Première année.
No 18
LE NUMERO : 15 CENTIMES
28 Août 1887
L’ART FRANÇAIS
Jümte jPLrtistiquf Jfiebiiflmaïrairf
Texte par Firmin Javel
Illustrations de MM. SILVESTRE & Cie, par leur procédé de Glyptographie
Bureaux : 97, rue Oberkampf, à Paris
ABONNEMENTS. — Paris : un an, 9 fr. ; six mois, 5 francs. — Départements : un an, ÎO fr., six mois, 6 francs.
SALON DE 1887
(Quinzième article)
Je me trouvais un jour dans l’atelier de M. Henner, et nous
causions depuis quel-
ques minutes , lors-
qu’une jeune fille, ac-
compagnée de sa mère,
se présenta et tendit la
main au maître, dont
elle venait prendre
congé.
Elle partait pour l’I-
talie. Elle éprouvait le
besoin de « voir des
chefs-d’œuvre ».
Je n’oublierai jamais
la semonce toute pa-
ternelle que M. Hen-
ner adressa alors à cette
jeune évaporée :
— Allez au Louvre!
lui dit-il en manière de
conclusion.
Et de fait, c’est au
Louvre qu’on était sûr
de rencontrer autrefois
le grand peintré de
YIdyle : Ce lauréat du
prix de Rome, pour qui
Rome n’a plus de se-
crets, et qui possède
mieux que personne
les merveilles de l’Ita-
lie, de la Hollande, de
l’Espagne et d’ailleurs,
est d’avis que nous
avons l’essentiel, en no-
tre incomparable Mu-
sée, pour nous donner
une juste idée du Beau.
Le Louvre, c’est la
source intarissable et
féconde ou toutes les
générations d’artistes
viennent s’abreuver.
C’est au Louvre, c’est une
devant Y Antiope du
Corrége, devant le Portrait de femme, de Rembrandt, ou devant
quelqu’autre morceau de premier ordre que M. Henner passait
— et passe peut-être encore — une partie de sa journée du
dimanche.
Mêlé au public profane, dont les appréciations saugrenues- et
les monstrueuses hérésies ont dû souvent lui faire courir un fris-
son entre les épaules,
le grand peintre est là,
rêveur, accoudé sur la
barre de fer qui garde
l’accès des tableaux. Le
regard fixé sur l’œuvre
qu’il étudie pour la
centième fois peut-être,
isolé, séparé du reste
du monde, le maître
évoque les temps dis-
parus, il restitue le mi-
lieu même où se pro-
duisit le tableau, il voit,
à travers les siècles,
Mouna Lisa posant de-
vant Léonard, ou Van
Dyck peignant sa pro-
pre image. Une idéale
causerie s’établit entre
eux et lui. Une com-
munion se fait, un cou-
rant général relie le
maître d’aujourd’hui
aux maîtres d’autrefois
et les heures s’écou-
lent rapides, pleines de
saints enthousiasmes et
d’exqu ises admirations.
Pour nous, M. Hen-
ner est un des rares
artistes dont on puisse
dire qu’ils sont artistes
et peintres tout à la
fois. Un goût suprême
guide sa main lors-
qu’elle traduit son émo-
tion, lorsqu’elle expri-
me son amour passion-
né du Beau. Sa pein-
ture, c’est le triomphe
de la chair dont elle
ÉOLE Henner (Jean-Jacques). £xe sur Ja t(q]e ]£ divin
rayonnement.
« C’est la chair qu’il est difficile de rendre, — écrivait, il y a
un siècle, le plus grand des critiques d’art. — C’est ce blanc
No 18
LE NUMERO : 15 CENTIMES
28 Août 1887
L’ART FRANÇAIS
Jümte jPLrtistiquf Jfiebiiflmaïrairf
Texte par Firmin Javel
Illustrations de MM. SILVESTRE & Cie, par leur procédé de Glyptographie
Bureaux : 97, rue Oberkampf, à Paris
ABONNEMENTS. — Paris : un an, 9 fr. ; six mois, 5 francs. — Départements : un an, ÎO fr., six mois, 6 francs.
SALON DE 1887
(Quinzième article)
Je me trouvais un jour dans l’atelier de M. Henner, et nous
causions depuis quel-
ques minutes , lors-
qu’une jeune fille, ac-
compagnée de sa mère,
se présenta et tendit la
main au maître, dont
elle venait prendre
congé.
Elle partait pour l’I-
talie. Elle éprouvait le
besoin de « voir des
chefs-d’œuvre ».
Je n’oublierai jamais
la semonce toute pa-
ternelle que M. Hen-
ner adressa alors à cette
jeune évaporée :
— Allez au Louvre!
lui dit-il en manière de
conclusion.
Et de fait, c’est au
Louvre qu’on était sûr
de rencontrer autrefois
le grand peintré de
YIdyle : Ce lauréat du
prix de Rome, pour qui
Rome n’a plus de se-
crets, et qui possède
mieux que personne
les merveilles de l’Ita-
lie, de la Hollande, de
l’Espagne et d’ailleurs,
est d’avis que nous
avons l’essentiel, en no-
tre incomparable Mu-
sée, pour nous donner
une juste idée du Beau.
Le Louvre, c’est la
source intarissable et
féconde ou toutes les
générations d’artistes
viennent s’abreuver.
C’est au Louvre, c’est une
devant Y Antiope du
Corrége, devant le Portrait de femme, de Rembrandt, ou devant
quelqu’autre morceau de premier ordre que M. Henner passait
— et passe peut-être encore — une partie de sa journée du
dimanche.
Mêlé au public profane, dont les appréciations saugrenues- et
les monstrueuses hérésies ont dû souvent lui faire courir un fris-
son entre les épaules,
le grand peintre est là,
rêveur, accoudé sur la
barre de fer qui garde
l’accès des tableaux. Le
regard fixé sur l’œuvre
qu’il étudie pour la
centième fois peut-être,
isolé, séparé du reste
du monde, le maître
évoque les temps dis-
parus, il restitue le mi-
lieu même où se pro-
duisit le tableau, il voit,
à travers les siècles,
Mouna Lisa posant de-
vant Léonard, ou Van
Dyck peignant sa pro-
pre image. Une idéale
causerie s’établit entre
eux et lui. Une com-
munion se fait, un cou-
rant général relie le
maître d’aujourd’hui
aux maîtres d’autrefois
et les heures s’écou-
lent rapides, pleines de
saints enthousiasmes et
d’exqu ises admirations.
Pour nous, M. Hen-
ner est un des rares
artistes dont on puisse
dire qu’ils sont artistes
et peintres tout à la
fois. Un goût suprême
guide sa main lors-
qu’elle traduit son émo-
tion, lorsqu’elle expri-
me son amour passion-
né du Beau. Sa pein-
ture, c’est le triomphe
de la chair dont elle
ÉOLE Henner (Jean-Jacques). £xe sur Ja t(q]e ]£ divin
rayonnement.
« C’est la chair qu’il est difficile de rendre, — écrivait, il y a
un siècle, le plus grand des critiques d’art. — C’est ce blanc