Le rire rouge: édition de guerre du journal le rire (1916 (Nr. 59-111))

LE MARK BAISSE d’hEURK EN HEURE

— Écoutez, je n'ai pas la monnaie de votre billet de cent mark, mais si vous voulez attendre un peu,
il ne va pas tarder à baisser jusqu’au prix de vos deux consommations... Dessin de L. Kerw.

J’AVAIS UNE MARRAINE

chanson avec chœur (Air : Malbrough.)

LE POILU.

J’avais une marraine...

LE CHŒUR. 1

Nom de D..., mon cochon, t’as d’là veine.

LE POILU.

J’avais une marraine
Que mon coeur adorait.

Point ne la connaissais;

Mais qu’est-c’ qu’ell’ m’écrivait! ! !

LE POILU.

Des lettres si pressantes...

LE CHŒUR.

Nom de D..., mon salaud, tu te vantes.

LE POILU.

Et tell’ment éloquentes
Que j’m’étais persuadé
Qu'avec une tell’ beauté
On d'vait pas s’embêter.

LE POILU.

Là-d’ssus, ma têt’ se monte...

LE POILU.

J’arriv’ l’œil plein de flammes.

LK CHŒUR.

Attention, mon salaud, y a des dames!

LE CHŒUR.

Que son cœur, que son cœur a de peine !

LE POILU.

C’était un’ vieill’ baleine

Qui pesait certain’ment

Au moins dans les trois cents...

EU’ m'dit en minaudant :

LE POILU.

Beau page ! Mon beau page !...

LE CHŒUR.

C’est flatteur pour un homm’ de ton âge.

LE POILU.

La fatigu’ du voyage
Doit vous briser les os.

Entre, mon p’tit coco.

Te r’poser su’ l’dodo...

LE POILU.

Je m’dis : « L’diable l’emporte...

LE CHŒUR.

C’est bien fait pour un cochon d’ta sorte...

LE POILU.

Elle a r’fermé la porte,

Ça y est : je suis foutu.

Heùreus’ment là-dessus
Une idé’ m’est venu’.

LE POILU.

Je lui dis, d’un’ voix forte :

LE CHŒUR.

Dépêch’toi, l’émotion nous transporte !

LE CHŒUR.

Nom de D..., cochon! Tu n’as pas honte?

LE POILU.

Et d’un’ démarche prompte
J’cours auprès du colon
Qui m’donne un’ permission;

J’saute à Paris d’un bond.

LE POILU.

D’avanc’ mon cœur se pâme ;
Je sonne éperdument.

On vient ouvrir viv’ment ;

C’est l’instant, c’est l’moment!

le poilu, tristement.
Hélas! cette marraine...

L’Autriche manque de bretelles et de jarretelles.

(Les journaux.l

— Si j’avais su, j’aurais pas rendu à l’Angleterre sa jarretière.

Dessin de Ukhvé Bai un.

LE POILU.

Aux nouvell’s que j’apporte
Vos beaux yeux vont pleurer :

Celui qu’vous espérez
Est mort — et enterré^

LE POILU.

Je n’suis qu’son mandataire.

LE CHŒUR.

Ben, vrai! c’qu’elle a dû faire un’ téterrc!

LE POILU.

Mais faut qu’je m’fass’ la paire,

Ordre du colonel.

Voilà qu’l’heur’ de l’appel
Sonne à la tour Eiffel.

LE POILU.

J’ai filé vent arrière...

LE CHŒUR.

Ça, mon vieux, c’est un lapin d’première.

LE POILU.

Pendant qu’la vieill’ rombière
M’criait, l’air affolé :

Si vous vous en allez
Qu’est-c’ qui va m’consoler?

LE POILU.

Chez cett’ gueul’ de macaque...

LE CHŒUR.

Qu’çat’apprenn’, mon vieux,à fair’le Jacques!

LE POILU.

Je reviendrai-z-à Pâques
Ou à la Trinité.

le chœur, final.

Il a fort bien chanté,

Buvons à sa santé !

Dominique Bonnaud.