LE SIFFLET
A NOS LECTEURS
Notre premier numéro, malgré ses imper-
fections, a obtenu un succès dont nous rem-er-
cions nos lecteurs.
Nous ferons tous nos efforts pour parvenir
à faire du SiJJlet un journal intéressant et
amusant, autant par son texte que par ses
dessins.
Nous n'avons qu'un désir, arriver, à la
perfection, si c'est possible, et satisfaire les
personnes qui veulent bien nous encourager.
Michel Anbzo.
UNE SÉANCE ORAGEUSE
DANS LE BUREAU DU JOURNAL
Une table en marqueterie, recouverte d'un tapis vert. —
Contre le mur, Tin _ meuble de Boule (c'est ce monstre, le
secrétaire!). — Sur la cheminée, pendule et candélabres
de Froment - Meûrice. — Tableaux de Meissoiiier, Diaz,
Corot, Manet, On a brûlé un tableau d'Heilbuth, qui a été
remplacé par un Demare.
Le Directeur. —Dix heures, et personne encore!
pas le moindre pouce de copie ! Nous ne pourrons, paraî-
tre en même temps que Y Officiel de demain. Ah! voilà
X.... Ah! mon Dieu, quelle mine! Vous avez rencontré
lin prêtre ce matin, et vous n'aviez pas de fer sous la
main?
X. — Je viens vous apporter ma démission.
Le Directeur. — Vo-tre dé-mi- ssion?
X. — Ce n'e.st, croyez-le bien, qu'après de mures ré-
flexions...
Le Directeur. —Voyons, mon ami, ce n'est pas sé-
rieux. Le jour du tirage... voyons... il faut au moins
faire le journal. Jusqu'au prochain numéro vous réflé-
chirez.
X. rf Ce n'est, croyez-le bien, qu'après de longues
réflexions... (
Le Directeur, Oui, oui; mais votre copie?
X. rr- Faites le journal sans moi.
Le Directeur. — Voyons, mon amL faites encore un
numéro. Là, entre nous, vous ai-je jamais refusé quel-
que chose? Hier encore j'ai accepté le déjeuner que vous
m'avez offert. Mais pas un mot, voilà Y.
.Le Directeur. — Bonjour, mon ami ; vite, votre des-
sin. Il faut aller à la censure.
Y. — Croyez bien, monsieur et cher directeur, que
ce n'est qu'après de longues réflexions...
Le Directeur. — Eh bien, quoi?
Y. — Que je me suis déterminé à vous prier d'accep-
ter...
Le Directeur. — Votre démission ? Ah ! ciel ! il ne
manquait plus que cela. Ah ! mon ami. Laissez-moi vous
donner ce nom une fois encore. Vous ne voulez pas ma
ruine, n'est-ce pas? Faites-moi un dessin, n'importe le-
quel : un député avec une grosse tête.....Voyons, ne
soyez pas intraitable.
(Entre Z.)
Le Directeur. — Ah! ce cher ami!
Z. — Ce n'est, croyez-le bien, qu'après de longues ré-
flexions...
Le Directeur. — Que vous venez m'apporter votre
démission? Cette fois, c'est le dernier coup.
Enfer et damnation ! m'était-il donc donné
De voir mon existence aussi vite se clore?
Réfléchissez encor! Que dira l'abonné?
' Je meurs; sur mon cadavre, amis jetez du chlore!
Ne faites pas attention ; je me croyais déjà dévoré par
les vers. Mais cela ne se passera pas ainsi, et quand je
devrais employer la force...
(En chœur.)
Nous sommes-trois !
Le Directeur. — Que faire? Je sens mes cheveux
blanchir. Mais que voulez^vous donc, vampires? Com-
ment! voilà huit jours, je vous donnais vingt mille francs,
sans compter les bocks ; vous m'en avez demandé trente
mille : j'ai accordé vingt-sept mille : Dieu sait au prix de
quels combats !
Mais vous voulez ma ruine, mon désespoir ! C'était le
pain dénies enfants. Maintenant, c'est la honte pour ma
famille. Je dois 27 francs à l'imprimeur, et je comptais
sur un succès pour lui payer sa petite note. — Mais que
vous faut-ifpour vous attendrir? Voyons, X...; vous
serez moins dur, vous ; vous savez, mon petit dernier,
mon petit Napoléon.
En chœur. — Horreur !
Le Directeur.— Eh bien, nous le nommerons Brutu's.
Il n'est pas plus haut que ça, tenez; il attend, en
lisant un numéro du journal, que je lui apporte son petit
salé quotidien. Il attend, le malheureux, sans se douter
de mes angoisses. Tenez, vous êtes bon, vous; vous ne
voudrez pas avoir ma mort à vous reprocher. Faites ce
numéro, le dernier. C'est ma vie, ma propriété.
Z. — La propriété, c'est le vol.
Y. — C'est pour ça que nous nous envolons.
Le Directeur.—N'ajoutez pas à mon malheur. Voyons,
que voulez-vous ?
En chœur. — Nous voulons vingt sous comptant, pas
en assignats, et un bock.
Le Directeur. — Monstres insatiables, sangsues, bu-
veurs de sang ! Tenez, une proposition, nous partagerons
les bénéfices.
En chœur. —Nous préférons vingt sous.
Le Directeur.— Eh bien, les voilà, je cède.
Y. —Un pape,, vieux filou! Enfin, je retire ma dé-
mission .
X. et L. — Nous retirons notre démission.
Le Directeur.—Vous, vous me paierez ça. Allons, mes
enfants, à la besogne.
(Tous se mettent fiévreusement à travailler.)
Le Directeur écrivant :
« A Messieurs Tricoche et Cacolet,
« Palais-Royal.
« Veuillez me procurer, dans le plus bref délai : un
rédacteur en chef, un dessinateur et un reporter pour le
journal le Sifflet.
. « Agréez...-..»
Un merle
SAINT-CYR COMIQUE
Où Von présente au lecteur le joli village
de Saint-Cyr-V Ecole
Si jamais je deviens roi de France, Empereur ou Prési-
dent de la République — ce qui n'est pas impossible à une
époque où la position sociale de Chef d'Etat répugne à tout
homme qui n'est pas ambitieux comme l'ex-souverain
d'Araucanie et _de Patagonie, ou profondément crétin
comme votre serviteur — je jure que je ne déporterai per-
sonne à Cayenne, Lambessa ou Noukahiva.
J'enverrai tout bonnement à Saint-Cyr ceux de mes su-
jets qui appartiendront à l'honnête classe des forçats. Au-
cun lieu n'est aussi propre que ce village de Seine-et-Oise
à inspirer au méchant un salutaire retour sur lui-même,
à lui rappeler que ses sottises reçoivent souvent dès ici-
bas leur châtiment, à lui faire sentir que si la vertu n'est
jamais récompensée, le crime est quelquefois puni; et nul
climat, si meurtrier qu'on le suppose, n'envoie aussi pro-
prement dans l'autre monde les gens dont on a intérêt à
se débarrasser, les citoyens qui se chargent sans mandat
de nous enlever nos montres- ou de « chouriner » le
prochain.
Figurez-vous, en effet, une horrible bourgade, où il fait
en été une chaleur architropicale, en hiver un archi-
froid, comme dirait l'archipoète Gagne, qu'envieraient
les ours les plus douillets du Groenland, et où deux mi-
nutes de pluie suffisent pour remplacer des monceaux de
poussière par des lacs de boue, couleur café au lait.
C'est Saint-Cyr-l'Ecole.
Des gouvernements, qui pourtant avaient du bon quand
il s'agissait de choisir les lieux de déportation, n'ont
jamais songé à celui-là.
Je ne m'en étonne pas outre mesure. On aurait pu réa-
liser, en adoptant Saint-Cyr, des économies notables sur
les frais de transport, et — en fait d'économies —jamais
roi, président ou empereur, n'admet que celles que s'im-
posent les populations pour leur payer d'énormes contri-
butions.
Quelqu'un qui lit par-dessus mon épaule, me dit' •
« Mais, mon cher colonel, à Cayenne, les crocodiles ou
les caïmans dévorent avec un indicible plaisir les tram
portes. "<uk>-
« Quand ceux-ci leur échappent, les serpents à sonnette
et autres animaux bienfaisants en débarrassent la patrie
ou la nevre jaune se charge de leur ayenir.
» A Noukahiva; les insulaires calédoniens les mettent
«A i9, DrOCllS. ))
C'est avec ce beau raisonnement que i'on est arrivé à
établir l'Ecole Militaire dans une atroce grenouillère
peuplée de marchands qui ne nous laisseraient s'ils
l'osaient, que la peau sur le dos ;.^ de négociants ambu-
lants en cigares infects qui vous empoisonnent • — de
jeunes allumeurs de pipes, cigares et cigarettes qui vous
asphyxient, leur mèche de lin à la main ; — de mendiants
qui, pour un petit sou, vous nomment « mon officier • »~
de fournisseurs de plaisirs (?),qui gagnent moins de cuivre '
que les pharmaciens ne reçoivent d'or pour guérir les
blessures que vous font leurs Vénus au rabais
Après toùt,-j'y suis entré, sans que personne m'y obli-
geât, le 4 novembre 1855. Il est vrai qu'alors j'avais le
ferme espoir de devenir maréchal de France... tandis
que je ne suis encore que
Le
Colonel Mac-Razoi\ (1).
INDISCRÉTIONS
LEONTINE MASSIN
Je ne chercherai pas à faire le portrait de l'ingénue du
Gymnase, car ce serait, comme on dit vulgairement, du
réchauffe'.
La charmante petite actrice a tellement posé devant
les photographes qu'il n'est plus possible maintenant du
tracer son nez à la plume.
C'est son tic, à mademoiselle Massin, de se faire photo-
graphier dans toutes les positions ; pour une coupure de
la Société générale, le premier loustic venu peut se la
payer.,, passage des Panoramas et rue Vivienne.
Léontine Massin est ingénue depuis l'âge de seize ans;
elle en a vingt-quatre aujourd'hui.
Huit ans d'ingénuité 1 ça compte, ca?
Elle a fait des études très sérieuses chez mademoiselle
Bussières, institutrice du passage Saint-Roch. A huit
ans, nous a-t-on assuré, elle rendait, au billard, dix
points de trente à son père.
La petite Massin (car on dit toujours la petite Massin,
quoiqu'elle commence à ne plus l'être) a été. guidée dans
ses premiers pas par l'auteur de ses jours, un ancien ar-
tiste dramatique devenu gaînier.
C'est lui, le bon père, qui a lancé sa fille dans la voie
de l'ingénuité, et qui est parvenu à la faire débuter,
comme figurante, au théâtre du Palais-Royal.
Il est probable que la pauvre petite fille eût fait le pied
de grue longtemps, sans la protection d'un fort boyard
(pardon!) ou plutôt d'un prince étranger, qui la lança à
grande vitesse.
Léontine, qui n'avait jamais voyagé, même dans un
fiacre, eut, par la bienveillance de ce personnage, un
huit-ressorts qui la fit ressortir comme jolie femme et
comme actrice.
Fernande, Yvonne, etc., etc., sont, pour elle, de char-
mantes créations qui ont convaincu ses admirateurs de
son talent d'ingénuité.
Le Siffleuk.
COUPS. DE SIFFLET
Au dernier dîner de M. le Président de la République,
Edmond About a obtenu, par son savant coup de four-
chette, le même succès que jadis à la table du prince Na-
poléon.
Mademoiselle Hisson a fait école.
—Voici les cabotines de province qui se révoltent contre
les journalistes indigènes. ■
— Une chanteuse du théâtre de Besançon vient de
cravacher un critique qui n'avait pas dit que sa voix
était plus fraîche que celle de la Patti.
— C'est bien fait !
— Nous engageons les artistes à persévérer, dans ce
système; nous n'entendrons peut-être plus répéter aussi
souvent que les chanteuses scient le dos.
- Les trois premiers abonnements au Sifflet sont venus
de Landerneau.
— C'est flatteur pour nous ; ça prouve que nous avons
fait du bruit dans cette localité paisible.
(1) Cette étude humoristique comprendra les deux années
que les élèves passent à l'Ecole Militaire, et 1 auteur, qu se
propose d'y retracer les diverses péripéties de la vie saini-
cyrienne, recevra avec plaisir et reconnaissance tous ie-
souvenirs anecdotiques que voudront bien lui envoyei se»
anciens camarades.
Sucbto*
rt.„i
~h\
>
at«»tte!
i.w.
Sï!
V
A NOS LECTEURS
Notre premier numéro, malgré ses imper-
fections, a obtenu un succès dont nous rem-er-
cions nos lecteurs.
Nous ferons tous nos efforts pour parvenir
à faire du SiJJlet un journal intéressant et
amusant, autant par son texte que par ses
dessins.
Nous n'avons qu'un désir, arriver, à la
perfection, si c'est possible, et satisfaire les
personnes qui veulent bien nous encourager.
Michel Anbzo.
UNE SÉANCE ORAGEUSE
DANS LE BUREAU DU JOURNAL
Une table en marqueterie, recouverte d'un tapis vert. —
Contre le mur, Tin _ meuble de Boule (c'est ce monstre, le
secrétaire!). — Sur la cheminée, pendule et candélabres
de Froment - Meûrice. — Tableaux de Meissoiiier, Diaz,
Corot, Manet, On a brûlé un tableau d'Heilbuth, qui a été
remplacé par un Demare.
Le Directeur. —Dix heures, et personne encore!
pas le moindre pouce de copie ! Nous ne pourrons, paraî-
tre en même temps que Y Officiel de demain. Ah! voilà
X.... Ah! mon Dieu, quelle mine! Vous avez rencontré
lin prêtre ce matin, et vous n'aviez pas de fer sous la
main?
X. — Je viens vous apporter ma démission.
Le Directeur. — Vo-tre dé-mi- ssion?
X. — Ce n'e.st, croyez-le bien, qu'après de mures ré-
flexions...
Le Directeur. —Voyons, mon ami, ce n'est pas sé-
rieux. Le jour du tirage... voyons... il faut au moins
faire le journal. Jusqu'au prochain numéro vous réflé-
chirez.
X. rf Ce n'est, croyez-le bien, qu'après de longues
réflexions... (
Le Directeur, Oui, oui; mais votre copie?
X. rr- Faites le journal sans moi.
Le Directeur. — Voyons, mon amL faites encore un
numéro. Là, entre nous, vous ai-je jamais refusé quel-
que chose? Hier encore j'ai accepté le déjeuner que vous
m'avez offert. Mais pas un mot, voilà Y.
.Le Directeur. — Bonjour, mon ami ; vite, votre des-
sin. Il faut aller à la censure.
Y. — Croyez bien, monsieur et cher directeur, que
ce n'est qu'après de longues réflexions...
Le Directeur. — Eh bien, quoi?
Y. — Que je me suis déterminé à vous prier d'accep-
ter...
Le Directeur. — Votre démission ? Ah ! ciel ! il ne
manquait plus que cela. Ah ! mon ami. Laissez-moi vous
donner ce nom une fois encore. Vous ne voulez pas ma
ruine, n'est-ce pas? Faites-moi un dessin, n'importe le-
quel : un député avec une grosse tête.....Voyons, ne
soyez pas intraitable.
(Entre Z.)
Le Directeur. — Ah! ce cher ami!
Z. — Ce n'est, croyez-le bien, qu'après de longues ré-
flexions...
Le Directeur. — Que vous venez m'apporter votre
démission? Cette fois, c'est le dernier coup.
Enfer et damnation ! m'était-il donc donné
De voir mon existence aussi vite se clore?
Réfléchissez encor! Que dira l'abonné?
' Je meurs; sur mon cadavre, amis jetez du chlore!
Ne faites pas attention ; je me croyais déjà dévoré par
les vers. Mais cela ne se passera pas ainsi, et quand je
devrais employer la force...
(En chœur.)
Nous sommes-trois !
Le Directeur. — Que faire? Je sens mes cheveux
blanchir. Mais que voulez^vous donc, vampires? Com-
ment! voilà huit jours, je vous donnais vingt mille francs,
sans compter les bocks ; vous m'en avez demandé trente
mille : j'ai accordé vingt-sept mille : Dieu sait au prix de
quels combats !
Mais vous voulez ma ruine, mon désespoir ! C'était le
pain dénies enfants. Maintenant, c'est la honte pour ma
famille. Je dois 27 francs à l'imprimeur, et je comptais
sur un succès pour lui payer sa petite note. — Mais que
vous faut-ifpour vous attendrir? Voyons, X...; vous
serez moins dur, vous ; vous savez, mon petit dernier,
mon petit Napoléon.
En chœur. — Horreur !
Le Directeur.— Eh bien, nous le nommerons Brutu's.
Il n'est pas plus haut que ça, tenez; il attend, en
lisant un numéro du journal, que je lui apporte son petit
salé quotidien. Il attend, le malheureux, sans se douter
de mes angoisses. Tenez, vous êtes bon, vous; vous ne
voudrez pas avoir ma mort à vous reprocher. Faites ce
numéro, le dernier. C'est ma vie, ma propriété.
Z. — La propriété, c'est le vol.
Y. — C'est pour ça que nous nous envolons.
Le Directeur.—N'ajoutez pas à mon malheur. Voyons,
que voulez-vous ?
En chœur. — Nous voulons vingt sous comptant, pas
en assignats, et un bock.
Le Directeur. — Monstres insatiables, sangsues, bu-
veurs de sang ! Tenez, une proposition, nous partagerons
les bénéfices.
En chœur. —Nous préférons vingt sous.
Le Directeur.— Eh bien, les voilà, je cède.
Y. —Un pape,, vieux filou! Enfin, je retire ma dé-
mission .
X. et L. — Nous retirons notre démission.
Le Directeur.—Vous, vous me paierez ça. Allons, mes
enfants, à la besogne.
(Tous se mettent fiévreusement à travailler.)
Le Directeur écrivant :
« A Messieurs Tricoche et Cacolet,
« Palais-Royal.
« Veuillez me procurer, dans le plus bref délai : un
rédacteur en chef, un dessinateur et un reporter pour le
journal le Sifflet.
. « Agréez...-..»
Un merle
SAINT-CYR COMIQUE
Où Von présente au lecteur le joli village
de Saint-Cyr-V Ecole
Si jamais je deviens roi de France, Empereur ou Prési-
dent de la République — ce qui n'est pas impossible à une
époque où la position sociale de Chef d'Etat répugne à tout
homme qui n'est pas ambitieux comme l'ex-souverain
d'Araucanie et _de Patagonie, ou profondément crétin
comme votre serviteur — je jure que je ne déporterai per-
sonne à Cayenne, Lambessa ou Noukahiva.
J'enverrai tout bonnement à Saint-Cyr ceux de mes su-
jets qui appartiendront à l'honnête classe des forçats. Au-
cun lieu n'est aussi propre que ce village de Seine-et-Oise
à inspirer au méchant un salutaire retour sur lui-même,
à lui rappeler que ses sottises reçoivent souvent dès ici-
bas leur châtiment, à lui faire sentir que si la vertu n'est
jamais récompensée, le crime est quelquefois puni; et nul
climat, si meurtrier qu'on le suppose, n'envoie aussi pro-
prement dans l'autre monde les gens dont on a intérêt à
se débarrasser, les citoyens qui se chargent sans mandat
de nous enlever nos montres- ou de « chouriner » le
prochain.
Figurez-vous, en effet, une horrible bourgade, où il fait
en été une chaleur architropicale, en hiver un archi-
froid, comme dirait l'archipoète Gagne, qu'envieraient
les ours les plus douillets du Groenland, et où deux mi-
nutes de pluie suffisent pour remplacer des monceaux de
poussière par des lacs de boue, couleur café au lait.
C'est Saint-Cyr-l'Ecole.
Des gouvernements, qui pourtant avaient du bon quand
il s'agissait de choisir les lieux de déportation, n'ont
jamais songé à celui-là.
Je ne m'en étonne pas outre mesure. On aurait pu réa-
liser, en adoptant Saint-Cyr, des économies notables sur
les frais de transport, et — en fait d'économies —jamais
roi, président ou empereur, n'admet que celles que s'im-
posent les populations pour leur payer d'énormes contri-
butions.
Quelqu'un qui lit par-dessus mon épaule, me dit' •
« Mais, mon cher colonel, à Cayenne, les crocodiles ou
les caïmans dévorent avec un indicible plaisir les tram
portes. "<uk>-
« Quand ceux-ci leur échappent, les serpents à sonnette
et autres animaux bienfaisants en débarrassent la patrie
ou la nevre jaune se charge de leur ayenir.
» A Noukahiva; les insulaires calédoniens les mettent
«A i9, DrOCllS. ))
C'est avec ce beau raisonnement que i'on est arrivé à
établir l'Ecole Militaire dans une atroce grenouillère
peuplée de marchands qui ne nous laisseraient s'ils
l'osaient, que la peau sur le dos ;.^ de négociants ambu-
lants en cigares infects qui vous empoisonnent • — de
jeunes allumeurs de pipes, cigares et cigarettes qui vous
asphyxient, leur mèche de lin à la main ; — de mendiants
qui, pour un petit sou, vous nomment « mon officier • »~
de fournisseurs de plaisirs (?),qui gagnent moins de cuivre '
que les pharmaciens ne reçoivent d'or pour guérir les
blessures que vous font leurs Vénus au rabais
Après toùt,-j'y suis entré, sans que personne m'y obli-
geât, le 4 novembre 1855. Il est vrai qu'alors j'avais le
ferme espoir de devenir maréchal de France... tandis
que je ne suis encore que
Le
Colonel Mac-Razoi\ (1).
INDISCRÉTIONS
LEONTINE MASSIN
Je ne chercherai pas à faire le portrait de l'ingénue du
Gymnase, car ce serait, comme on dit vulgairement, du
réchauffe'.
La charmante petite actrice a tellement posé devant
les photographes qu'il n'est plus possible maintenant du
tracer son nez à la plume.
C'est son tic, à mademoiselle Massin, de se faire photo-
graphier dans toutes les positions ; pour une coupure de
la Société générale, le premier loustic venu peut se la
payer.,, passage des Panoramas et rue Vivienne.
Léontine Massin est ingénue depuis l'âge de seize ans;
elle en a vingt-quatre aujourd'hui.
Huit ans d'ingénuité 1 ça compte, ca?
Elle a fait des études très sérieuses chez mademoiselle
Bussières, institutrice du passage Saint-Roch. A huit
ans, nous a-t-on assuré, elle rendait, au billard, dix
points de trente à son père.
La petite Massin (car on dit toujours la petite Massin,
quoiqu'elle commence à ne plus l'être) a été. guidée dans
ses premiers pas par l'auteur de ses jours, un ancien ar-
tiste dramatique devenu gaînier.
C'est lui, le bon père, qui a lancé sa fille dans la voie
de l'ingénuité, et qui est parvenu à la faire débuter,
comme figurante, au théâtre du Palais-Royal.
Il est probable que la pauvre petite fille eût fait le pied
de grue longtemps, sans la protection d'un fort boyard
(pardon!) ou plutôt d'un prince étranger, qui la lança à
grande vitesse.
Léontine, qui n'avait jamais voyagé, même dans un
fiacre, eut, par la bienveillance de ce personnage, un
huit-ressorts qui la fit ressortir comme jolie femme et
comme actrice.
Fernande, Yvonne, etc., etc., sont, pour elle, de char-
mantes créations qui ont convaincu ses admirateurs de
son talent d'ingénuité.
Le Siffleuk.
COUPS. DE SIFFLET
Au dernier dîner de M. le Président de la République,
Edmond About a obtenu, par son savant coup de four-
chette, le même succès que jadis à la table du prince Na-
poléon.
Mademoiselle Hisson a fait école.
—Voici les cabotines de province qui se révoltent contre
les journalistes indigènes. ■
— Une chanteuse du théâtre de Besançon vient de
cravacher un critique qui n'avait pas dit que sa voix
était plus fraîche que celle de la Patti.
— C'est bien fait !
— Nous engageons les artistes à persévérer, dans ce
système; nous n'entendrons peut-être plus répéter aussi
souvent que les chanteuses scient le dos.
- Les trois premiers abonnements au Sifflet sont venus
de Landerneau.
— C'est flatteur pour nous ; ça prouve que nous avons
fait du bruit dans cette localité paisible.
(1) Cette étude humoristique comprendra les deux années
que les élèves passent à l'Ecole Militaire, et 1 auteur, qu se
propose d'y retracer les diverses péripéties de la vie saini-
cyrienne, recevra avec plaisir et reconnaissance tous ie-
souvenirs anecdotiques que voudront bien lui envoyei se»
anciens camarades.
Sucbto*
rt.„i
~h\
>
at«»tte!
i.w.
Sï!
V