l'J novembre 1871
REVUE COMIQUE
A L'ACADEMIE
L'autre jour, à la réception
académique de Janin, le ha-
sard m'avait placé à coté d'un
étranger qui me lit l'effet
d'être un Russe.
Il m'interrogea sur le per-
sonnel do la docte assemblée;
on dit docte — c'est cliché; je
m'empressai de le satisfaire :
— Le petit qui ressemble à un sapajou et qui préside, c'est
Doucot; ce gros qui est à sa droite, c'est ce mauvais sujet
de Sandeau, et le voisin de gauche, qui a une tétc do réta-
meur, c'est Patin, ami des Muses.
.le ne m'en tins pas là : je lui montraiGuviliier-Fleury,
l'homme le plus laid de France ; Vitet, qui serait beau avec
la tunique de Nessus ; Legouvé, chevalier du sexe à qui il
doit sa mère et sa réputation; Augier, qui a eu des cheveux;
Noailles, qui est duc, et Ségur. qui a quatre-vingt-douze ans.
Jflnin commença son discours qu'il versait, par discrétion
dans son gilet; Cuvillier le continua ; et Doucot répondit à
Janin.
En sortant de l'hémicycle, le Russe me dit : Si j'en juge
par ce que je viens d'entendre, M. Sainte-Beuve devait être
un bien brave homme.
— Un homme excellent.
— Très-doux, n'est-ce pas?
— La douceur même.
— Très-pieux surtout.
— D'une piété exemplaire. 11 est mort, désespéré de n'a-
voir pu recevoir les sacrements de la main de son collègue
Mgr Dupanloup.
— C'est, me dit le Russe, ce que je me disais en écou-
tant les discours de M. Janin et de M....
— Doucot.
— Doucot. c'est ce que je voulais dire.
Le Russe me remercia, me salua et nous nous séparâmes.
— Sïcrebleu! pensais-je quand je fus seul, voilà un
homme qui a été le tempérament le plus robuste, le plus
priine-sautier. le plus caustique, le plus rageur de son
temps, et on le représente après sa mort comme un (irandis-
son. Sainte-Beuve, prix de vertu : Ce Russe, il va repartir
pour Saint-Pétersbourg, et il dira là-bas qu'il a entendu
l'oraison funèbre d'un donneur d'eau bénite. Ah ! s'il l'avait
vu, ce donneur d'eau bénite, ah ! s'il l'avait vu, ce marguil-
lier attachant des lanières à son goupillon, et cinglant les
visages
Malheureux Sainte-Beuve !
avoir été un esprit si libre,
si oscur, si vaillant, si origi-
nal, si envieux, si redouté et
si redoutable, et être enterré
banalement sous un amas de
fleurs de rhétorique qui ont
servi à toutes les obsèques
académiques !
W.
LE MUSEE DES SOUVERAINS
VI
SAINT-MARC-GIRARDIN
n 1827, un jeune homme
descendait la rue de La Har-
pe, enfilait les quais, traver-
sait le Pont-Neuf, et, tour-
nant à gauche, pénétrait dans
la petite rue qui longe Saint-
Germain-l'Àuxerrois...
— Mais c'est la suite do
Rocambole que vous nous con-
tez là.
— Attendez donc ! Le jeune
homme s'arrêta devant une
boite, y glissa une lettre et
disparut.,..
— De plus en plus Rocum-
bolc.
— Ce jeune homme était M. Saint-Marc Girardin, pro-
fesseur de seconde au collège Louis-lc-iGrand.
Il venait de déposer son premier article dans la boite du
Journal tics Déliais. Temps heureux ! il se trouvait à la
tête des journaux dos hommes qui lisaient les articles
qu'on leur envoyait. Aujourd'hui, les journalistes no lisent
plus, ils écrivent tant! L'article, publié dès le lendemain,
était suivi d'un avis qui invitait l'auteur à se présenter'aux
bureaux de la rédaction.
— Vous êtes mon homme, lui dit en le voyant le père
Bertin.
Et depuis ce jour, Saint-Marc n'a plus quitté le Journal
des Débals.
A l'époque où il débuta, il fut une note nouvelle dans le
journalisme dogmatique du temps ; il avait do l'esprit et du
meilleur, — non l'esprit de la veille, mais celui du matin.
Le père Bertin l'appelait: Bouton-do-Rose.
Après 1830, le Journal îles Débats étant devenu tout et
quelque chose de plus encore. Boutonnle-Roso fut nommé
maître des requêtes et chargé de remplacer M. Guizot
comme professeur à la Faculté des lettres. A la mort de
Laya, dit Y ami des lois, il fut appelé à la chaire de poésie
française.
Ce fut à cette mémo date qu'il arriva à la Chambre. 11
avait découvert un colljgo dans le Limousin. Un tableau
d'église envoyé par le ministre de l'intérieur et quelques
bureaux de tabac distribués à propos avaient favorable-
ment disposé la population électorale d.c Saint-Yrieix.
Saint-Marc, Saint-Yrieix, — deux saints, l'un portant l'au-
tre. A la Chambre, ou les confondait. Un jour, le président
Dùpin, qui aimait à rire, donnait la parole à M. Saint-Yrieix,
député de Saint-Marc.
C'était précisément ce jour-là que Saint-Marc débutait
aomme orateur politique. Les Débals avaient tellement
chauffé son succès à la Faculté des lettres, qu'on s'atten-
REVUE COMIQUE
A L'ACADEMIE
L'autre jour, à la réception
académique de Janin, le ha-
sard m'avait placé à coté d'un
étranger qui me lit l'effet
d'être un Russe.
Il m'interrogea sur le per-
sonnel do la docte assemblée;
on dit docte — c'est cliché; je
m'empressai de le satisfaire :
— Le petit qui ressemble à un sapajou et qui préside, c'est
Doucot; ce gros qui est à sa droite, c'est ce mauvais sujet
de Sandeau, et le voisin de gauche, qui a une tétc do réta-
meur, c'est Patin, ami des Muses.
.le ne m'en tins pas là : je lui montraiGuviliier-Fleury,
l'homme le plus laid de France ; Vitet, qui serait beau avec
la tunique de Nessus ; Legouvé, chevalier du sexe à qui il
doit sa mère et sa réputation; Augier, qui a eu des cheveux;
Noailles, qui est duc, et Ségur. qui a quatre-vingt-douze ans.
Jflnin commença son discours qu'il versait, par discrétion
dans son gilet; Cuvillier le continua ; et Doucot répondit à
Janin.
En sortant de l'hémicycle, le Russe me dit : Si j'en juge
par ce que je viens d'entendre, M. Sainte-Beuve devait être
un bien brave homme.
— Un homme excellent.
— Très-doux, n'est-ce pas?
— La douceur même.
— Très-pieux surtout.
— D'une piété exemplaire. 11 est mort, désespéré de n'a-
voir pu recevoir les sacrements de la main de son collègue
Mgr Dupanloup.
— C'est, me dit le Russe, ce que je me disais en écou-
tant les discours de M. Janin et de M....
— Doucot.
— Doucot. c'est ce que je voulais dire.
Le Russe me remercia, me salua et nous nous séparâmes.
— Sïcrebleu! pensais-je quand je fus seul, voilà un
homme qui a été le tempérament le plus robuste, le plus
priine-sautier. le plus caustique, le plus rageur de son
temps, et on le représente après sa mort comme un (irandis-
son. Sainte-Beuve, prix de vertu : Ce Russe, il va repartir
pour Saint-Pétersbourg, et il dira là-bas qu'il a entendu
l'oraison funèbre d'un donneur d'eau bénite. Ah ! s'il l'avait
vu, ce donneur d'eau bénite, ah ! s'il l'avait vu, ce marguil-
lier attachant des lanières à son goupillon, et cinglant les
visages
Malheureux Sainte-Beuve !
avoir été un esprit si libre,
si oscur, si vaillant, si origi-
nal, si envieux, si redouté et
si redoutable, et être enterré
banalement sous un amas de
fleurs de rhétorique qui ont
servi à toutes les obsèques
académiques !
W.
LE MUSEE DES SOUVERAINS
VI
SAINT-MARC-GIRARDIN
n 1827, un jeune homme
descendait la rue de La Har-
pe, enfilait les quais, traver-
sait le Pont-Neuf, et, tour-
nant à gauche, pénétrait dans
la petite rue qui longe Saint-
Germain-l'Àuxerrois...
— Mais c'est la suite do
Rocambole que vous nous con-
tez là.
— Attendez donc ! Le jeune
homme s'arrêta devant une
boite, y glissa une lettre et
disparut.,..
— De plus en plus Rocum-
bolc.
— Ce jeune homme était M. Saint-Marc Girardin, pro-
fesseur de seconde au collège Louis-lc-iGrand.
Il venait de déposer son premier article dans la boite du
Journal tics Déliais. Temps heureux ! il se trouvait à la
tête des journaux dos hommes qui lisaient les articles
qu'on leur envoyait. Aujourd'hui, les journalistes no lisent
plus, ils écrivent tant! L'article, publié dès le lendemain,
était suivi d'un avis qui invitait l'auteur à se présenter'aux
bureaux de la rédaction.
— Vous êtes mon homme, lui dit en le voyant le père
Bertin.
Et depuis ce jour, Saint-Marc n'a plus quitté le Journal
des Débals.
A l'époque où il débuta, il fut une note nouvelle dans le
journalisme dogmatique du temps ; il avait do l'esprit et du
meilleur, — non l'esprit de la veille, mais celui du matin.
Le père Bertin l'appelait: Bouton-do-Rose.
Après 1830, le Journal îles Débats étant devenu tout et
quelque chose de plus encore. Boutonnle-Roso fut nommé
maître des requêtes et chargé de remplacer M. Guizot
comme professeur à la Faculté des lettres. A la mort de
Laya, dit Y ami des lois, il fut appelé à la chaire de poésie
française.
Ce fut à cette mémo date qu'il arriva à la Chambre. 11
avait découvert un colljgo dans le Limousin. Un tableau
d'église envoyé par le ministre de l'intérieur et quelques
bureaux de tabac distribués à propos avaient favorable-
ment disposé la population électorale d.c Saint-Yrieix.
Saint-Marc, Saint-Yrieix, — deux saints, l'un portant l'au-
tre. A la Chambre, ou les confondait. Un jour, le président
Dùpin, qui aimait à rire, donnait la parole à M. Saint-Yrieix,
député de Saint-Marc.
C'était précisément ce jour-là que Saint-Marc débutait
aomme orateur politique. Les Débals avaient tellement
chauffé son succès à la Faculté des lettres, qu'on s'atten-
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
A l'académie
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
La revue comique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
ZST 3069 C RES::1.1871
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
La revue comique, 1.1871, Nr. 6, S. 63
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg