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https://doi.org/10.11588/diglit.25447#0642
UN MIRACLE DU PROGRÈS
Nous étions quatre amis installés à la terrasse d’un café
devant de sombres picons : Prosper, Théophile, Anatole et
moi.
Lorsque nous eûmes suffisamment lorgné les fines silhouettes
qui défilaient devant nous, nous en vînmes tout naturellement
à parler de la guerre.
— C’est égal, s’écria soudain Prosper qui aime assez à dis-
courir, ce cataclysme a fait faire de tels progrès à la science
en général et à la .mécanique en particulier que l’imagination
en reste confondue : après les avions géants qui survolent
d’une traite la moitié de l’Europe et les canons monstrueux qui
envoient leurs projectiles à cent vingt kilomètres de distance,
qu’enfantera donc l’esprit humain dont le génie inventif se sur-
passe de jour en jour?
Théophile et moi apportâmes à notre tour notre tribut d’ad-
miration. Seul, Anatole demeurait lointain, comme absorbé par
de secrètes méditations.
— Qu’as-tu donc? interrogea Prosper; serais-tu malade?
— Pu tout, mes chers amis; mais veuillez considérer mon
silence comme une complète approbation à vos assertions.
D’ailleurs, pour vous convaincre que je partage votre enthou-
siasme à l’égard des progrès vertigineux réalisés chaque jour,
oyez plutôt ceci :
« Vous n’ignorez pas que jadis l’homme se mouchait tout
simplement dans ses doigts, ce qui manquait à coup sûr de dis-
tinction.
« Vint ensuite une époque plus raffinée où, pour le même
besoin, il fit usage de fines toiles.
— Mais, malheureux, comprends donc : avant la guerre, j’étais
libre...; maintenant, je suis mariée.
— Que veux-tu, je n’y peux rien : tous les mobilisés doivent retrou-
ver leur place d’avant-guerre ! Dessin de M. Radigüet.
« Or cette habitude contemporaine ne sera bientôt plus que
de l’histoire ancienne.
« Sachez donc que, la semaine dernière, je fis la connaissance
d’une accorte munitionnette, charmante au possible et peu
farouche par surcroît... Eh bien! croirez-vous que cette gentille
enfant, passionnée pour l’art de la mécanique, a trouvé le
moyen de me moucher à la machine ! »
Eck.-Bouillier.
Nous étions quatre amis installés à la terrasse d’un café
devant de sombres picons : Prosper, Théophile, Anatole et
moi.
Lorsque nous eûmes suffisamment lorgné les fines silhouettes
qui défilaient devant nous, nous en vînmes tout naturellement
à parler de la guerre.
— C’est égal, s’écria soudain Prosper qui aime assez à dis-
courir, ce cataclysme a fait faire de tels progrès à la science
en général et à la .mécanique en particulier que l’imagination
en reste confondue : après les avions géants qui survolent
d’une traite la moitié de l’Europe et les canons monstrueux qui
envoient leurs projectiles à cent vingt kilomètres de distance,
qu’enfantera donc l’esprit humain dont le génie inventif se sur-
passe de jour en jour?
Théophile et moi apportâmes à notre tour notre tribut d’ad-
miration. Seul, Anatole demeurait lointain, comme absorbé par
de secrètes méditations.
— Qu’as-tu donc? interrogea Prosper; serais-tu malade?
— Pu tout, mes chers amis; mais veuillez considérer mon
silence comme une complète approbation à vos assertions.
D’ailleurs, pour vous convaincre que je partage votre enthou-
siasme à l’égard des progrès vertigineux réalisés chaque jour,
oyez plutôt ceci :
« Vous n’ignorez pas que jadis l’homme se mouchait tout
simplement dans ses doigts, ce qui manquait à coup sûr de dis-
tinction.
« Vint ensuite une époque plus raffinée où, pour le même
besoin, il fit usage de fines toiles.
— Mais, malheureux, comprends donc : avant la guerre, j’étais
libre...; maintenant, je suis mariée.
— Que veux-tu, je n’y peux rien : tous les mobilisés doivent retrou-
ver leur place d’avant-guerre ! Dessin de M. Radigüet.
« Or cette habitude contemporaine ne sera bientôt plus que
de l’histoire ancienne.
« Sachez donc que, la semaine dernière, je fis la connaissance
d’une accorte munitionnette, charmante au possible et peu
farouche par surcroît... Eh bien! croirez-vous que cette gentille
enfant, passionnée pour l’art de la mécanique, a trouvé le
moyen de me moucher à la machine ! »
Eck.-Bouillier.