LE BON JOURNAL
L’ARRESTATION DE Mme VANDANLÈVOILH
Mme Sophie Yandanlèvoilh était la meilleure des femmes, mais
elle possédait ce tempérament irascible, propre à toute Belge
digne de ce nom. En outre, bonne patriote et furieusement anti-
boche dès avant la guerre, elle ne décolérait plus, depuis l’occu-
pation de son pays par les bandes de von Bissing. Elle avait
même, à ce propos, une franchise souvent intempestive et ne se
gênait pas pour exprimer publiquement ses opinions. Elle y allait
bon jeu bon argent, et quand on lui conseillait quelque pru-
dence :
— C’est bisquant ! Je dis tout droit dehors ce que je pense,
déclarait-elle avec cet accent qui fit chez nous le succès des
joyeux Beulemans.
LES PERMISSIONS DU FRONT
— Hé bien ! quoi de nouveau sur le front?
— J’allais vous le demander.
Dessin exécuté sur le Iront par G. Pavis.
Un jour, donc, Sophie Vandanlèvoilh, en tramway, regardait
autour d’elle de cet air rogue qu’elle avait adopté depuis qu’elle
se trouvait exposée à coudoyer chaque jour les sujets du kaiser,
quand, par une fenêtre ouverte, elle aperçut une voiture où
s’entassaient pêle-mêle ces animaux de charcuterie dont les Alle-
mands tirent le meilleur de leurs délicatesses.
— Alleïe, alleïe! s’écria-t-elle. Une famille boche! Ça ne sait
seulement pas aller à pied... Sauf le casque, des vrais museaux
de Guillaumes !
Des rires fusèrent, interrompus soudain par l’intervention
d’un voyageur qui, apostrophant Mme Vandanlèvoilh, lui enjoignit
de le suivre. L’accorte Sophie n’était pas patiente.
— Qu’as-tu à faire? dit-elle. Tu peux tirer avec ton air d’en
avoir plus que les autres !
— A la kommandatur ! trancha l’autre.
Mme Vandanlèvoilh comprit que c’était sérieux. Elle se maî-
trisa et, rongeant son frein, se soumit... L’opinion publique se
prononça :
— Ça est mauvais, savez-vous?
Et dans le tramway on se considéra avec méfiance.
On a beau être courageuse, il est des circonstances dans la vie
où l’on ne se sent pas à son aise. Sophie Vandanlèvoilh, tout
en suivant l’inconnu, songeait à son interrogatoire prochain.
Elle se voyait déjà accusée de haute trahison, condamnée à
LES MÉFAITS DE LA CONSCRIPTION
** El moi qui ne m’étais pas marié pour être tranquille !
Dessin de G. Hautot.
mort, et, son imagination aidant, les yeux bandés devant le
peloton d’exécution. Elle regrettait amèrement son imprudence
et aurait payé cher pour se tirer de ce mauvais pas. « S’il savait
seulement se laisser causer, songeait-elle. J’aurais dû voir qu’il
avait un œil sur moi. Quelle brisbouille ! » Mais l’air rébarbatif
de son compagnon n’engageait pas à la conversation. De fait,
malgré les avances de l’aimable Brabançonne, l’autre, le regard
distant, le visage dur, la bouche close, restait réfractaire à toute
faiblesse.
Brusquement, au coin d’une rue, l’inconnu s’arrêta. L’endroit
était désert. Il se retourna vers sa prisonnière et à brûle-corsage :
— Ça être drôle, savez-vous? fit-il d’un accent de terroir
dont il ne dissimulait plus l’origine. Es-tu folle de causer comme
dans le tramway ! Il y avait des espions plein. Si vous aviez su
continuer, tu étais seulement bouclée. Ça j'ai pas voulu, alors
j’ai fait avec...
Sophie Vandanlèvoilh restait médusée. Elle babutia :
— Quoi il y ar Vous dites seulement... Alors vous n’êtes pas
dans la police ?
— La police?... Alleïe. Je ne sympathise pas, sûr.
Sophie ne contint plus sa joie. Elle sauta au cou de l’inconnu.
Puis :
— Perèke ! Viens une fois voir dîner avec dans l’heure de
midi. Je dois t’introduire à Vandanlèvoilh. Et s’il n’est pas
content, le pauvre, je tire avec. Car tu es un brave homme, savez-
vous, et j’ai une boëntje sur toi... Tityrb.
L’ARRESTATION DE Mme VANDANLÈVOILH
Mme Sophie Yandanlèvoilh était la meilleure des femmes, mais
elle possédait ce tempérament irascible, propre à toute Belge
digne de ce nom. En outre, bonne patriote et furieusement anti-
boche dès avant la guerre, elle ne décolérait plus, depuis l’occu-
pation de son pays par les bandes de von Bissing. Elle avait
même, à ce propos, une franchise souvent intempestive et ne se
gênait pas pour exprimer publiquement ses opinions. Elle y allait
bon jeu bon argent, et quand on lui conseillait quelque pru-
dence :
— C’est bisquant ! Je dis tout droit dehors ce que je pense,
déclarait-elle avec cet accent qui fit chez nous le succès des
joyeux Beulemans.
LES PERMISSIONS DU FRONT
— Hé bien ! quoi de nouveau sur le front?
— J’allais vous le demander.
Dessin exécuté sur le Iront par G. Pavis.
Un jour, donc, Sophie Vandanlèvoilh, en tramway, regardait
autour d’elle de cet air rogue qu’elle avait adopté depuis qu’elle
se trouvait exposée à coudoyer chaque jour les sujets du kaiser,
quand, par une fenêtre ouverte, elle aperçut une voiture où
s’entassaient pêle-mêle ces animaux de charcuterie dont les Alle-
mands tirent le meilleur de leurs délicatesses.
— Alleïe, alleïe! s’écria-t-elle. Une famille boche! Ça ne sait
seulement pas aller à pied... Sauf le casque, des vrais museaux
de Guillaumes !
Des rires fusèrent, interrompus soudain par l’intervention
d’un voyageur qui, apostrophant Mme Vandanlèvoilh, lui enjoignit
de le suivre. L’accorte Sophie n’était pas patiente.
— Qu’as-tu à faire? dit-elle. Tu peux tirer avec ton air d’en
avoir plus que les autres !
— A la kommandatur ! trancha l’autre.
Mme Vandanlèvoilh comprit que c’était sérieux. Elle se maî-
trisa et, rongeant son frein, se soumit... L’opinion publique se
prononça :
— Ça est mauvais, savez-vous?
Et dans le tramway on se considéra avec méfiance.
On a beau être courageuse, il est des circonstances dans la vie
où l’on ne se sent pas à son aise. Sophie Vandanlèvoilh, tout
en suivant l’inconnu, songeait à son interrogatoire prochain.
Elle se voyait déjà accusée de haute trahison, condamnée à
LES MÉFAITS DE LA CONSCRIPTION
** El moi qui ne m’étais pas marié pour être tranquille !
Dessin de G. Hautot.
mort, et, son imagination aidant, les yeux bandés devant le
peloton d’exécution. Elle regrettait amèrement son imprudence
et aurait payé cher pour se tirer de ce mauvais pas. « S’il savait
seulement se laisser causer, songeait-elle. J’aurais dû voir qu’il
avait un œil sur moi. Quelle brisbouille ! » Mais l’air rébarbatif
de son compagnon n’engageait pas à la conversation. De fait,
malgré les avances de l’aimable Brabançonne, l’autre, le regard
distant, le visage dur, la bouche close, restait réfractaire à toute
faiblesse.
Brusquement, au coin d’une rue, l’inconnu s’arrêta. L’endroit
était désert. Il se retourna vers sa prisonnière et à brûle-corsage :
— Ça être drôle, savez-vous? fit-il d’un accent de terroir
dont il ne dissimulait plus l’origine. Es-tu folle de causer comme
dans le tramway ! Il y avait des espions plein. Si vous aviez su
continuer, tu étais seulement bouclée. Ça j'ai pas voulu, alors
j’ai fait avec...
Sophie Vandanlèvoilh restait médusée. Elle babutia :
— Quoi il y ar Vous dites seulement... Alors vous n’êtes pas
dans la police ?
— La police?... Alleïe. Je ne sympathise pas, sûr.
Sophie ne contint plus sa joie. Elle sauta au cou de l’inconnu.
Puis :
— Perèke ! Viens une fois voir dîner avec dans l’heure de
midi. Je dois t’introduire à Vandanlèvoilh. Et s’il n’est pas
content, le pauvre, je tire avec. Car tu es un brave homme, savez-
vous, et j’ai une boëntje sur toi... Tityrb.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1916
Entstehungsdatum (normiert)
1911 - 1921
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire rouge, 1916, No. 63 (29 Janvier 1916), S. 8
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg