LA QUERRE BT LES MOUTARDS
— Ben quoi? On fait pas d'mal: on passe la révision.
Dessin de Rob. Duhamel.
FLAGRANT DÉLIT
Ils s’étaient arrêtés place de l’Opéra devant l’entrée du métro-
politain. Il lui tenait les mains depuis un instant, il les serrait
entre les siennes, il la regardait longuement pour la pénétrer de
son désir. Il murmura enfin : « Lucie, promets-moi de venir ce
soir. » Elle baissa les yeux. Ses longs cils étaient si fins qu’ils se
confondirent avec la soie légère de sa voilette. Elle répondit :
« Je te le promets. » René lui lâcha les poignets. Il descendit
rapidement les marches sans se retourner, la porte se ferma sur
lui... Il n’était plus là. Lucie resta une seconde immobile, comme
étourdie. Pourquoi avait-elle accepté? Depuis plusieurs semaines
le jeune homme la pressait de venir le retrouver un soir pour
passer auprès de lui toute la nuit. Jusqu’alors elle l’avait repoussé
par crainte que son mari, mobilisé dans la banlieue, n’apprit
quelque chose, ou qu’il ne revînt subitement... Et maintenant
elle venait de dire oui presque sans le vouloir. René 1 avait
désarmée par son calme et sa gaîté : « Ton mari est embusqué,
plaisantait-il, ce sera son châtiment. » Elle avait souri et elle
n’avait pas eu la force de refuser.
LA MISSION FORD EN EUROPE
Elle songeait avec étonnement à leur aventure; elle songeait à
lui, à elle-même. Elle l’avait connu à l’hôpital de la Pitié où elle
était « dame de la Croix-Rouge ». Il était interne. Il avait vingt-
trois ans, il avait cet esprit un peu blasé, un peu sceptique par
mode qu’ont tous les carabins. Il lui avait fait la cour et elle ne
l’avait pas découragé, par habitude.
D’abord, ce fut un flirt, puis une passionnette, puis un véritable
amour. Insensiblement, elle s’était brûlé les ailes, ses blanches
ailes d’infirmière... Et ce soir, elle s’était engagée à le retrouver
dans un hôtel du quartier latin où il avait loué un petit apparte-
ment... Un frisson qui la parcourut toute lui fit renverser la tête.
Il faisait froid. Elle serra l’une contre l’autre ses mains dans son
manchon pour les réchauffer à leur chaleur mutuelle, comme
elle prendrait ses mains à lui, avant leur étreinte, pour qu’elles
soient plus tièdes tout le long de son corps...
Quand elle arriva, tremblante, glacée, René l’attendait. Tout
LA NOUVELLE RÉGLEMENTATION
— Dans l’alcool ! Mais cet enfant a moins de seize ans.
Dessin de H. Armengol.
de suite, ils se blottirent sous les draps pour avoir chaud. Quand
il crut l’avoir grisée, il chuchota : « Veux-tu que j’éteigne? »
Mais elle fut prise d’une crainte qui lui fit claquer les dents.
Elle le supplia : « Non, laisse allumé. J’ai besoin de te voir; j’ai
peur, j’ai besoin de te voir contre moi ! » Il lui ferma les lèvres
d’un baiser, et déjà il la prenait dans ses bras... Quand trois
coups violemment frappés à la porte les firent sursauter. Elle
devint plus blanche que les draps où elle reposait. Elle prononça
dans un souffle : « Ne réponds pas ! » On frappa encore. « René,
mon chéri... » bégaya-t-elle. Il se fit un silence écrasant. Puis on
cogna pour la troisième fois et une grosse voix s’écria de l’autre
côté de la porte : « Au nom de la loi, dites-moi votre nom ! »
Lucie crispa ses doigts contre la poitrine de son amant. « Nous
sommes perdus, murmura-t-elle, mon mari sait tout! Mais, je
t’en supplie, ne dis pas ton nom. Je ne veux pas qu’on te fasse
du mal. » René sauta du lit : « Attendez-moi dans le bureau de
l’hôtel, je viens, » dit-il.
La voix répondit seulement : « C’est bien. » Un pas lourd des-
cendit l’escalier... Lucie, la tête dans ses mains, pleurait, san-
— Ben quoi? On fait pas d'mal: on passe la révision.
Dessin de Rob. Duhamel.
FLAGRANT DÉLIT
Ils s’étaient arrêtés place de l’Opéra devant l’entrée du métro-
politain. Il lui tenait les mains depuis un instant, il les serrait
entre les siennes, il la regardait longuement pour la pénétrer de
son désir. Il murmura enfin : « Lucie, promets-moi de venir ce
soir. » Elle baissa les yeux. Ses longs cils étaient si fins qu’ils se
confondirent avec la soie légère de sa voilette. Elle répondit :
« Je te le promets. » René lui lâcha les poignets. Il descendit
rapidement les marches sans se retourner, la porte se ferma sur
lui... Il n’était plus là. Lucie resta une seconde immobile, comme
étourdie. Pourquoi avait-elle accepté? Depuis plusieurs semaines
le jeune homme la pressait de venir le retrouver un soir pour
passer auprès de lui toute la nuit. Jusqu’alors elle l’avait repoussé
par crainte que son mari, mobilisé dans la banlieue, n’apprit
quelque chose, ou qu’il ne revînt subitement... Et maintenant
elle venait de dire oui presque sans le vouloir. René 1 avait
désarmée par son calme et sa gaîté : « Ton mari est embusqué,
plaisantait-il, ce sera son châtiment. » Elle avait souri et elle
n’avait pas eu la force de refuser.
LA MISSION FORD EN EUROPE
Elle songeait avec étonnement à leur aventure; elle songeait à
lui, à elle-même. Elle l’avait connu à l’hôpital de la Pitié où elle
était « dame de la Croix-Rouge ». Il était interne. Il avait vingt-
trois ans, il avait cet esprit un peu blasé, un peu sceptique par
mode qu’ont tous les carabins. Il lui avait fait la cour et elle ne
l’avait pas découragé, par habitude.
D’abord, ce fut un flirt, puis une passionnette, puis un véritable
amour. Insensiblement, elle s’était brûlé les ailes, ses blanches
ailes d’infirmière... Et ce soir, elle s’était engagée à le retrouver
dans un hôtel du quartier latin où il avait loué un petit apparte-
ment... Un frisson qui la parcourut toute lui fit renverser la tête.
Il faisait froid. Elle serra l’une contre l’autre ses mains dans son
manchon pour les réchauffer à leur chaleur mutuelle, comme
elle prendrait ses mains à lui, avant leur étreinte, pour qu’elles
soient plus tièdes tout le long de son corps...
Quand elle arriva, tremblante, glacée, René l’attendait. Tout
LA NOUVELLE RÉGLEMENTATION
— Dans l’alcool ! Mais cet enfant a moins de seize ans.
Dessin de H. Armengol.
de suite, ils se blottirent sous les draps pour avoir chaud. Quand
il crut l’avoir grisée, il chuchota : « Veux-tu que j’éteigne? »
Mais elle fut prise d’une crainte qui lui fit claquer les dents.
Elle le supplia : « Non, laisse allumé. J’ai besoin de te voir; j’ai
peur, j’ai besoin de te voir contre moi ! » Il lui ferma les lèvres
d’un baiser, et déjà il la prenait dans ses bras... Quand trois
coups violemment frappés à la porte les firent sursauter. Elle
devint plus blanche que les draps où elle reposait. Elle prononça
dans un souffle : « Ne réponds pas ! » On frappa encore. « René,
mon chéri... » bégaya-t-elle. Il se fit un silence écrasant. Puis on
cogna pour la troisième fois et une grosse voix s’écria de l’autre
côté de la porte : « Au nom de la loi, dites-moi votre nom ! »
Lucie crispa ses doigts contre la poitrine de son amant. « Nous
sommes perdus, murmura-t-elle, mon mari sait tout! Mais, je
t’en supplie, ne dis pas ton nom. Je ne veux pas qu’on te fasse
du mal. » René sauta du lit : « Attendez-moi dans le bureau de
l’hôtel, je viens, » dit-il.
La voix répondit seulement : « C’est bien. » Un pas lourd des-
cendit l’escalier... Lucie, la tête dans ses mains, pleurait, san-