Le Fifre: journal hebdomadaire (1.1889)

LE FIFRE

LE FAUX MUET

orientale

C'était au sérail, par un jour
Très clair, avec un ciel sans nues ;
Ceux qui gardent les femmes nues,
Lents, se promenaient dans la cour.

Les colombes s'aimaient autour,
Comme pour les railler venues ;
Et des tristesses inconnues
Hantaient ces hommes sans amour.

On pouvait, à leur air morose,

Voir qu'il leur manquait quelque chose.

Un seul était plein de gai té.

Voyant que je m'en émerveille,

Le drôle me dit à l'oreille :

— Laisse donc faire ! on m'a raté !

Armand SILVESTRE.

LE SALON

En entrant dans le grand salon, la pre-
mière chose qu'on voit, c'est une toile
énorme qui représente le triomphe de
Bacchus. Le dieu, assis sur un char en
or massif, est traîné par deux nègres; il
est entouré de bacchantes qui brandissent
autour de lui des thyrses et des tambou-
rins. Le cortège débouche d'un bosquet,
et va contourner la mer bleue, qu'on
voit au loin arrondie dans une baie qui
pourrait être celle de Naples. Au premier
plan à gauche, pour équilibrer la compo-
sition, une bacchante est embrassée sur
la bouche par une colossale académie
d'homme et, à terre, on voit négligemment
jetés un thyrse et un tambourin.

La tonalité du tableau est vineuse et
tait penser aux étoiles qui reviennent
reteintes de chez le teinturier. Les figures
sont veules et souillées, nulle part le
dessin n'est accroché ; pas une ligne qui
vienne affirmer qu'il y ait des os sous
les muscles. C'est emphatique, mou et
disproportionné. On dirait l'œuvre d'un
centenaire. Si M. Chevreul avait peint,
cela pourrait être son dernier tableau. Et
c'est signé: Garolus Duran.

On se demande pour quelle raison, pour-
quoi M. Duran a fait ce pâteux effort, tout
à fait dépourvu de conviction artistique.
Ce tableau arrive dans son œuvre comme
un accident. —• C'est une catastrophe.

Dans le prochain numéro du Fifre,
nous donnerons notre impression sur les

tableaux qui nous auront plu, et qui
nous semblent émerger du bain d'huile
qui suinte de toutes les toiles.

/• /• /••

L'OEUVRE D'ABBÉMA

Princesse de théâtre, ingénue ou marquise.
De la Parisienne en sa modernité,
C'est, avec le parfum et la mondanité,
Tout le froufrou léger et l'élégance exquise.

Ève au regard troublant devinée et surprise.

Énigme de tendresse et de frivolité,

Des flottantes lueurs la blonde fluidité,

Dans son rire de Sphinge et ses doux yeux, s'irise.

Poète du pinceau, pensif ou virginal,

De l'esprit elle met, sur le front de la femme,

Les stellaires clartés et le charme auroral;

Des vieux maîtres elle a le savoir et la flamme.
Va du concept divin qui rayonne en son âme
Elle donne la grâce à son rêve idéal.

O. Justice.

Le Fifre a la bonne fortune de pouvoir
annoncer à ses lecteurs qu'il publiera toutes
les semaines un sonnet inédit d'Armand
Silvestre.

Ceux de nos abonnés qui n'auraient pas régu-
lièrement reçu Le Fifre sont priés d'en faire
immédiatement la réclamation aux bureaux du
journal.

Depuis le 6 courant, Le Fifre est remis aux
abonnés dans une chemise et non plié.

Il est tiré chaque semaine dix exemplaires du
Fifre sans texte sur japon. Sur chaque exemplaire
signé et numéroté, Vauteur fait un croquis ori-
ginal à l'aquarelle et différent pour chaque
souscripteur. — Prix du numéro : 30 francs.

LES HOMMES D'AUJOURD'HUI
Portraits-charge et Biographies
Le N", 10 cent.; la collection des 6 volumes, 36 fr.

Tous les Vendredis :
LE PIERROT, par Willette