Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire (1916 (Nr. 59-111))

ceci est l’exacte copie de l’exclamation napoléonienne, et que
depuis qu’elle a été proférée un peu plus d’un siècle s’est écoulé!
11 faudrait donc, pour rester dans la vérité mathématique, que
Votre Majesté daignât dire : « Soldats! du haut de ces pyra-
« mides quarante-et-un siècles vous contemplent! »

On discuta. Les uns se déclarèrent partisans de la précision
mathématique; les autres se firent les défenseurs de l’euphonie :
« quarante » était plus bref, plus précis, plus sonore, que « qua-
rante-et-un »...

Pendant ce temps, Guillaume II réfléchissait... Tout à coup, il
fit signe qu’il allait parler, et chacun se tut instantanément,
attendant la décision de l’oracle :

« Napoléon, dit-il, n’avait que quarante siècles, moi j’en ai
quarante-et-un... J’ai donc enfin quelque chose de plus que lui!...
Comme çanese saura jamais assez, je diraidonc « quarante-et-un »,
et même, pour bien affirmer ma supériorité sur ce conquérant
surfait et défait, je dirai— puisque sa campagne eut lieu en 1798
— ; Soldats! du haut de ces pyramides, quarante-et-un siècles et

dix-sept ans vous contemplent! ! ! »

*

* *

Pour faire contraste, si nous parlions un peu petites femmes
et petits chichis de la mode?

Vous souvenez-vous encore des coiffures féminines d’avant-
guerre? Les modistes semblaient atteintes d’une sorte de
démence en ce qui regardait les garnitures emplumées, démence
qu’elles avaient communiquée à leurs bénévoles clientes, car la
folie dans le domaine de la mode est essentiellement contagieuse'-
La plume est au chapeau ce que la broderie est à la robe.
C'est l’accessoire qui permet d’enfler le prix jusqu’à la suffocation
de la cliente et jusqu’à la congestion cérébrale du mari lors de
la réception de la facture. C’est la plume et c’est la broderie qui
font perdre à l’acheteuse la notion du prix normal d’un chapeau
ou d’une robe. Que répondre, en effet, à une première qui vous
dit en vous présentant une étoffe richement brodée, laquelle vau-
drait dix louis si elle était tout unie : « La seule broderie nous
revient à nous à quatre cents francs, tant à cause des journées
d’ouvrières de choix qu’à cause de la qualité exceptionnelle de
la soie et du jais... Deux cents et quatre cents font six cents...
nous ne pouvons pas vous la donner (remarquez ce verbe!) pour
moins de douze cents... et encore parce que c’est vous! »

Vous achetez ou vous n’achetez pas, Madame, mais vous ne

des hommes de paille ?

pouvez guère discuter... Que paye-t-on des ouvrières assez
artistes pour... ? Combien d’heures ont-elles dû passer sur cet
ouvrage, et combien d’écheveaux de soie ont-elles dû employer?

Depuis la guerre tout a changé. La suppression des broderies
somptueuses et des grandes-eaux en plumes a ramené les robes
et les chapeaux à des prix normaux en faisant disparaître des
comptes d’habilleuses et de chapoteuses tout ce qui permettait
d’en faire des comptes d’apothicaires! Les fournitures acces-
soires issues des vers à soie et des becquants de luxe sont les
choses sans lesquelles robes et chapeaux ne sont que ce qu’ils
sont, c’est-à-dire, la plupart du temps, un peu d’étoffe ou de feu-
tre avec rien du tout autour !

Mais si les bêtes à cocons et les porte-plumes fashionables
s'offrent depuis les hostilités du bon temps, on ne peut pas en
dire autant des porte-poils vestimentaires! Il suffit de faire au
hasard une promenade dans Paris pour être stupéfait du nom-
bre de boutiques où l’on vend de la fourrure! Tout magasin à
louer, toute boutique sous séquestre, tout local neuf à peine
débarrassé des maçons et attendant un « agencement » définitif,
tout rez-de-chaussée d’immeuble en instance de démolition, voient
immanquablement s’installer dans leurs cloisons un marchand de
pelleterie qui sème sur sa marchandise étalée des pancartes
ornées de prix défiant toute concurrence ; et Dieu sait pourtant
s’il y en a, de la concurrence, dans la fausse loutre et le pseudo-
renard bleu !

D’où sortent tous ces marchands, et d’où sortent-ils eux-mê-
mes toute cette marchandise? Signale-t-on quelque part une
pluie de putois, comparable aux pluies de grenouilles ? Y a t-il
eu des passages de martres, de zibelines, de skungs, d’opossums,
analogues aux passages annuels de grives et d’étourneaux? Et
n’a-t-on eu qu’à se baisser pour en prendre ? Il y a là un mys-
tère à la fois zoologique et commercial qui mériterait d’être
éclairci pour pas mal de raisons. Ah ! les fourreurs peuvent se
vanter d’être pourvus de munitions!... Reste à savoir si toutes
les munitions sans exception sont orthodoxes, neutres pour le
moins, et si toutes les hermines peuvent montrer patte blanche!
Cela n’est pas notre affaire ; il y a des spécialistes appointés dont
c’est la fonction de se livrer à ces sortes d’enquêtes; c’est à eux
de fourrer leur nez dans les fourrures, d’être plus malins que les
peaux de renards et, s’il y a lieu, plus féroces que les peaux de
tigres! Le Guetteur.