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Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire — 1915 (Nr. 7-58)

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https://doi.org/10.11588/diglit.25444#0604
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LE RIRE DE LA SEMAINE

Il y a des gens qui s’indignent de voir les thés-papoteurs con-
tinuer à faire florès. Pourquoi? bu moment qu’elles s’y compor-
tent honnêtement, qu'elles n'y dansent pas le tango et n’y pous-
sent pas des cris de volailles, il n'v a pas de raison pour que les
Madames les plus sincèrement affectees par les angoisses natio-
nales n’y aillent pas déguster leur eau chaude.

Je préféré même les Madames qui ont le courage de leur
sympathie pour le thé-papoteur, et qui affichent publiquement
cette sympathie avec tous les signes extérieurs de la reserve et
de la decence, à celles qui, enfermees chez elles, y donnent
hypocritement des thés de petites folles, à portée d’un piano sur
lequel on égréne, entre temps, des valses bochoises!

11 ne me deplait pas de voir se presser autour de tables char-
gées de tous les petits chichis ménagers en nickel que vous savez,
beaucoup de perruches sémillantes, dont le mécanisme est
remonte pour fournir vingt mots à la seconde. Ces perruches
accom (dissent un devoir patriotique en venant échanger en public
des absences d’idees. Le mot d'ordre n’est-il pas de tenir? Il faut
que les civils tiennent; les ciodes aussi, naturellement; on
tiendra donc, mais les conditions pour tenir sont moins favo-
rables chez soi; on y est trop en tête â tête (?) avec des pensces
troublantes, trop seule avec le communiqué vague et monotone,
répétant 1 annonce du « duel d’artillerie ». On ne peut pas avoir
toujours du monde chez soi, et la solitude est mauvaise conseil-
lère. Elle incite à se demander trop souvent pourquoi les Russes
ne sont pas déjà à Sofia, les Grecs à Constantinople, les Italiens
à Budapest, et les Américains dans toutes ces villes à la fois.

Au thé, on est distrait; et puis on est en représentation; on se
sait écouté, peut-être épié... Mefiez-vous! Taisez-vous! les
oreilles amies vous écoutent! On est obligé de s’observer, de
ne pas se décourager, de tourner six fois dans son esprit et dans
sa bouche, de peur du ridicule, les conceptions stratégiques et
diplomatiques bien personnelles que l’on bâcle dans l’intimité.
On est forcé de verser dans l’optimisme quand même Bref, au
thé, on tient : c’est le dernier blockhaus de la résistance féminine !

Sans compter qu’il faut que les espions aux aguets puissent
répéter, dans leurs rapports, qu’il n’y a rien de changé dans la
vie parisienne, de cinq à sept: qu’il n’y a que des sandwiches de

plus, et que les petits gâteaux qui se font avec du lait, des œufs
et de la fleur de farine, sont chez nous en abondance.

Ce que nous exigeons seulement, c’est que les petites perruches,
en meme temps qu elles mettent une sourdine a leur ramage,
s'astreignent a temperer l’éclat de leur plumage. Il est juste de
dire qu'à cet égard un rappel aux convenances est à peu près
inutile. On aperçoit bien, de loin en loin, une inconsciente habillée
comme jadis les singes sur les orgues de Barbarie, mais c’est
assez exceptionnellement. Les « petites femmes » ont compris
que tout le monde est en ce moment un peu en deuil, et elles
s’en tiennent à la coquetterie dans le sombre et dans le discret.

Oh! évidemment elles s'habillent tout de même un peu genti-
ment. b’abord parce qu’il ne faut pas avoir l’air trop « puree »,
même en temps de guerre, et que c’est leur façon de <• crâner »
vis-â-vis des dames boches. Ensuite parce qu’il faut bien faire
marcher les affaires, et donner du travail à Mimi Pinson qui ne
peut pas tout de même ne confectionner que des cocardes... Mais
on a du tact. On s'en tient aux couleurs foncées, laissant le bleu
vif, le blanc et le rouge ardent aux artistes qui chantent la Mar-
seillaise a la fin des fêtes de bienfaisance.

Même sagesse pour les chapeaux. On porte des chapeaux très
simples, des bibis de guerre... Ils vous ont tout de même un chic
énorme, et c’est bien amusant et bien flatteur de penser que c’est
surtout â cause de la façon dont on les porte, machere! La belle
malice d’avoir l’air chic avec des cascades de plumes et des
cataractes de paradis! Ce qui est « épatant » c’est de se coller
sur le coin du sourcil un petit couvercle en taffetas ou en
velours, chiffonné à la va-comme-je-te-frippe, un rien du tout
avec encore moins dessus, dont le « coiffant » seyant vous donne
un petit air émoustillant qui fait retourner tous les hommes.

C’est la guerre, donc pas de plumets insolents ni d’aigrettes
onéreuses. Des calottes simples, transpositions du casque des
tranchées, si magnifiquement sobre de forme et d’ornements...
Et puis, pan 1 Sur l'œil!... Avec une gentille frimousse dessous,
c’est tout de même de quoi damner un saint — ou un permis-
sionnaire I

Mais, direz-vous, que pensent les modistes de cette sagesse et
de ces principes d’économie ? Les modistes ? ün les a mises au
pas, car la guerre a créé un curieux état de choses tout nouveau,
même dans le monde où l’on coiffe hors de prix. Les modistes
qui en temps de paix donnent le mouvement, sont bien obligées
 
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