SAMBOUGQ
LES TROUPES D’OCCUPATION
— Enfin, ils ont pris l’engagement de respecter nos personnes.
— L’engagement sera peut-être difficile à tenir quand ils nous auront vues !
Un de mes plus doux souvenirs d’infir-
mier régimentaire est assurément celui du
major Samboucq.
Des médecins comme celui-là, on n’en
voit plus qu’au théâtre Guignol.
Samboucq n’était pas absolument un im-
bécile, c’était même un bon bougre au fond,
mais il avait la sacrée manie de demander
à tous les hommes qui venaient passer la
visite :
— De quelle maladie est mort votre père?
Et il était très agacé quand on lui répon-
dait :
— Mon père n’est pas mort.
Rien ne lui était plus désagréable que
cette réponse qui déroutait ses théories sur
l’hérédité, et qui mettait du coup son dia-
gnostic en pagaïe. Alors il grinçait des
dents comme le monsieur dont on écrase
les cors aux pieds, puis il flanquait avec
perte et fracas son malade à la porte en
vociférant :
— Vous n’avez rien du tout! Vous n’êtes
qu’un tire-au-flanc ! Foutez-moi le camp !
On avait fini par connaître sa marotte, et, pour abonder dans
son sens, les bonhommes à qui il posait sa sempiternelle ques-
tion, se gardaient bien d’avouer que leur père n’était pas mort...
Ils devaient même éviter soigneusement de dire qu’ils ne
savaient pas de quoi il était mort. Il leur fallait préciser le nom
de la maladie, et se torturer les méninges pour en inventer
une susceptible d’avoir envoyé leur paternel ad patres.
Le troupier n’a pas beaucoup d’imagination, et c’était toujours
à peu près la même chose : maladie de cœur, apoplexie ou
fluxion de poitrine. Cela suffisait d’ailleurs à contenter le
farouche toubib, qui en tirait aussitôt les conclusions les plus
vertigineuses.
Le jour où Gascoulette passa la visite pour être déclaré
inapte à l'infanterie, fut un beau jour entre tous.
— De quelle maladie est mort votre père? lui demanda Sam-
boucq,, selon le rite habituel.
— 11 est mort de la sottise de son médecin, déclara froide-
ment Gascoulette.
Et c’était vrai.
Dessin de M. Radigxjet.
Samboucq, qui avait mal entendu, étant ce jour-là d’humeur
distraite, s’écria étourdiment :
— Fichtre! attention!... Ça, c’est héréditaire,., c’est même
contagieux et endémique!...
Et Gascoulette fut incontinent proposé pour la réforme. Puis
on appela le suivant :
— Pendigal !
Voici Pendigal sur la sellette. Un gaillard bâti comme Her-
cule. Samboucq le toisa, puis lâcha sa question habituelle :
— De quelle maladie est mort votre père?
— D’un piano à queue, dit Pendigal, avec une émouvante
simplicité.
Et c’était vrai. Mais Samboucq, malgré toute sa science, ne
connaissait pas cette maladie.
— Quoi? quoi? grogna-t-il.
— Oui, expliqua le gars, il a reçu un piano à queue sur le
tournant de la cafetière.
— Bon... Et alors vous, qu’est-ce que vous avez, à cette
heure ?
PETITE ROSSE
— Vous savez que Paris n’est plus dans la zone des armées?
— Qu’est-ce que ça peut bien vous faire? Il y a longtemps, vous, que vous êtes de la zone
désarmée. Dessin de F. Fabiano.
— .Fumez donc ces magnifiques orientales, mon
cher...
— Merci, beaucoup... J’aime bien mieux fumer,
à la française, du bon tabac roulé dans de l’ex-
cellent papier Zig-Zag... Dessin de Manfredini.
LES TROUPES D’OCCUPATION
— Enfin, ils ont pris l’engagement de respecter nos personnes.
— L’engagement sera peut-être difficile à tenir quand ils nous auront vues !
Un de mes plus doux souvenirs d’infir-
mier régimentaire est assurément celui du
major Samboucq.
Des médecins comme celui-là, on n’en
voit plus qu’au théâtre Guignol.
Samboucq n’était pas absolument un im-
bécile, c’était même un bon bougre au fond,
mais il avait la sacrée manie de demander
à tous les hommes qui venaient passer la
visite :
— De quelle maladie est mort votre père?
Et il était très agacé quand on lui répon-
dait :
— Mon père n’est pas mort.
Rien ne lui était plus désagréable que
cette réponse qui déroutait ses théories sur
l’hérédité, et qui mettait du coup son dia-
gnostic en pagaïe. Alors il grinçait des
dents comme le monsieur dont on écrase
les cors aux pieds, puis il flanquait avec
perte et fracas son malade à la porte en
vociférant :
— Vous n’avez rien du tout! Vous n’êtes
qu’un tire-au-flanc ! Foutez-moi le camp !
On avait fini par connaître sa marotte, et, pour abonder dans
son sens, les bonhommes à qui il posait sa sempiternelle ques-
tion, se gardaient bien d’avouer que leur père n’était pas mort...
Ils devaient même éviter soigneusement de dire qu’ils ne
savaient pas de quoi il était mort. Il leur fallait préciser le nom
de la maladie, et se torturer les méninges pour en inventer
une susceptible d’avoir envoyé leur paternel ad patres.
Le troupier n’a pas beaucoup d’imagination, et c’était toujours
à peu près la même chose : maladie de cœur, apoplexie ou
fluxion de poitrine. Cela suffisait d’ailleurs à contenter le
farouche toubib, qui en tirait aussitôt les conclusions les plus
vertigineuses.
Le jour où Gascoulette passa la visite pour être déclaré
inapte à l'infanterie, fut un beau jour entre tous.
— De quelle maladie est mort votre père? lui demanda Sam-
boucq,, selon le rite habituel.
— 11 est mort de la sottise de son médecin, déclara froide-
ment Gascoulette.
Et c’était vrai.
Dessin de M. Radigxjet.
Samboucq, qui avait mal entendu, étant ce jour-là d’humeur
distraite, s’écria étourdiment :
— Fichtre! attention!... Ça, c’est héréditaire,., c’est même
contagieux et endémique!...
Et Gascoulette fut incontinent proposé pour la réforme. Puis
on appela le suivant :
— Pendigal !
Voici Pendigal sur la sellette. Un gaillard bâti comme Her-
cule. Samboucq le toisa, puis lâcha sa question habituelle :
— De quelle maladie est mort votre père?
— D’un piano à queue, dit Pendigal, avec une émouvante
simplicité.
Et c’était vrai. Mais Samboucq, malgré toute sa science, ne
connaissait pas cette maladie.
— Quoi? quoi? grogna-t-il.
— Oui, expliqua le gars, il a reçu un piano à queue sur le
tournant de la cafetière.
— Bon... Et alors vous, qu’est-ce que vous avez, à cette
heure ?
PETITE ROSSE
— Vous savez que Paris n’est plus dans la zone des armées?
— Qu’est-ce que ça peut bien vous faire? Il y a longtemps, vous, que vous êtes de la zone
désarmée. Dessin de F. Fabiano.
— .Fumez donc ces magnifiques orientales, mon
cher...
— Merci, beaucoup... J’aime bien mieux fumer,
à la française, du bon tabac roulé dans de l’ex-
cellent papier Zig-Zag... Dessin de Manfredini.