Le rire: journal humoristique (4.1897-1898 (Nr. 157-208))

Le chasseur myope qui a ouiilié ses lunettes. — Ici, Médor!.. Dessin de B. Rabier.

RECORD PERDU!

Lorsque Théodose Coquenpâte perdit sa
femme, sa chère Ursule, il lui fit élever une
tombe, genre colonne brisée, hélas! du plus
bel effet.

Il orna ce monument d'une épitaphe résu-
mant des intentions de regrets probablement
éternels.

Mais Coquenpâte ne s'en tint pas à ces
trop banales formules et s'avisa d'y ajouter
un supplément jusqu'alors inédit d'effusions
funéraires.

Il fit établir dans la paroi de l'édifice un
récipient avec ouverture en cuivre où se
lisait cette brève indication :

« LETTRES »

— Mon rêve, voyez m'sieu, ça serait de dire quelque chose. Au cinquième acte vous entrez et dites avec noblesse : "„ , •

— J'ai justement votre affaire!... Partez, voici le guet. La colonne brisée semblait fournie par

l'Administration des postes.

C'est qu'en fait d'honneurs funèbres, le
douloureux Coquenpâte dédaignait les dé-
monstrations purement matérielles. Il allait
plutôt au mysticisme. Il tenait haut et ferme
pour l'immortalité de l'âme d'Ursule.

En suite de quoi, Théodose ne ratait plus
aucune occasion de jour de l'an, de Toussaint
ou d'anniversaire quelconque pour écrire ses
durables tendresses à la chère disparue !
Il mettait sur l'enveloppe :
« Feu Mme Ursule Coynenpâte; 77e tombe
à gauche au cimetière de Bagneux (Seine) ».

Le gardien glissait fidèlement le poulet
dans la boite...

Cette correspondance se continua durant
des années et semblait devoir détenir à ja-
mais le record de la fidélité conjugale (côté
des hommes).

Hélas ! Vain espoir ! Coquenpâte vient d'y
mettre fin par un rapide billet dont urte in-
discrétion nous livre le texte et qui dit :
Allons, à vous. — Barrez-vous, v là les flics! ! Dessins de J. Emgel. 1