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Ducuing, François [Hrsg.]
L' Exposition Universelle de ... illustrée (Band 2) — Paris, 1867

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https://doi.org/10.11588/diglit.1336#0338
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338

L;kik)SlTlOlN UNIVERSELLE bE 1867 ILLUSTRÉE.

I

Le Saltimbanque.

TABLEAU DE M. KNAUSS.

11 y a des noms qui s'attirent et, qui s'ap-
puient. Je disais l'autre jour qu'en parlant
d'Hamon il était difficile de ne pas faire au
moins mention de Gérôme. Aujourd hui, je
veux parler de Knauss, et je trouve le nom
d'Iieilbuth sous ma plume. Ce n'est point
que les deux te ressemblent; mais ils diffèrent
d'une certaine façon qui ne manque jamais de
provoquer la corn parai son de l'un avec l'autre.
Tous deux sonfAllemands; tous deux sont
devenus Prussier s—ou peu s'en faut — par
la grâce de l'annexion, et tous deux sont des
peintres satiriques, mais ils n'ont ras la
même manière d'exploiter la -veine comique.
11 y a dans Heilbu'h quelque chose de plus
mondain, de plus atiique; il s'attaque, pour
ainsi parler, à des touches supérieures dans
le clavier de l'ironie humaine. Knauss, de
son côté, fait retentir plus violemment celles
qu'il frappe. Aussi l'un fait sourire et l'autre
fait rire.

J'ai déjà dit ailleurs, à une autre place de
ce recueil, dans quel.milieu aristocratique des
plus hautes sphères sociales Ferdinand Heil-
buth allait chercher les tributaires de sa fine
malice. Louis Knauss, au contraire, se tient,
d'habitude et par goût, aux plus bas degrés
de l'échelle. Parcourez le catalogue de son
œuvre, qu'y rencontrerez-vous? Des garçons
de ferme, des maîtres d'école, des savetiers,
des saltimbanques, et autres représentants
du menu peuple, très-braves gens si l'on
veut, je suis môme disposé à le croire, mais
avec lesquels l'artiste en prend à son aise et
qu'il peintsans mettre degants. Mais,le genre
une fois admis, et c'est surtout en peinture
qu'il faut dire :

Tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux!

il faut bien reconnaître que M. Knauts sait
en tirer merveilleusement parti. On peut
bien lui'reprocher parfois de tomber dans la
charge, mais c'est à la condition d'avouer
que ses charges sont toujours désopilantes.
Après tout, il n'est que juste de tenir compte
des milieux et des races ; la gaieté allemande
n'est pas la-gaieté française, et Knauss ne
peint pas pour le boulevard des Italiens, ce
qui n'empêche pas les Français de s'amuser
comme des Allemands devant ce très-agréable
tableau du saltimbanque, dont nous sommes
heureux d'offrir aujourd'hui la reproduction
fidèle à nos lecteurs.

Ce tableau du saltimbanque restera comme
une des meilleures productions du jeune
maître, dont l'œuvre, déjà considérable, a su
conquérir une notoriété véritablement euro-
péenne.

A première vue, et avant même d'entrer

dans une minutieuse analyse, j'y retrouve
l'ensfmble des heureuses qualités qui dis-
tinguent ce talent robuste et sain, si juste-
ment populaire : jB veux dire l'habileté sai-
sissante de la composition, la grâce piquante
du détail, l'étude consciencieuse des divers
types, et, çà et là, au milieu du débraillé
démocratique de la foule, une exquise re-
cherche de la beauté féminine, réalisée dans
quelques têtes d'une aristocratie naturelle,
qui ne dépareraient point les pages les plus
fières du Keepsake le plus exclusif.

Le saltimbanque, héros du drame, occupe
le centre du tableau. C'est un grand gai.lard,
taillé en force, bien musclé, découplé avec
une certaine élégance, fier de ses oripeaux et
de son clinquant, comme un empereur ro-
main le serait de sa pourpre et de sa cou
ronne. Une planche jetée sur un tonneau lui
sert de tréteau improvisé; à ses pieds, un
gamin de treize ans, en maillot tigré, jambes,
nues, visage futé, mine narquoise, faisant la
nique au bon populaire, attend, sans impa-
tience, le moment de cramper, d'avaler des
étoupss enflammées, de faire la roue et de
marcher sur les mains; à quelques pas en
arrière, une fillette court vêtue, ses épais
cheveux noirs cerclés d'un diadème en cuivre
doré, par sa pose, pleine tout à la fois de
souplesse et de nonchalance, nous révèle sa
race bohème : rien, de naïvement joli comme
l'attitude de sa petite tête mutine, au profil
perdu. Perchée sur un des bras de la char-
ret eaux accessoires, par son maintien grave
et son froncement de sourcils philosophique,
une chouette privée semble prendre à cœur
de mériter son titre d'oiseau de Minerve. Par
terre, sur un lambeau de tapis qui ne vient
point de Turquie, on aperçoit le tambour de
basque qui fait bondir les ballerines, la trom
pette qui attire la foule avec ses notes de
cuivre retentissante.!; les boules du jongleur,
et les assiettes qui tournent en équilibre sur
la pointe de la baguette magique.

Le saltimbanque opère en ce moment sur
un paysan du genre naïf, et il exécute le
fameux tour connu sous le nom de tour
du chapeau. D'une main singulièrement
adroite et féconde en prestiges, il a su-
bitement.enlevé le large couvre-chef de ton
patient, et il montre à la foule ébahie une
nichée de passereaux, habitants inattendus
de sa chevelure en broussailles, qui prennent
leur volée.

Voilà le sujet : il est heureusement trouvé.
Je crois inutile d'ajouter que M. Knauss en a
su tirer un merveilleux parti. Très-pittores-
que dans la portion de son œuvre qui a trait
au saltimbanque, l'artiste déploie, pour nous
montrer les spectateurs, les trésors d'une
verve humoristique véritablement inépuisa-
ble. Quelle infinie variété dans tous ces
types 1 comme ils sont ingénieusement rap-
prochés, de façon à se faire mutuellement
valoir par le contraste! Le paysan, sur lequel
le saltimbanque vient d'expérimenter, lève

les mains au ciel, et sa physionomie, aussi
bien que son geste, exprime une stupéfaction
profonde. Je crois même qu'au fond de l'âme
il est un peu vexé d'avo r involontairement
pie éà rire à l'assistance. C'est un susceptible,
et je me trompe fort s'il n'est point quelque
peu chatouilleux de la gorge, et très-irritable
en son par-dedans. Derrière l'opérateur, un
vieux forgeron, philosophe de village, qui
pince dans sa main calleuse son mentmi
fin et pointu, n'étudie à trouver le secret
de la comédie en regardant le dessous des
cartes. 11 n'y a point de danger que l'on
fassejamais croire à celui-là « que c'est ar-
rivé! » Il appartient à l'ordre de3 sceptiques,
famille des incrédule*. Tout au contraire,
cette bonne vieille, à l'autre extrémité de
la toile, qui s'enfuit aussi rapidement que
peuvent l'emporter ses vieilles jambes, et
qui voudrait pouvoir soitir du tabieau, celle-
là, c'est une croyante naïve, et pour rien
vous ne lui ôterez de l'esprit que ie diable
est dans l'affaire. Dans ce coin, vous pouvez
reconnaître, sous ce chapeau défoncé, qui
couvre mal une chevelure emmêlée, un juif
d'Allemagne, qui compte sur ses doigts cro-
chus combien, à un kreutzer par personne,
la représentation pourra bien rapporter de
florins. A l'arrière-plan un robuste gars, qui
ne se préoccupe ni de sortilège ni de méta-
physique, embrasse à pleines joues une large
paysanne qui rit. Chacun prend son plaisir
où il le trouve.

Mais c'est surtout pour les femmes et les
enfants que M. Knauss réserve les délicatesses,
j'allais dire les caresses de son pinceau. Il
fait ses enfants beaux comme des fleurs, et
ses femmes belles__comme des femmes. Re-
gardez surtout cette adorable fille, appuyée
contre un pilier rustique, et regardant le sal-
timbanque. .Elle échappe à peine aux mai-
greurs de l'adolescence ; mais quelle exquise
suavité dans l'ensemble de cette tête blonde,
quelle intelligence et quelle finesse dans ces
tempes si-délicatement modelées! Ne vous
semble-t-il point, comme à moi, que ce sou-
rire, qui laisse entrevoir la double rangée des
dents blanches, illumine le visage tout en-
tier? Et n'est-ce point la grâce même qui a
choisi cette pose d'un si mol abandon? Cette
seule figure-suffirait à faire la fortune d'un
tableau.

Et ces enfants, ne s'arrangent-ils point
d'eux-mêmes en groupe enchanteur pour le
plaisir des yeux ? Ce n'est point aux artifices
de la toilette qu'ils" doivent leur prestige, car
ils sont à demi nus : c'est à peine si leur
peintre leur a fait la générosité d'un bout
de draperie ; mais il leur a laissé leur mou-
vement, d'un naturel si parfait, leur expres-
sion, si délicieusement naïve, et leur petite
mine de souris éveillées. Je vous recom-
mande surtout le bébé qui se tient debout
sur le devant du tableau, une fillette de quatre
ans, pieds nus, bras nus, blonde,' son
toquet en arrière, tombant presque sur la
 
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