avec les volts et
les ampères quand il y a un bonhomme à l’autre bout du fil !
Qu’on ait chez soi une lampe brûlée par une subite et passagère
augmentation de courant, c’est un petit malheur, mais brûler
froidement, s’il l’on peut dire, ses sentinelles à distance, dans
leur poste d’écoute, est d’une autre importance.
Il faut compter aussi avec la malveillance ; on voit très bien
un de ces courageux poilus français ayant éventé le truc, et se
traînant au péril de sa vie, histoire de faire une bonne farce,
pour brancher sur le fil réglementaire celui de ses énormes
accumulateurs, et arrivant à faire frire là-bas dans sa veste spé
ciale le Boche électrocuté !
Lt puis autre chose. En cas d’attaque subite et imprévue, la
sentinelle aurait-elle la possibilité de se débarrasser instantané-
ment du fil, pour se « cavaler »? L’autorité boche fournira le
paletot et la laisse, mais qu’arrivera-t-il si nous fournissons la
pile? N’y a-t-il pas à craindre qu’ayant saisi le bout de la ficelle
électrique, et tirant dessus prestement, les adversaires n’amè-
nent à eux la sentinelle, comme on amène un goujon à la ligne,
ou comme on amène une araignée en tirant la soie... à soi?
Il faut croire que l’étude des moyens mécaniques de chauffage
pour les soldats est à l’ordre du jour, car un journal italien
annonce également que les sentinelles italiennes vont recevoir
des souliers spéciaux dans lesquels est disposé un appareil pro-
duisant de la chaleur.
S’agit-il de semelles à circulation d’eau chaude, de semelles
réceptrices de briquettes, ou encore de semelles devant recevoir
Dessins de L. Métivet.
aussi par un fil des effluves électriques comme les fers à friser
et les fers à repasser perfectionnés? Si c’est de ce dernier
système qu’il s’agit nous persistons dans notre appréhension en
songeant que les soldats ayant, au sens littéral du mot, un fil à la
patte, et même aux deux pattes, pourront être surpris par l’en-
nemi et emmenés à l’arrière par une ou par deux pattes, comme
on emmène au marchés certains petits animaux roses que vous
savez.
*
* *
Pas grand’chose de nouveau dans la vie parisienne. Les
théâtres s’évertuent à attirer l’élément du public que la contem-
plation des spectacles réels, effrayants ou sublimes, du front n’a
pas dégoûté des spectacles conventionnels de l’arrière. Mais les
becs de gaz sont rares, les taxi-autos également, et il faut à
présent pour aller au théâtre avoir des yeux de lynx et des
jambes de Basque. Ces conditions ne facilitent pas un commerce
qui est déjà ingrat et aléatoire dans les conditions les plus favo-
rables du temps de paix.
Malgré tout, les théâtres de musique font florès. L’Opéra-
comique refuse du monde. La musique qui adoucissait les
mœurs avant le mois d’août 1914, adoucit un peu, maintenant,
l’angoisse et l’anxiété. On ne paraît pas être las encore des
revues. Les spécialistes de l’ironie continuent à en moudre
avec la même ardeur que les spécialistes métallurgistes mettent
à confectionner des munitions.
Cependant le Gouvernement vient de faire quelque chose pour
l’art dramatique : il a autorisé les permissionnaires à aller au
théâtre. Il les obligeait auparavant à être rentrés chez eux à huit
heures et demie sous peine de punitions. C’était peut-être très bien
pour aider à la repopulation, mais cela n’aidait pas à combattre
les névroses. Et c’était si absurde et si injuste que les directeurs
s’apprêtaient, dit-on, à user du subterfuge suivant : les soldats
permissionnaires seraient rentrés en effet à huit heures et demie,
mais dans les théâtres, et ils n’en seraient plus sortis que le
lendemain, des dortoirs ayant été aménagés dans tous les foyers!
L’ordonnance du général Galliéni arrange tout, et supprime à
propos les frais énormes de literie dont les directeurs de théâtres
allaient encore grever leurs budgets ! Le Guetteur.
il faut avouer que c’est assez bien trovato, comme dirait évi-
demment d’Annunzio. L’invention consiste en vêtements tissés
en fils conducteurs ; le factionnaire enfile le vêtement en arri-
vant à son poste et, saisissant l'extrémité anti-platonique de la
prise du courant, semblable à celle qui sert pour les lampes
électriques, se l’introduit quelque part... Il faut bien employer
ce mot vague de « quelque part », les Dernières nouvelles de
Leipzig ne spécifiant pas l’endroit qui reçoit le contact. Aussitôt
établi le courant, une douce chaleur se répand dans le vêtement
complet dont bénéficie incontinent le Boche, méritant plus que
jamais la dénomination de « fourneau ».
Au premier abord 1 idée est séduisante ; on pense que ce doit
être le rêve de se fourrer dans ce vêtement fourré lui-même
d’électricité; et puis à la réflexion on se demande si cette con-
fection n’offre par certains inconvénients graves. L’usage de ce
vêtement implique en effet un réglage méticuleux de la distri-
bution d’électricité. Il ne s’agit pas de blaguer avec les volts et
les ampères quand il y a un bonhomme à l’autre bout du fil !
Qu’on ait chez soi une lampe brûlée par une subite et passagère
augmentation de courant, c’est un petit malheur, mais brûler
froidement, s’il l’on peut dire, ses sentinelles à distance, dans
leur poste d’écoute, est d’une autre importance.
Il faut compter aussi avec la malveillance ; on voit très bien
un de ces courageux poilus français ayant éventé le truc, et se
traînant au péril de sa vie, histoire de faire une bonne farce,
pour brancher sur le fil réglementaire celui de ses énormes
accumulateurs, et arrivant à faire frire là-bas dans sa veste spé
ciale le Boche électrocuté !
Lt puis autre chose. En cas d’attaque subite et imprévue, la
sentinelle aurait-elle la possibilité de se débarrasser instantané-
ment du fil, pour se « cavaler »? L’autorité boche fournira le
paletot et la laisse, mais qu’arrivera-t-il si nous fournissons la
pile? N’y a-t-il pas à craindre qu’ayant saisi le bout de la ficelle
électrique, et tirant dessus prestement, les adversaires n’amè-
nent à eux la sentinelle, comme on amène un goujon à la ligne,
ou comme on amène une araignée en tirant la soie... à soi?
Il faut croire que l’étude des moyens mécaniques de chauffage
pour les soldats est à l’ordre du jour, car un journal italien
annonce également que les sentinelles italiennes vont recevoir
des souliers spéciaux dans lesquels est disposé un appareil pro-
duisant de la chaleur.
S’agit-il de semelles à circulation d’eau chaude, de semelles
réceptrices de briquettes, ou encore de semelles devant recevoir
Dessins de L. Métivet.
aussi par un fil des effluves électriques comme les fers à friser
et les fers à repasser perfectionnés? Si c’est de ce dernier
système qu’il s’agit nous persistons dans notre appréhension en
songeant que les soldats ayant, au sens littéral du mot, un fil à la
patte, et même aux deux pattes, pourront être surpris par l’en-
nemi et emmenés à l’arrière par une ou par deux pattes, comme
on emmène au marchés certains petits animaux roses que vous
savez.
*
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Pas grand’chose de nouveau dans la vie parisienne. Les
théâtres s’évertuent à attirer l’élément du public que la contem-
plation des spectacles réels, effrayants ou sublimes, du front n’a
pas dégoûté des spectacles conventionnels de l’arrière. Mais les
becs de gaz sont rares, les taxi-autos également, et il faut à
présent pour aller au théâtre avoir des yeux de lynx et des
jambes de Basque. Ces conditions ne facilitent pas un commerce
qui est déjà ingrat et aléatoire dans les conditions les plus favo-
rables du temps de paix.
Malgré tout, les théâtres de musique font florès. L’Opéra-
comique refuse du monde. La musique qui adoucissait les
mœurs avant le mois d’août 1914, adoucit un peu, maintenant,
l’angoisse et l’anxiété. On ne paraît pas être las encore des
revues. Les spécialistes de l’ironie continuent à en moudre
avec la même ardeur que les spécialistes métallurgistes mettent
à confectionner des munitions.
Cependant le Gouvernement vient de faire quelque chose pour
l’art dramatique : il a autorisé les permissionnaires à aller au
théâtre. Il les obligeait auparavant à être rentrés chez eux à huit
heures et demie sous peine de punitions. C’était peut-être très bien
pour aider à la repopulation, mais cela n’aidait pas à combattre
les névroses. Et c’était si absurde et si injuste que les directeurs
s’apprêtaient, dit-on, à user du subterfuge suivant : les soldats
permissionnaires seraient rentrés en effet à huit heures et demie,
mais dans les théâtres, et ils n’en seraient plus sortis que le
lendemain, des dortoirs ayant été aménagés dans tous les foyers!
L’ordonnance du général Galliéni arrange tout, et supprime à
propos les frais énormes de literie dont les directeurs de théâtres
allaient encore grever leurs budgets ! Le Guetteur.