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Lutz, Jules [Editor]; Perdrizet, Paul [Editor]
Speculum humanae salvationis (1): Text — Leipzig: Hiersemann, 1907

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https://doi.org/10.11588/diglit.49738#0270
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DRITTER TEIL.

DER DOMINIKANISCHE URSPRUNG DES SPECULUM

2.
Le moine qui a écrit le Speculum était un Dominicain.
Nous avons déjà dit qu’au milieu du xve siècle, Jean
Miélot attribuait le Speculum au grand savant dominicain
du xme siècle, « frère Vincent de Beauvais1, de l’Ordre
des prescheurs et maistre en théologie, jadis confesseur du
roy de France monseigneur saint Loys ». Le manuscrit
que la Bibliothèque nationale possède de la traduction de
Miélot a pour frontispice2 une grande et belle miniature
qui occupe toute la largeur de la page : ce qu’on appelait
au xve siècle une hystoire plainne3 ; elle représente à gauche
frère Vincent de Beauvais dans son cabinet de travail, au
couvent dominicain de la rue Saint-Jacques à Paris : on
sait que l’illustre maison des Jacobins, par ordre de date
la seconde qu’aient fondée les frères Prêcheurs, fut l’un
des plus grands et des plus fameux couvents du Moyen
âge, la résidence des docteurs et prédicateurs4 domini-
cains que les écoles de la « montagne latine » attiraient à
Paris. Frère Vincent, coiffé d’un fez de soie cerise, est
assis devant son pupitre, le grattoir dans la main gauche,
trempant de l’autre main la plume dans l’encrier; sur la
table sont ses lunettes et quelques-uns des livres qu’il
compile pour composer son Spéculum ; on en voit d’autres
dans une bibliothèque que ferme à demi un rideau. L’air
entre par une vitre ouverte. Le bon savant travaille en paix.
Cependant, hors de ce calme asile, se passe quelque chose
de terrible, un dialogue d’Apocalypse. Dans le ciel, parmi
les nuages, apparaît l’Ancien des Jours, couronné, comme
le vicaire de Jésus, du triregno; sur la terre est debout la
Mort — mieux vaudrait dire le Trépas — sous la forme
d’une larve d’homme, nue, aux chairs pourries. Dieu lui
tend, de la main droite, trois flèches très longues et très
aiguës, de la main gauche un parchemin scellé d’un triple
sceau. Les trois flèches sont les trois fléaux, la Guerre, la
Peste et la Famine; le parchemin est un acte en bonne et
due forme par lequel Dieu permet au Trépas de décimer
les hommes, d’user contre eux des trois flèches : il y a un
paragraphe et un sceau par flèche; un notaire n’y trouve-
rait rien à redire. La scène se passe près d’un beau fleuve
qui décrit ses méandres entre de grands rochers, des
montagnes, des prairies et des bois : on songe à la
rivière de Meuse.
Il est sûr, d’ailleurs, que Vincent de Beauvais n’est pas
l’auteur du Speculum. C’est un anachronisme assez violent
que d’attribuer à un écrivain mort en 1256 selon certains,
en 1264 selon d’autres, un ouvrage qui, comme nous le
verrons, date d’une soixantaine d’années plus tard. Mais la
tradition recueillie par Miélot est intéressante : elle montre

qu’au xve siècle les Dominicains savaient qu’ils étaient en
droit de réclamer le 5. H. S. pour un des leurs. L’attri-
bution de cet ouvrage à Vincent de Beauvais devait sem-
bler naturelle à ceux qui se rappelaient que le grand érudit
dominicain avait consacré sa vie à composer le Speculum
majus, énorme compilation formée de quatre parties
appelées, chacune. Speculum, et qui n’en savaient pas
davantage5.
3.
Si les nombreux érudits qui se sont occupés du
S. H. S. s’étaient donné la peine de le lire, ils y auraient
relevé des preuves évidentes de son origine dominicaine.
Le chapitre XLIV est consacré aux Sept douleurs de la
Vierge. Il y est question, d’abord, d’un moine qui, à
force de méditer sur la Passion de Jésus et la Compassion
de Marie, reçut la grâce d’y être associé : il lui sembla que
ses mains et ses pieds étaient percés de clous, comme
l’avaient été les mains et les pieds du Christ, et que son
cœur était transpercé d’un glaive, pareil à celui dont le
vieillard Siméon avait prédit que serait percée l’âme de
Marie (Luc II, 35). Or, le moine qui fut gratifié de cette
vision insigne était, dit notre texte, de l’Ordre des frères
Prêcheurs :
XLiv, 7. Frater quidam in Ordine fratrum Praedicatorum erat.
Et la miniature correspondante0 ne manque pas de repré-
senter un Dominicain, avec la robe et le scapulaire blancs
et le manteau noir, même dans les traductions qui, comme
celle de Miélot, ne disent pas expressément que le « frère »
dont il s’agit, fût un Dominicain. Dans l’édition latino-
allemande publiée à Augsbourg vers 1471, le titre de cette
miniature est : Gladius in corde Praedicatoris.
4.
Le chapitre XXXVII, qui raconte une vision de saint
Dominique, n’est pas moins significatif:
Quod placat iram Christi mediatrix nostra Virgo Maria,
Istud patet in quadam visione et somno authentico,
Quod divinitus ostensum est sanctissimo patri Dominico.
C’était en 1215, pendant le concile de Latran. Saint
Dominique et saint François se trouvaient l’un et l’autre
à Rome, mais ils ne se connaissaient pas encore. Une
nuit, comme saint Dominique priait dans une église, il
eut une vision. Elle a été maintes fois racontée, depuis

1 Sur ce compilateur, cf. l’article de Boutaric dans la Rev. des questions hist., t. XVII. Nous renvoyons avec regret, et faute de mieux,
à un travail qui contient des appréciations comme celles-ci : « L’Encyclopédie (de d’Alembert) est un ouvrage mal fait. Ce que le xvine siècle
ne put faire, cinq siècles auparavant un homme seul, un moine, l’entreprit et eut la gloire de l’accomplir. »
5 Voir notre planche 128.
3 Martin, Les miniaturistes français, p. 127.
4 Sur soixante et onze prédicateurs qui se firent entendre, en 1273, dans les principales églises de Paris et dont un manuscrit de la Bibl.
nat. (lat. 16481) nous a conservé les noms, trente appartenaient aux Dominicains (Lecoy de la Marche, La Chaire française au Moyen dgç-
2e éd., p. 27).
5 Cf. Paulin Paris, Les Mss. français de la Bibl. du Roi, t. II, p. 110.
6 Voir notre planche 140.

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