LE RIRE DE LA SEMAINE
J’ai lu aujourd’hui dix-sept journaux de grande, moyenne ou
petite information ; j’y ai trouvé, en tout, trente-quatre articles
sur ce thème : ,
— Assez de paroles, des actes !
J’ai relu, au Journal officiel (je suis, moi aussi, un héros) les
cent derniers discours de nos élus, — non compris les haran-
gues prononcées au cours des séances secrètes. J’y ai relevé
quatre cent vingt-neuf fois cette expression :
— Assez de paroles, des actes !
J’ai passé, hier, la soirée chez des amis, réunion organisée à
seule fin de se chauffer en petit comité. J’ai entendu soixante-
dix-huit fois cette expression articulée avec énergie :
— Assez de paroles, des actes !
Mon coiffeur, ma concierge, mes voisins, mes fournisseurs me
disent d’un air décidé :
— Assez de paroles, des actes!
Dans le métro, en tramway, au café, sous le tunnel des Bati-
gnolles, partout, chacun répète :
— Assez de paroles, des actes !
C’est le refrain national. Nous nous sommes mis tous en rond
pour le chanter... Et quand nous l’avons bien chanté, nous le
rechantons, comme la scie de l’éléphant.
Seulement, voilà, nous attendons toujours que ce soit le voi-
sin qui se lève en disant :
— Oui, assez de paroles : je vais agirl...
Agir, c’est-à-dire faire quelque chose d’utile, par exemple
tourner des obus, détrôner Constantin ou percer le front.
Mais le voisin ne se lève pas; il chante, comme vous, comme
moi, comme nous tous :
— Assez de paroles, des actes!
En Allemagne, c’est plutôt le contraire : ils sont las d’agir et
ils voudraient bien parler...
Et voyez comme c’est bizarre : eux, ils sont condamnés à l’ac-
tion sans répit ; et nous, nous sommes condamnés au bavardage
à perpète.
Quand je vous dis que nous n’arriverons jamais à nous enten-
dre avec ces gens-là !
* * * Allons bon, voilà que des patriotes, et non des moin-
dres, se montrent inquiets devant la mobilisation en masse des
femmes dans les usines.
Le professeur Pinard — c’est un nom populaire au front et
même à l’arrière — a fait, à l’Académie de médecine, une com-
munication que je pourrais résumer ainsi :
« Les femmes ont été inventées pour fabriquer des enfants et
non pas des munitions. C’est très joli de tourner un obus, mais
cela empêche de tourner un enfant... Il faut choisir entre l’usine
et la maternité I »
Très bien, mon cher Pinard; mais numérotons par ordre
d’imminence et de gravité, les deux dangers qui nous menacent :
Ie La dépopulation par la guerre qui tue les grands;
2° La dépopulation par la stérilité qui tue ou, ce qui revient
au même, empêche de naître les petits.
N’est-il pas plus urgent de mettre fin à la guerre, c’est-à-dire
de sauver des existences de papas possibles, que de préparer,
dès maintenant, d’intéressants loupiols ? D’ailleurs, pour faire
des enfants, les femmes ne suffisent pas... Et les hommes sont
au front. Or, on ne fait pas plus les enfants par le front que par
les oreilles (le professeur Pinard sait ça mieux que moin
Autrement dit, il faut se hâter de battre les Boches avant de
s’occuper — les poilus souhaitent aussi ce changement de tran-
chées — avant de s’occuper, dis-je, de repeupler.
Conclusion : il faut des obus, beaucoup d’obus, et la femme qui
les engendre est plus utile, à l’heure présente, que celle qui met
au monde des jumeaux en prévision de la grande guerre de 1935.
Parons au plus pressé, voulez-vous ?
# * * Cela n’empêche qu’un autre puériculteur demande pour
toutes les femmes enceintes une allocation de cinq francs par
jour.
La voilà bien, la position intéressante!
Il s’agit, en somme, de transformer chaque future maman en
fonctionnaire... Où le fonctionnarisme va-t-il se nicher? Si cette
idée se réalise jamais, le premier cri de bien des femmes, après
le geste auguste des aimeurs sera :
— Décidément, c’est bien vrai, pour obtenir une place du Gou-
vernement, il faut se remuer beaucoup !
Et voilà, du moins, une catégorie de fonctionnaires dont on ne
pourra pas dire qu’elle est composée de nullités : toutes auront
quelque chose dans le ventre!
J’imagine que l'Officiel publiera la liste de ces dames et même
J’ai lu aujourd’hui dix-sept journaux de grande, moyenne ou
petite information ; j’y ai trouvé, en tout, trente-quatre articles
sur ce thème : ,
— Assez de paroles, des actes !
J’ai relu, au Journal officiel (je suis, moi aussi, un héros) les
cent derniers discours de nos élus, — non compris les haran-
gues prononcées au cours des séances secrètes. J’y ai relevé
quatre cent vingt-neuf fois cette expression :
— Assez de paroles, des actes !
J’ai passé, hier, la soirée chez des amis, réunion organisée à
seule fin de se chauffer en petit comité. J’ai entendu soixante-
dix-huit fois cette expression articulée avec énergie :
— Assez de paroles, des actes !
Mon coiffeur, ma concierge, mes voisins, mes fournisseurs me
disent d’un air décidé :
— Assez de paroles, des actes!
Dans le métro, en tramway, au café, sous le tunnel des Bati-
gnolles, partout, chacun répète :
— Assez de paroles, des actes !
C’est le refrain national. Nous nous sommes mis tous en rond
pour le chanter... Et quand nous l’avons bien chanté, nous le
rechantons, comme la scie de l’éléphant.
Seulement, voilà, nous attendons toujours que ce soit le voi-
sin qui se lève en disant :
— Oui, assez de paroles : je vais agirl...
Agir, c’est-à-dire faire quelque chose d’utile, par exemple
tourner des obus, détrôner Constantin ou percer le front.
Mais le voisin ne se lève pas; il chante, comme vous, comme
moi, comme nous tous :
— Assez de paroles, des actes!
En Allemagne, c’est plutôt le contraire : ils sont las d’agir et
ils voudraient bien parler...
Et voyez comme c’est bizarre : eux, ils sont condamnés à l’ac-
tion sans répit ; et nous, nous sommes condamnés au bavardage
à perpète.
Quand je vous dis que nous n’arriverons jamais à nous enten-
dre avec ces gens-là !
* * * Allons bon, voilà que des patriotes, et non des moin-
dres, se montrent inquiets devant la mobilisation en masse des
femmes dans les usines.
Le professeur Pinard — c’est un nom populaire au front et
même à l’arrière — a fait, à l’Académie de médecine, une com-
munication que je pourrais résumer ainsi :
« Les femmes ont été inventées pour fabriquer des enfants et
non pas des munitions. C’est très joli de tourner un obus, mais
cela empêche de tourner un enfant... Il faut choisir entre l’usine
et la maternité I »
Très bien, mon cher Pinard; mais numérotons par ordre
d’imminence et de gravité, les deux dangers qui nous menacent :
Ie La dépopulation par la guerre qui tue les grands;
2° La dépopulation par la stérilité qui tue ou, ce qui revient
au même, empêche de naître les petits.
N’est-il pas plus urgent de mettre fin à la guerre, c’est-à-dire
de sauver des existences de papas possibles, que de préparer,
dès maintenant, d’intéressants loupiols ? D’ailleurs, pour faire
des enfants, les femmes ne suffisent pas... Et les hommes sont
au front. Or, on ne fait pas plus les enfants par le front que par
les oreilles (le professeur Pinard sait ça mieux que moin
Autrement dit, il faut se hâter de battre les Boches avant de
s’occuper — les poilus souhaitent aussi ce changement de tran-
chées — avant de s’occuper, dis-je, de repeupler.
Conclusion : il faut des obus, beaucoup d’obus, et la femme qui
les engendre est plus utile, à l’heure présente, que celle qui met
au monde des jumeaux en prévision de la grande guerre de 1935.
Parons au plus pressé, voulez-vous ?
# * * Cela n’empêche qu’un autre puériculteur demande pour
toutes les femmes enceintes une allocation de cinq francs par
jour.
La voilà bien, la position intéressante!
Il s’agit, en somme, de transformer chaque future maman en
fonctionnaire... Où le fonctionnarisme va-t-il se nicher? Si cette
idée se réalise jamais, le premier cri de bien des femmes, après
le geste auguste des aimeurs sera :
— Décidément, c’est bien vrai, pour obtenir une place du Gou-
vernement, il faut se remuer beaucoup !
Et voilà, du moins, une catégorie de fonctionnaires dont on ne
pourra pas dire qu’elle est composée de nullités : toutes auront
quelque chose dans le ventre!
J’imagine que l'Officiel publiera la liste de ces dames et même