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Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire — 1915 (Nr. 7-58)

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https://doi.org/10.11588/diglit.25444#0605
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en temps de guerre de le suivre. Et cela pour deux raisons : la
première, c’est que les budgets somptuaires de ces dames ayant
en général subi le contre-coup du chambardement général, il
faut bien baisser ses prétentions dans un rapport mathématique
constant. La seconde, c’est que les modistes ne sont pas sous-
traites au devoir patriotique qui oblige toutes les femmes à
observer une réserve décente dans la couleur des garnitures et à
s'abstenir des panaches échevelés à cent francs le brin 1

D’autant plus, dirait un gendarme du vieux répertoire, que l’on
sait bien que tout cela c’est momentanément transitoire. Per-
sonne ne doute de la victoire finale dont la conséquence immé-
diate sera la reprise intensive des affaires, de toutes les affaires,
y compris celles de la coquetterie.

La moitié du monde peut être à feu et à sang, les empires, les
royaumes et les républiques peuvent se colleter, les peuples
se heurter dans des assauts sans précédents historiques, cela
n’empêche pas la coquetterie féminine, aussi vieille que la
cruauté masculine, de demeurer au fond des cerveaux comme
l’espérance au fond de la boîte de Pandore. Elle y demeure
latente et dans l’attente. Les circonstances exceptionnelles l’ont
mise en bouteille, mais elle y fermente, et au lendemain de la
victoire vous verrez comment sautera le bouchon !

La coquetterie des femmes fait partie intégrale de la « joie de
vivre ». Cette joie de vivre, après tant de deuils et de malheurs,
hélas ! se manifestera fatalement, mécaniquement, irrésistible-
ment, parce qu’elle est une loi imprescriptible de la nature, et
les chapeaux de luxe repousseront sur les têtes avec la même
furia que mettront les arbustes, les fleurs et les gazons à
repousser sur les tranchées désolées et dans les forêts boule-
versées !

*

* *

Les seuls individus qui profitent agréablement de l’état de
sommeil dans lequel est plongé obligatoirement le commerce des
coiffures ruineuses, ce sont les oiseaux dispensateurs de plumes
exceptionnelles. Ils sont, avec les nombreux fournisseurs pour
l'armée qui s’enrichissent, les seuls qui pensent qu’à quelque
chose malheur est bon.

C’est la paix qui, pour ces oiseaux-là — je ne parle pas des
fournisseurs pour l’armée, mais des fournisseurs pour la mode —
c’est la paix, dis-je, qui était l’état de guerre. Sous Napoléon III,
on répétait volontiers : « L’Empire c’est la paix ; » pour les
oiseaux en question, la paix c’est l’an pire.

Depuis que la guerre est déchaînée, les volatiles qui ont le pri-

LES CINQ CENTS LOCOMOTIVES DE MÈZIDON
— Pas étonnant qu on soit embusquées, avec deux pistons chacune.

RETOUR DD FRONT

— Petite marmite : trois francs... C’est plus cher que les grosses!

Dessins de L. Métivit.

vilège dangereux de porter à leurs ailes ou à leur croupion les
ornements dont les chapeaux sont, si j’ose dire, friands, les vola-
tiles soufflent un peu. La persécution s’est, ralentie. Une accalmie
s’est produite dans le massacre des innocents lophophores et
dans la Saint-Barthélemy des « paradis ». Les hideux et cocasses
marabouts reprennent non du poil de la bête, mais de la plume.
Ils recommencent à friser. Les autruches n’ont plus autant
d’occasions de se cacher la tête pour ne pas voir arriver l’arra-
cheur de plumes. Tous, profitant des trésors naturels que le ciel
leur dispensa, peuvent enfin aller dans le monde pour leur
compte. Et si la pintade de Chantecler reprenait son jour en ce
moment, elle verrait arriver une société plus pennifère, coque-
plumette, huppée, plumassiére, empennée, plumicole, hérissée
et rémigée que jamais!

Mais que les pauvres becquants ne s’imaginent pas que l’âge
d’or est revenu, et que la seule mue les privera dorénavant de
leurs précieux petits tuyaux à barbe, multicolores et multi-
formes, à couteau ou à spirale, rigides ou paraboliques. Hélas !
c’est reculer pour mieux arracher! Au lendemain de la victoire,
quelle ruée sur les ailes et sur les croupions 1

*

* *

Il convient d’accorder une pensée très légèrement émue à
d’autres animaux bien éprouvés. Il s’agit des fauves des ménage-
ries ou des zoologisch-garten de l’empire allemand, dont le gou-
vernement vient d’ordonner la mise à mort. Les fauves sont, par
excellence, les « gueules » inutiles, et comme ces gueules lont
tort aux simples bouches boches à cause de la pénurie de
viande, on les ferme...

i Sans doute, les Allemands auraient-ils préféré relâcher les
bêtes féroces sinon en Belgique, du moins dans les déserts dont
elles sont originaires, mais il faudrait pouvoir y arriver, et 1 on
sait que les p’tits bateaux boches, qui vont sur l’eau, ont perdu
leurs jambes depuis le commencement des hostilités. Ce sont les
Anglais qui les leur ont coupées.

On se contentera donc, en Bochie, d’abattre les grands man-
geurs de viande pour les dévorer eux-mêmes. Et puis 1 on
vendra où et à qui l’on pourra, la peau du lion, du tigre et du
léopard, réservant la peau de l’ours... pour les neutres I

Le Guetteur.
 
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