A vos pieds..., mes hommages les plus flatteurs, les plus...
MONSIEUR BŒUF
Il y a de cela quinze ans, M. Bœuf a été nommé commis auxiliaire
permanent au lieu de temporaire. Ça a été le seul fait saillant de sa
morne existence de petit employé. Ses collègues, les jeunes surtout,
le taquinent bien un peu, mais il y est habitué depuis longtemps.
Non, ce qui l'inquiète depuis quelques jours, ce n'est pas son avan-
cement, il n'en espère plus, ce n'est pas sa femme, il n'en a jamais
espéré, c'est sa santé. Oui, décidément, depuis quelques jours, cela
ne va pas. Au surplus, il n'est pas le seul à s'en apercevoir. L'autre
matin, en entrant au bureau, le petit Buvard s'est récrié sur sa
mine : « Comme vous êtes rouge, monsieur Bœuf, comme vous avez
les yeux battus! Il faut faire attention, monsieur Bœuf, l'apoplexie
vous guette! » — Et il a raison, le petit Buvard, M. Bœuf se sent la
tête lourde, son chapeau le gêne, il étouffe. Ce n'est pas qu'il soit
jeune ni qu'il espère quoi que ce soit, mais tout de même il vou-
drait bien ne pas mourir encore; il ferait si bon passer commis ex-
péditionnaire! Ah! la folie des grandeurs! Pouvoir écraser sa con-
cierge, ses voisins, sous le poids de ses titres! Mais non, M. Bœuf
s'emballe! Il n'espère plus, plus rien que la santé.
Le lendemain, les jours suivants, les collègues de M. Bœuf le re-
gardent avec une sollicitude qui l'inquiète, il sent qu'il va plus mal,
que cela doit se,voir. A la lin, le petit Buvard, domptant son émo-
tion, s'est approché de lui, lui parlant à voix basse: « Je ne voudrais
Ah! pour ce regard, mon existence entière...
Pardon! Pardon!
Dessins de L. Burret.
pas vous inquiéter, monsieur Bœuf, mais il me semble que votre
tète enfle tous les jours, vous devriez faire attention ». M. Bœuf est
resté atterré. — C'est vrai, ce qu'on lui dit là, il le remarque bien à
la gêne de plus eu plus grande qu'il éprouve chaque jour à mettre
son chapeau; ô, mourir hydrocéphale! — Et le soir, en sortant,
M. Bœuf constate avec terreur qu'il ne peut plus du tout mettre
son chapeau, la mort le guette !
Le pharmacien consulté a dit qu'il n'avait rien, mais dans son re-
gard de pitié M. Bœuf a compris le pieux mensonge que l'on fait
aux désespérés. — Morne, il s'est rendu chez son chapelier: « Il me
faudrait un grand, grand chapeau pour hydrocéphale, le mien est
trop petit maintenant, tenez, regardez ».Le chapelier tourne et re-
tourne le chapeau, défait la coiffe. « Votre chapeau vous irait très
bien, monsieur Bœuf, si vous ne mettiez pas quatre journaux dans
la coiffe. » Le voile se déchire! Patiemment, jour par jour, le petit
Buvard a collé des bandes de papier dans son chapeau 1 Ah! le gre-
din! Joyeux et furieux, M. Bœuf court à son bureau. Son chef l'y
attend. — Je sais, monsieur Bœuf, que vous êtes souffrant. — Ah!
monsieur, balbutie l'autre troublé, des montagnes de papiers ! — Je
sais, je sais, interrompt le chef paterne, il y a eu beaucoup à faire;
pour vous récompenser, je vous nomme au grade de commis-expé-
ditionnaire ! » M. Bœuf pleure de joie, mais depuis ce jour ses
idées sur la filière administrative se sont singulièrement em-
brouillées. V
G. de Pawlowski.
MONSIEUR BŒUF
Il y a de cela quinze ans, M. Bœuf a été nommé commis auxiliaire
permanent au lieu de temporaire. Ça a été le seul fait saillant de sa
morne existence de petit employé. Ses collègues, les jeunes surtout,
le taquinent bien un peu, mais il y est habitué depuis longtemps.
Non, ce qui l'inquiète depuis quelques jours, ce n'est pas son avan-
cement, il n'en espère plus, ce n'est pas sa femme, il n'en a jamais
espéré, c'est sa santé. Oui, décidément, depuis quelques jours, cela
ne va pas. Au surplus, il n'est pas le seul à s'en apercevoir. L'autre
matin, en entrant au bureau, le petit Buvard s'est récrié sur sa
mine : « Comme vous êtes rouge, monsieur Bœuf, comme vous avez
les yeux battus! Il faut faire attention, monsieur Bœuf, l'apoplexie
vous guette! » — Et il a raison, le petit Buvard, M. Bœuf se sent la
tête lourde, son chapeau le gêne, il étouffe. Ce n'est pas qu'il soit
jeune ni qu'il espère quoi que ce soit, mais tout de même il vou-
drait bien ne pas mourir encore; il ferait si bon passer commis ex-
péditionnaire! Ah! la folie des grandeurs! Pouvoir écraser sa con-
cierge, ses voisins, sous le poids de ses titres! Mais non, M. Bœuf
s'emballe! Il n'espère plus, plus rien que la santé.
Le lendemain, les jours suivants, les collègues de M. Bœuf le re-
gardent avec une sollicitude qui l'inquiète, il sent qu'il va plus mal,
que cela doit se,voir. A la lin, le petit Buvard, domptant son émo-
tion, s'est approché de lui, lui parlant à voix basse: « Je ne voudrais
Ah! pour ce regard, mon existence entière...
Pardon! Pardon!
Dessins de L. Burret.
pas vous inquiéter, monsieur Bœuf, mais il me semble que votre
tète enfle tous les jours, vous devriez faire attention ». M. Bœuf est
resté atterré. — C'est vrai, ce qu'on lui dit là, il le remarque bien à
la gêne de plus eu plus grande qu'il éprouve chaque jour à mettre
son chapeau; ô, mourir hydrocéphale! — Et le soir, en sortant,
M. Bœuf constate avec terreur qu'il ne peut plus du tout mettre
son chapeau, la mort le guette !
Le pharmacien consulté a dit qu'il n'avait rien, mais dans son re-
gard de pitié M. Bœuf a compris le pieux mensonge que l'on fait
aux désespérés. — Morne, il s'est rendu chez son chapelier: « Il me
faudrait un grand, grand chapeau pour hydrocéphale, le mien est
trop petit maintenant, tenez, regardez ».Le chapelier tourne et re-
tourne le chapeau, défait la coiffe. « Votre chapeau vous irait très
bien, monsieur Bœuf, si vous ne mettiez pas quatre journaux dans
la coiffe. » Le voile se déchire! Patiemment, jour par jour, le petit
Buvard a collé des bandes de papier dans son chapeau 1 Ah! le gre-
din! Joyeux et furieux, M. Bœuf court à son bureau. Son chef l'y
attend. — Je sais, monsieur Bœuf, que vous êtes souffrant. — Ah!
monsieur, balbutie l'autre troublé, des montagnes de papiers ! — Je
sais, je sais, interrompt le chef paterne, il y a eu beaucoup à faire;
pour vous récompenser, je vous nomme au grade de commis-expé-
ditionnaire ! » M. Bœuf pleure de joie, mais depuis ce jour ses
idées sur la filière administrative se sont singulièrement em-
brouillées. V
G. de Pawlowski.
Werk/Gegenstand/Objekt
Titel
Titel/Objekt
Le rire: journal humoristique
Sachbegriff/Objekttyp
Inschrift/Wasserzeichen
Aufbewahrung/Standort
Aufbewahrungsort/Standort (GND)
Inv. Nr./Signatur
G 3555 Folio RES
Objektbeschreibung
Maß-/Formatangaben
Auflage/Druckzustand
Werktitel/Werkverzeichnis
Herstellung/Entstehung
Künstler/Urheber/Hersteller (GND)
Entstehungsdatum
um 1897
Entstehungsdatum (normiert)
1892 - 1902
Entstehungsort (GND)
Auftrag
Publikation
Fund/Ausgrabung
Provenienz
Restaurierung
Sammlung Eingang
Ausstellung
Bearbeitung/Umgestaltung
Thema/Bildinhalt
Thema/Bildinhalt (GND)
Literaturangabe
Rechte am Objekt
Aufnahmen/Reproduktionen
Künstler/Urheber (GND)
Reproduktionstyp
Digitales Bild
Rechtsstatus
In Copyright (InC) / Urheberrechtsschutz
Creditline
Le rire, 3.1896-1897, No. 125 (27 Mars 1897), S. 2
Beziehungen
Erschließung
Lizenz
CC0 1.0 Public Domain Dedication
Rechteinhaber
Universitätsbibliothek Heidelberg