L’ASSURANCE
Personnages: M. le directeur- la soixantaine, allure cossue,
du ventre, en impose. Gigognan, trente-cinq ans, mobilisé, mais
dans les rassurantes automobiles qui évoluent à des distances
raisonnables de tout front dangereux.
PREMIER ACTE
La scène se passe dans le confortable bureau d'une luxueuse
Compagnie d'assurances.
m. le directeur.— Oui, monsieur, le prospectus que vous avez
reçu est bien exact. Notre industrie de l’assurance-vie ayant été
très touchée par la guerre, nous avons dû nous adapter aux
exigences de l’époque et créer de nouvelles branches dans nos
services. C’est ainsi que nous avons ouvert un rayon d’assu-
rances contre les zeppelins et un autre contre les risques con-
jugaux.
gigognan. — C'est cette dernière branche qui m’intéresse.
m. le directeur. — La paix de votre ménage serait-elle me-
nacée ?
— Ah non ! ma petite... je ne suis moniè qu en prévision du bon
feu annoncé; c’est un véritable abus de confiance.
Dessin de M. Radiguet.
UN ROUBLARD
Les fortifs vont être transforme'es
en jardins. (Les journaux.)
— Mon capitaine, c’est pour une permission de semailles.
— Comment ça? Vous êtes Parisien !
— Pardon.. ., mais j’ai un jardin aux fortifs ! ! !
Dessin de Hass.
ses paumes sont ardentes, elle va au théâ-
tre quand on lui donne des billets, elle lit
des romans et reste tard au lit le matin,
mais quand je ne suis pas là.
m. le directeur. — Mauvais; évidem-
ment mauvais, ces premiers renseigne-
ments me suffisent déjà pour me forcer à
vous imposer la taxe n° 2. Une dernière
question : madame votre épouse a-t-elle
des petits cousins ?
gigognan. — Oui, M. Charles, l’aviateur.
Cinq palmes et cité au communiqué.
m. le directeur. — Alors, ce sera la taxe
n° 1..., soit 500 francs de prime mensuelle.
gigognan. — C’est chaud.
m. le directeur, aimable. — Moins que
le tempérament de Madame.
gigognan. — Et moyennant cette prime,
suis-je au moins garanti contre tous les
risques menaçant mon honneur?
m. le directeur. — Oui, monsieur : un
inspecteur choisi et discret va être attaché
à la personne de madame; il surveillera
tous ses faits et gestes dont il me fera un
rapport détaillé. Il interviendra pour em-
UN impatient
gigognan. — Je le crains.
m. le directeur. — Bien ! {Il place de-
vant lui une formule imprimée qu'il se
dispose à remplir.) Si vous voulez bien
répondre à mon interrogatoire, je vais
constituer votre dossier... Nous disons donc
que vous êtes marié?
gigognan. — Hélas! oui, depuis trois ans,
et cette situation ne laisse pas d’être dou-
loureuse pour un mobilisé de deux ans.
m. le directeur. — Votre âge ?
gigognan. — Trente-quatre ans.
m. Le directeur. — Celui de Madame?
gigognan. — Vingt-six.
m. le directeur. — Parfait! Madame a-
t-elle les yeux bleus ou noirs, le creux des
mains cbaud, lit-elle des romans, va-t-elle
au théâtre, et reste-t-elle tard au lit le
matin?
gigognan. — Ma femme a les yeux noirs,
1—_
0*
— Enfin, je me demande ce que peut bien faire l’Etat-major; voilà plus de trois joui s que je
n’ai pu avancer de petits drapeaux. Dessin de André For.
Personnages: M. le directeur- la soixantaine, allure cossue,
du ventre, en impose. Gigognan, trente-cinq ans, mobilisé, mais
dans les rassurantes automobiles qui évoluent à des distances
raisonnables de tout front dangereux.
PREMIER ACTE
La scène se passe dans le confortable bureau d'une luxueuse
Compagnie d'assurances.
m. le directeur.— Oui, monsieur, le prospectus que vous avez
reçu est bien exact. Notre industrie de l’assurance-vie ayant été
très touchée par la guerre, nous avons dû nous adapter aux
exigences de l’époque et créer de nouvelles branches dans nos
services. C’est ainsi que nous avons ouvert un rayon d’assu-
rances contre les zeppelins et un autre contre les risques con-
jugaux.
gigognan. — C'est cette dernière branche qui m’intéresse.
m. le directeur. — La paix de votre ménage serait-elle me-
nacée ?
— Ah non ! ma petite... je ne suis moniè qu en prévision du bon
feu annoncé; c’est un véritable abus de confiance.
Dessin de M. Radiguet.
UN ROUBLARD
Les fortifs vont être transforme'es
en jardins. (Les journaux.)
— Mon capitaine, c’est pour une permission de semailles.
— Comment ça? Vous êtes Parisien !
— Pardon.. ., mais j’ai un jardin aux fortifs ! ! !
Dessin de Hass.
ses paumes sont ardentes, elle va au théâ-
tre quand on lui donne des billets, elle lit
des romans et reste tard au lit le matin,
mais quand je ne suis pas là.
m. le directeur. — Mauvais; évidem-
ment mauvais, ces premiers renseigne-
ments me suffisent déjà pour me forcer à
vous imposer la taxe n° 2. Une dernière
question : madame votre épouse a-t-elle
des petits cousins ?
gigognan. — Oui, M. Charles, l’aviateur.
Cinq palmes et cité au communiqué.
m. le directeur. — Alors, ce sera la taxe
n° 1..., soit 500 francs de prime mensuelle.
gigognan. — C’est chaud.
m. le directeur, aimable. — Moins que
le tempérament de Madame.
gigognan. — Et moyennant cette prime,
suis-je au moins garanti contre tous les
risques menaçant mon honneur?
m. le directeur. — Oui, monsieur : un
inspecteur choisi et discret va être attaché
à la personne de madame; il surveillera
tous ses faits et gestes dont il me fera un
rapport détaillé. Il interviendra pour em-
UN impatient
gigognan. — Je le crains.
m. le directeur. — Bien ! {Il place de-
vant lui une formule imprimée qu'il se
dispose à remplir.) Si vous voulez bien
répondre à mon interrogatoire, je vais
constituer votre dossier... Nous disons donc
que vous êtes marié?
gigognan. — Hélas! oui, depuis trois ans,
et cette situation ne laisse pas d’être dou-
loureuse pour un mobilisé de deux ans.
m. le directeur. — Votre âge ?
gigognan. — Trente-quatre ans.
m. Le directeur. — Celui de Madame?
gigognan. — Vingt-six.
m. le directeur. — Parfait! Madame a-
t-elle les yeux bleus ou noirs, le creux des
mains cbaud, lit-elle des romans, va-t-elle
au théâtre, et reste-t-elle tard au lit le
matin?
gigognan. — Ma femme a les yeux noirs,
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— Enfin, je me demande ce que peut bien faire l’Etat-major; voilà plus de trois joui s que je
n’ai pu avancer de petits drapeaux. Dessin de André For.