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Ocparteumiiti, 9 (t. Étranger, 11 M : Vfj; B I^^^XWv^malW ÔA^HTlXuk^ ErpS^îJs^^r^L Â SAMtoT^ PARIS
^.Lcsmantrecrils el dessins no»
Six moii : France, 5 fr.Etranger, 6 fr>^ ■^x5v^r\/\ ^"^V^*''* J^tt*\^4Cîîî'!!îa^xw't ?rr*ty0fc4!l/7y*& » ^ «t? j insérés ne sont pas rundu».
LA MAITRESSE
Par J U L E S * R E N A R D
Illustrations de F. VALLOTTOX
(suite)
1
rit
^3
\
LAMiSEÀUPOiNT-OtLEUR AMOU^
maurice.
Blanche, te tuerais-tu à cause de moi ?
blanche.
Quelle question ? pourquoi me tuerais-je à cause de toi.
maurice.
Je te demande cela, parce que je voudrais savoir jusqu'à quel
point nous nous aimons. J'ai lu de nombreuses descriptions
d'amour. Tu en as lu quelques-unes. Peuvent-elles s'appliquer au
nôtre ? En un mot, nous aimons-nous comme on s'aime dans les
livres ? Évidemment non, n'est-ce pas?
blanche.
Tu m'embarrasses. Veux-tu dire que nous nous aimons moins
bien que dans les livres ou d'une manière différente ?
maurice.
Je veux dire ceci : Lorsque tu prononces ces mots « je t'adore »,
qu'entends-tu par là ?
blanche.
J'entends que je t'aime beaucoup.
maurice.
Oui, c'est une autre façon de parler. Tu ne fais que changer
d'expression. 11 ne faudrait point me méprendre, et compter, par
exemple, que si je te quittais, tu mourrais.
blanche.
Et toi, si je te quittais, mourrais-tu?
maurice.
Franchement, je ne le crois pas.
blanche.
Mais tu souffrirais, comme moi. Quand je songe à ton départ pos-
sible, j'ai le cœur serré. J'éprouve d'avance un gros chagrin.
maurice.
Moi aussi, et nous n'imaginons rien de plus, nul fracas, aucune
vengeance éclatante.
blanche.
A quoi bon dramatiser la vie?
maurice.
Nous ne sommes pas de l'école cruelle. Nous sommes de l'école
bonne-enfant.
blanche.
Bien entendu, sauf ces réserves, nous nous aimons autant que
d'autres.
maurice.
_ Certainement. Une seule réflexion me trouble. Sans doute les
livres exagèrent, mais le journal quotidien enregistre à la colonne
de shs faits divers, des scandales, des aventures romanesques qui
finissent tragiquement. J'admets que le journal brode aussi.
Pourtant il demeure prouvé que certains amants jaloux, toujours
fiévreux et prompts à s'égorger, bientôt las de vivre, se couchent
enfin sur leur lit, s'aiment une dernière fois et attendent la mort
près d'un réchaud allumé. Voilàqui me confond. Ces passionnés
s'aimeraient-ils plus que nous ?
blanche.
Mon chéri, les gens qui se suicident n'ont pas leur tête à eux. Ce
sont des fous.
maurice.
Et nous sommes les sages. Ton bon sens et le mien nous inter-
disent de pareils excès.
blanche.
Dieu merci 1
maurice.
Nous nous aimons raisonnablement, avec calme et solidité.
blanche.
Pour la vie !
maurice.
Tope cinq sous. Encore une question, Blanche. A propos, pourquoi
m'aimes-tu ?
blanche.
Parce que tu es beau.
maurice.
Oh ! ne te force pas, je t'en prie. J'exige une énumération pré-
cise. Recommence : je suis sur la sellette parce que...
blanche.
Parce que tu es distingué et de tournure aristocratique ; parce que
tu es intelligent et que tu as réponse à tout ; parce que tu ne jures
jamais et que tu parles poliment aux femmes, sans garder ta ciga-
rette à la bouche ; parce que tu mets des gants ; parce que tu soignes
tes ongles ; parce que tu danses à ravir ; parce que tu ranges tes
affaires en te couchant; parce que tes jarretelles noires empêchent
tes chaussettes de tomber sur tes souliers ; parce que des bretelles
de soie soutiennent, le jour, ton pantalon, et que, la nuit, un éten-
deur en efface les godets; parce que tu portes toujours un chapeau
haut de forme ; parce que tu as les cheveux courts, la moutache
vierge, le nez long (ça m'amuse de tirer ton nez), des oreilles
grandes comme des coquilles Saint-Jacques une gueule d'or et
des yeux jaunes pour mener les poules sur les chaumes. Enfin,
parce que tu écris bien les adresses.
Je ne trouve plus. A ton tour, maintenant. Maurice, pourquoi
m'aimes-tu ?
maurice.
Je t'aime en gros, en bloc. Je ne perçois pas les détails. Quelle
est la couleur de tes yeux et de tes cheveux, je n'en sais rien.
Qu'importe la forme de ton nez? Une dent ne compte ni en plus,
ni en moins. Large ou petite, ta bouche ne me désoblige que si
elle bâille. Est-ce que je noue mes doigts aux tiens pour prendre
ta pointure et vais-je mesurer tes pieds avec un décimètre. Entre
nous, le mauvais goût de l'artiste qui, depuis Eve, glorifie les pieds
de la femme, se conçoit-il ? Relis donc ce que tu écris, poète. Cesse
de chanter, le nez en l'air, comme un écervelé. Baisse la tête et
considère, enfin de près, froidement, le pied fade de ta maîtresse
quand elle sort du bain.
blanche.
Tais-toi. Je vomirais.
maurice.
Je ne pose point. Tu peux te casser une cheville et remplacer
ton pied de chair et d'os par un pied en bois de rose, je n'y perdrai
rien.
blanche.
Et quelles sont tes idées sur la taille?
maurice.
Dès qu'une guêpe m'agace, j'ouvre mes ciseaux, et je la coupo
en deux, net.
blanche.
Réponds. Tu ne me trouves pas un peu forte.
maurice.
Comment, un peu forte ? Au contraire, je te sais gré de me rem-
plir les bras. Va, il est inutile que tu règles tes appétits. Mange et
bois, épanouis-toi.
blanche.
Je ne me gêne pas. Aucune femme ne se serre moins que moi.
Regarde. On mettrait le poing sous mon corset.
maurice.
Tant pis. Tu gaspilles l'espace. Accrois encore ta puissance et
que nos étreintes soient telles que l'air même ne passe plus.
blanche.
Moi, je t'aime ainsi ; mais quelqu'un qui t'entendrait, te traiterait
de vulgaire sensuel.
maurice.
Je me flatte de l'être et de tirer, en bon maître habile, tout le
profit que je peux, des divers sens à mon service.
blanche.
Je t'approuve. En ce qui me concerne, tu le sais, je ne dédaigne
pas la gaudriole. Seulement, il y a autre chose que le corps. Il y a
le cœur et l'âme. Mon corps te plaît, j'en suis fière, mais, dis-moi,
Maurice, aimes-tu un peu mon cœur, aimes-tu un peu mon âme?
maurice.
Oui, belle maîtresse, je t'aime avec toutes tes dépendances.
J'aime ton corps, et j'aime ton cœur et ton âme, par dessus le
marché.
(A suivre. Jules Renard.
Ocparteumiiti, 9 (t. Étranger, 11 M : Vfj; B I^^^XWv^malW ÔA^HTlXuk^ ErpS^îJs^^r^L Â SAMtoT^ PARIS
^.Lcsmantrecrils el dessins no»
Six moii : France, 5 fr.Etranger, 6 fr>^ ■^x5v^r\/\ ^"^V^*''* J^tt*\^4Cîîî'!!îa^xw't ?rr*ty0fc4!l/7y*& » ^ «t? j insérés ne sont pas rundu».
LA MAITRESSE
Par J U L E S * R E N A R D
Illustrations de F. VALLOTTOX
(suite)
1
rit
^3
\
LAMiSEÀUPOiNT-OtLEUR AMOU^
maurice.
Blanche, te tuerais-tu à cause de moi ?
blanche.
Quelle question ? pourquoi me tuerais-je à cause de toi.
maurice.
Je te demande cela, parce que je voudrais savoir jusqu'à quel
point nous nous aimons. J'ai lu de nombreuses descriptions
d'amour. Tu en as lu quelques-unes. Peuvent-elles s'appliquer au
nôtre ? En un mot, nous aimons-nous comme on s'aime dans les
livres ? Évidemment non, n'est-ce pas?
blanche.
Tu m'embarrasses. Veux-tu dire que nous nous aimons moins
bien que dans les livres ou d'une manière différente ?
maurice.
Je veux dire ceci : Lorsque tu prononces ces mots « je t'adore »,
qu'entends-tu par là ?
blanche.
J'entends que je t'aime beaucoup.
maurice.
Oui, c'est une autre façon de parler. Tu ne fais que changer
d'expression. 11 ne faudrait point me méprendre, et compter, par
exemple, que si je te quittais, tu mourrais.
blanche.
Et toi, si je te quittais, mourrais-tu?
maurice.
Franchement, je ne le crois pas.
blanche.
Mais tu souffrirais, comme moi. Quand je songe à ton départ pos-
sible, j'ai le cœur serré. J'éprouve d'avance un gros chagrin.
maurice.
Moi aussi, et nous n'imaginons rien de plus, nul fracas, aucune
vengeance éclatante.
blanche.
A quoi bon dramatiser la vie?
maurice.
Nous ne sommes pas de l'école cruelle. Nous sommes de l'école
bonne-enfant.
blanche.
Bien entendu, sauf ces réserves, nous nous aimons autant que
d'autres.
maurice.
_ Certainement. Une seule réflexion me trouble. Sans doute les
livres exagèrent, mais le journal quotidien enregistre à la colonne
de shs faits divers, des scandales, des aventures romanesques qui
finissent tragiquement. J'admets que le journal brode aussi.
Pourtant il demeure prouvé que certains amants jaloux, toujours
fiévreux et prompts à s'égorger, bientôt las de vivre, se couchent
enfin sur leur lit, s'aiment une dernière fois et attendent la mort
près d'un réchaud allumé. Voilàqui me confond. Ces passionnés
s'aimeraient-ils plus que nous ?
blanche.
Mon chéri, les gens qui se suicident n'ont pas leur tête à eux. Ce
sont des fous.
maurice.
Et nous sommes les sages. Ton bon sens et le mien nous inter-
disent de pareils excès.
blanche.
Dieu merci 1
maurice.
Nous nous aimons raisonnablement, avec calme et solidité.
blanche.
Pour la vie !
maurice.
Tope cinq sous. Encore une question, Blanche. A propos, pourquoi
m'aimes-tu ?
blanche.
Parce que tu es beau.
maurice.
Oh ! ne te force pas, je t'en prie. J'exige une énumération pré-
cise. Recommence : je suis sur la sellette parce que...
blanche.
Parce que tu es distingué et de tournure aristocratique ; parce que
tu es intelligent et que tu as réponse à tout ; parce que tu ne jures
jamais et que tu parles poliment aux femmes, sans garder ta ciga-
rette à la bouche ; parce que tu mets des gants ; parce que tu soignes
tes ongles ; parce que tu danses à ravir ; parce que tu ranges tes
affaires en te couchant; parce que tes jarretelles noires empêchent
tes chaussettes de tomber sur tes souliers ; parce que des bretelles
de soie soutiennent, le jour, ton pantalon, et que, la nuit, un éten-
deur en efface les godets; parce que tu portes toujours un chapeau
haut de forme ; parce que tu as les cheveux courts, la moutache
vierge, le nez long (ça m'amuse de tirer ton nez), des oreilles
grandes comme des coquilles Saint-Jacques une gueule d'or et
des yeux jaunes pour mener les poules sur les chaumes. Enfin,
parce que tu écris bien les adresses.
Je ne trouve plus. A ton tour, maintenant. Maurice, pourquoi
m'aimes-tu ?
maurice.
Je t'aime en gros, en bloc. Je ne perçois pas les détails. Quelle
est la couleur de tes yeux et de tes cheveux, je n'en sais rien.
Qu'importe la forme de ton nez? Une dent ne compte ni en plus,
ni en moins. Large ou petite, ta bouche ne me désoblige que si
elle bâille. Est-ce que je noue mes doigts aux tiens pour prendre
ta pointure et vais-je mesurer tes pieds avec un décimètre. Entre
nous, le mauvais goût de l'artiste qui, depuis Eve, glorifie les pieds
de la femme, se conçoit-il ? Relis donc ce que tu écris, poète. Cesse
de chanter, le nez en l'air, comme un écervelé. Baisse la tête et
considère, enfin de près, froidement, le pied fade de ta maîtresse
quand elle sort du bain.
blanche.
Tais-toi. Je vomirais.
maurice.
Je ne pose point. Tu peux te casser une cheville et remplacer
ton pied de chair et d'os par un pied en bois de rose, je n'y perdrai
rien.
blanche.
Et quelles sont tes idées sur la taille?
maurice.
Dès qu'une guêpe m'agace, j'ouvre mes ciseaux, et je la coupo
en deux, net.
blanche.
Réponds. Tu ne me trouves pas un peu forte.
maurice.
Comment, un peu forte ? Au contraire, je te sais gré de me rem-
plir les bras. Va, il est inutile que tu règles tes appétits. Mange et
bois, épanouis-toi.
blanche.
Je ne me gêne pas. Aucune femme ne se serre moins que moi.
Regarde. On mettrait le poing sous mon corset.
maurice.
Tant pis. Tu gaspilles l'espace. Accrois encore ta puissance et
que nos étreintes soient telles que l'air même ne passe plus.
blanche.
Moi, je t'aime ainsi ; mais quelqu'un qui t'entendrait, te traiterait
de vulgaire sensuel.
maurice.
Je me flatte de l'être et de tirer, en bon maître habile, tout le
profit que je peux, des divers sens à mon service.
blanche.
Je t'approuve. En ce qui me concerne, tu le sais, je ne dédaigne
pas la gaudriole. Seulement, il y a autre chose que le corps. Il y a
le cœur et l'âme. Mon corps te plaît, j'en suis fière, mais, dis-moi,
Maurice, aimes-tu un peu mon cœur, aimes-tu un peu mon âme?
maurice.
Oui, belle maîtresse, je t'aime avec toutes tes dépendances.
J'aime ton corps, et j'aime ton cœur et ton âme, par dessus le
marché.
(A suivre. Jules Renard.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
La Maitresse
Weitere Titel/Paralleltitel
Serientitel
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1895
Entstehungsdatum (normiert)
1890 - 1900
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 2.1895-1896, No. 59 (21 Décembre 1895), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg